"Pour Arctic Thunder, j'avais en tête quatre albums: Dream Death avec Journey into Mystery, Sacrilege et Within The Profecy, Black Sabbath avec son Mob Rules et Candlemass et son Epicus Doomicus Metallicus..."
Droit dans ses bottes, Darkthrone reste fidèle à ses valeurs et à sa ligne de conduite, pour sortir un nouvel album, et ce n’est pas avec Arctic Thunder qu’il va changer sa méthode de travail. Fenriz, toujours aussi passionné, va nous éclaircir sur sa vie, ses goûts, son approche musicale et ses inspirations pour nous trouver des riffs qui font toujours honneur à sa passion dévorante du metal passé.
Lionel / Born 666: Avant de te poser certaines questions au sujet de votre dernier album Arctic Thunder et de Darkthrone, peux-tu nous parler des autres, c’est à dire de groupes dont tu as fait la découverte cette année... Tes coups de coeur dans le speed metal, le thrash metal old school des années 80 ou 90 'ou quoi que ce soit d'autre. Quelques petits trésors?
Fenriz : Je reçois plus de 1000 promos par an. 30 à 35% d'entre eux passent le second round, ils ne sont pas supprimés, mais sont conservés pour être écoutés de plus près au travail et sont classés sur mon carnet de notes. Ensuite, près de la moitié de ceux-ci passent à la radio. Mais le pourcentage que j'achète en vinyle est beaucoup moins important. Jusqu'à présent cette année, il y a Viper Black, Vulture, Virus, les chiliens de Ripper, Hexvessel, Blood Ceremony, Naevus, Eternal Champion, Sumerlands, Spell, et je vais continuer à en acheter un peu plus. Le nouveau Urfaust semble excellent ainsi que le Void Meditation Cult. Il est également possible que j'en ai oublié quelques-uns. Mais ce sont les meilleurs des meilleurs... des meilleurs... pour moi!
Lionel : Lors de notre dernière interview pour la sortie de The Underground Resistance, tu m’avais dit que le prochain Darkthrone serait peut-être un mini-album. Apparement ce n’est pas le cas ?
Fenriz : Comme nous ne faisons jamais de mini albums, cela devait être une blague, d’ailleurs je n’apprécie pas vraiment ce genre de format.
Lionel : Existe-il quelque chose de spécial caché dans l’artwork? Le feu de camp et les sapins en arrière-plan qui se dressent vers le ciel comme une église...
Fenriz : Souvent nos titres d’album ont été des hommages au ”Old Metal Way", comme Total Death (Kreator, 1985) ou des références plus vagues comme Sardonic Wrath qui a été inspiré par l'ancien groupe danois Desexult. La liste pourrait s'allonger encore.
Cette fois, j’avais ce titre d’album qui me trottait dans la tête depuis bien longtemps. Je suis ami avec les gars de Red Harvest depuis 1990 et je savais que leur (sorte de) groupe précédent s’appelait Arctic Thunder. J'ai toujours pensé que c’était l'un des meilleurs noms de groupes dont j'aie jamais entendu parler et j’ai demandé à l'un des gars (Thomas Brandt) si je pouvais l'utiliser pour notre prochain album. Accordé !
La photo a été prise lors de l'une des nombreuses randonnées/camping que j'ai faites à Spålsberget, Nordmarka (forêt du nord). Quand je suis revenu de ce voyage et que j’ai commencé à regarder mes photos, j’ai immédiatement vu que quelques-unes de ces photos du feu de camp tenaient en elles l'essence même de Darkthrone et qu'également l’une d’elles seraient adaptée au titre de l’album auquel je pensais. La photo n'a été modifiée d'aucune façon, seuls le logo et le titre ont été ajoutés par la suite.
Lionel : Est ce que certains titres d’Arctic Thunder sont plus anciens que d’autres?
Fenriz : Je pense qu'il doit y en avoir. Tout d’abord, on ne peut pas écrire simultanément tout d'un coup, ce serait presque impossible. Concernant mes chansons, ”Tundra Leech” et ”Boreal Fiends” me sont venues d'abord, puis ”Arctic Thunder” et ”The Wyoming Distance” sont venues quelques mois plus tard en octobre ou novembre 2015 peut-être.
Lionel : Le thème général d’Arctic Thunder parait très sombre. L'album a beaucoup de titres faisant référence à la nature. Est-ce du second degré pour évoquer quelque chose de plus profond ?
Fenriz : J’utilse un grand nombre de métaphores de la nature dans mes paroles et il semble aussi que Ted (Nocturno Culto) en fasse autant, il faut dire qu'elle est tout autour de nous et c’est là que nous aimons nous ressourcer... La nature est la plus grande des forces et convient parfaitement bien au metal.
Lionel : L'album sonne froid, envoûtant et mystérieux. Presque comme un concept album qui parlerait d'une histoire d'horreur qui se passe en hiver. Es-tu d'accord avec ça?
Fenriz : Il n'a pas été conçu comme un concept album, mais je suis heureux que tu penses que cela y ressemble. Je pense qu' il y a un peu de ça, mais nous avons voulu faire un album plus ”die-cast”, plus sombre, plus introvertie avec une certaine plénitude. L'image de la couverture de l'album fait aussi référence à cela, et comme nous avions également été heureux de notre album précédent, on a dû faire certains changements parce que sinon je sentais que nous allions avoir du mal à le surpasser.
Lionel : Est-ce que parfois un titre a besoin de plusieurs années pour être parfait? Avec bien sûr de nombreuses modifications ?
Fenriz : Au cours de nos 17 albums, il est clair que cela n’a pas toujours eu la même importance à chaque fois de créer un titre. Un morceau ne vient pas de la même manière à chaque fois dans notre cortex cérébral et n’est pas créé à partir des mêmes paramètres. J’ai toujours aimé le nom de groupe Arctic Thunder et avec cette pochette en tête, c’était enfin le moment de l'utiliser.
Lionel : ”Inbred Vermin” ne ressemble pas vraiment à un titre de black metal, mais à des penchants certains vers des influences metal moins extrêmes. Est-il plus difficile pour vous de créer un tel titre ?
Fenriz : Nous n'utilisons pas ou même jamais le terme metal extrême, il n'existait même pas dans les années 80. D’ailleurs je pense que nous ne jouons pas plus vite que sur certains titres gospels des Yardbirds de 1964, et par exemple le nouvel album de Vicious Rumors est plus rapide que le nôtre, donc je ne pense pas que nous soyons si extrêmes que ça, j’essaye seulement d'honorer le metal des années 80. Le titre dont tu parle est de Ted (Nocturno Culto) donc je n’en dirais pas plus puisqu’il refuse de parler de ses propres morceaux, ni à moi ni dans les interviews, je ne peux donc pas en dire grand-chose. Mais je n'ai rien remarqué d'inhabituel.
Lionel : "Arctic Thunder" a tout du titre agréable avec ses parties groovy. Imagine-tu les gens headbanguer et jouer de l'air-guitar devant le miroir de leur salle de bain?
Fenriz : Lorsque je l'ai écrit je me sentais extrèmement heureux parce que je sentais que je tenais un hit. Et quand 30 minutes plus tard j’ai pu le montrer à Ted et l’enregistrer, j’ai tout de suite senti que c’était la piste qui allait être la meilleure de l’album;. J’en étais très heureux. Mais quand j’ai pu entendre la version enregistrée quelques semaines plus tard je me suis rendu compte que ça n’allait pas, l'ambiance sonore ne fonctionait pas vraiment et je n’étais plus du tout content de moi. Et pour revenir à ta question: ”Oui" je headbanguais lors de l'enregistrement et j’imagine que d’autres personnes vont le faire, mais maintenant je n'en suis plus si sûr que ça. Je pense que le manque de ”groovyness” est le problème avec ce titre, (rire).
Lionel : L'album montre comment le groupe est plus proche des sons punk et de speed metal "infusés" au black metal. Comment gardez-vous cette flamme? Votre curiosité musicale? Mais aussi votre recherche de la perle rare en écoutant des centaines d’albums?
Fenriz : Pour moi, il n'y a absolument pas de speed, de punk ou quoi que ce soit, j’ai sacrifié mes précédentes envies pour faire du magnifique speed metal ainsi que du NWOBHM (New Wave Of British Heavy Metal) en me concentrant simplement sur du heavy metal lent : je ne peux pas parler pour Ted ici, je pense qu'il a toujours juste fait de la musique à partir de ce qu’il a dans la tête, inspiré par lui-même, assis avec sa guitare et jouant sa musique, mais ce ne serait que pure conjecture.
Moi, d’un autre côté, j'avais une vision pour Arctic Thunder en voulant rendre Darkthrone un peu plus introverti pour une fois. Pourquoi? Depuis que nous avons finalement retrouvé notre propre studio (grâce à l'initiative de Ted en 2005), nous avons fait beaucoup d'enregistrements en roue libre, la plupart des chansons possèdent une émossion particulière. Cependant, notre dernier album montrait quelques-uns des nombreux styles que nous jouons et était un peu plus sérieux, mais incorporait toujours des tas de styles différents. Nous avons été très satisfaits de The Underground Resistance et personnellement je me demandais comment le surpasser. Donc les années ont passé et j’ai senti ce même sentiment, que l'album était une sorte de gigantesque truc à dépasser. Il était difficile de composer avec le fait que nous allions avoir à, soit, tuer ce mammouth ou le contourner. La dernière option a été choisie (parlant encore de mon propre point de vue sur comment faire de nouveaux morceaux) et j’ai choisi de faire table rase et de faire le ménage sur certains styles, laissant mon talent habituel pour l’écriture de morceau speed metal à la manière du style suédois 1983-1985 de côté.
Donc, de quoi avais-je besoin? Du heavy metal lent. Lorsque doucement on a décidé de se lancer dans un autre album (retour au milieu de 2015) j'avais 4 albums à l'esprit. Cela ne signifie pas que j’allais m’asseoir en écoutant ces albums et essayer de les copier par la suite, mais plutôt de les considérer comme une feuille de route à suivre.
Alors qu’après avoir écouté de la musique toute ma vie, j'ai du chercher mon inspiration parmi ces milliers d'albums et de morceaux. J'ai donc trouvé la vision globale que je voulais donner à l'album en me plongeant dans quatre albums.
Ces 4 albums sont Dream Death avec Journey into Mystery, Sacrilege et Within The Profecy, Black Sabbath avec son Mob Rules et Candlemass et son Epicus Doomicus Metallicus . Après que toutes les chansons aient été enregistrées et qu’on m'ait donné une copie de l'album enregistré par Ted, j’ai découvert qu'il n’y avait rien sur mes chansons qui me rappelait Candlemass. Du coup,tu peux voir que je ne suis pas exactement quelqu’un qui travaille comme un robot ou quoi que ce soit. Cependant, il y avait des riffs sur mes titres qui avaient ce feeling que l’on retrouve sur les trois autres albums, mais aussi dans Iron Maiden, et d’autres dans Hellhammer, certains sonnent aussi comme les premiers Exodus, d’autres comme Autopsy et encore d’autres avec le style de Necrophagia de 1987 et ainsi de suite.
Ça se passe ainsi : un riff vient me frapper comme la foudre dans mon cerveau et je vais devoir le fredonner jusqu'à ce que je prenne ma guitare et que je l'enregistre sur mon téléphone. De là, je vais généralement jouer ce riff et commencer à en trouver d'autres qui conviendront au thème principal. Qui sait comment j’arrive à faire ce travail et ce qui m’inspire vraiment, mais ça vient juste de moi et de ma guitare et de toute la musique que j'ai écoutée, et de tout cet univers je ne décide de garder que cette toute petite spécificité. Je vais te dire un secret maintenant - ce que je suis vraiment en train d'écrire c’est ce que j’aurais dû écrire en 1988, si :
1: J'avais eu les compétences d'écriture et mon expérience de batteur à l'époque et...
2: si nous n’étions pas allés plus loin sur le territoire du death metal , ce que nous avons fait à la fin 1988 / début 1989.
Ce que je vous dis, c’est ”La Vrai Musique Originale de Darkthrone”, le retour aux vraies racines. Il est toujours dit dans nos biographies que nous avons commencé comme un groupe de death metal, mais écoute bien notre première démo, il est clair qu’on n’en faisait pas, nous avions à l’époque toutes sortes d'inspirations mais qui étaient beaucoup plus anciennes.
Lionel : Était-ce important que Nocturno Culto chante sur tous les titres?
Fenriz : Oui, cela a été le changement le plus important en suivant l'esprit de la couverture de l'album : faire un album plus ”diecast” et introverti.
Lionel : Tu as publié sur Facebook : "Je viens de voir que Bolt Thrower se sépare. Si jamais il y avait un groupe que je respectais pour sa longévité dans l’élaboration de riffs, ce sont eux. Une très mauvaises nouvelles pour les fans de riffs de guerrier?"
Fenriz : C’est à nouveau pour honorer la musique des autres personnes que j’essaie de travaillerde la meilleure des manières possibles. J'ai rendu un dernier hommage à Bolt Thrower et à son art du riff. Via le site officiel de Darkthrone et Facebook, une quantité de personnes sait désormais notre attachement à ce groupe. Même sur un album comme Mercenary avec ces sons de batterie horrible, presque 100% de leurs riffs sont fantastiques.
Lionel : En France, nous avons un festival qui s’appelle le Fall of Summer où le thrash et le black metal sont bien représentés, mais il y a aussi de nombreux groupes des années 80 comme Satan, Grim Reaper, Manilla Road, Massacra (Tribute), Agressor, Exciter ... Que penses-tu de cette initiative et quels groupes proposerais-tu aux organisateurs si tu devais travailler avec eux?
Fenriz : Je ne suis pas celui qui devrait parler de prestations ’live’, j’ai toujours été l’homme d’un album et je sais qu'on ne peut pas recréer un album avec le son live. Pour moi, j’écoute et je profite de la musique seule avec mon casque. Je ne suis pas du genre à parler aux gens au travail, 28 ans de travail et je ne parle pas beaucoup, mais toujours avec mon casque. C’est pour cela que cette année j’ai dû voir 10 groupes en live. Donc, vous avez juste à trouver les meilleurs groupes avec le meilleur feedback et un fort attachement à leurs fans. Et là, il me semble que Cirith Ungol est le groupe qui commence à bien faire parler de lui et de ses prestations en Angleterre, ainsi que Black Magic (Norvège) qui marche bien actuellement. Mais qu'est-ce que j’en sais après tout, je ne les écoute que sur disque (rires). Pas pressé de les voir en live.
Lionel : Darkthrone a commencé à un moment où il n'y avait ni Internet ni appareil photo numérique. Maintenant, vous semblez à l’aise avec les réseaux sociaux, ton émission de radio, la proximité avec les fans. Est-ce difficile à vivre?
Fenriz : En gros l’underground était l’Internet de son temps et je n’ai aucun problème avec son utilisation. Je suis bon pour me concentrer sur mes propres écoutes et pouvoir communiquer sur un thème avec de nombreuses personnes. Ce n’est pas difficile à vivre, mais avoir aussi peu de temps est extrêmement difficile et je pense pourtant arrêter chaque jour. Je travaille 40 heures pour créer chaque émission de radio et à ce stade il est difficile de me voir travailler pour cela toujours gratuitement, mais bon, la musique est la chose la plus importante de toute façon.
Lionel : La nature est présente dans les textes et souvent dans vos publications sur Facebook ou Instagram. Comment vis-tucette relation qui semble «charnelle»?
Fenriz : Ma vie a beaucoup changé depuis ces 3 dernières années, maintenant je suis principalement à la maison.
Lionel : Vivre isolé comme toi, n’est-ce pas une façon pour toi d'ignorer ce qui se passe dans le monde avec ces problèmes internationaux ?
Fenriz: Non, je m’isole moi-même. Je fais 3 heures de trajet tous les jours pour aller au travail, il y a des gens partout, mon travail est plein de gens et quand je me connecte sur l'ordinateur, c’est rempli de gens qui me demandent plein de choses avec de nombreuses conversations. Oublier ce qui se passe dans le monde est impossible dans mon flux Facebook composé de gens très enthousiastes, de gens de la presse et d’autres personnes de la musique à travers le monde.
Lionel : Avec quel musicien aimerais-tu collaborer ?
Fenriz : Peut-être O.J (Ole Jørgen Moe alias Apollyon) d’Aura Noir. Cela me semble toujours un choix logique.
Lionel : Quand vas-tu organiser une grande fête où tu serais DJ pour nous envoyer le son de tes groupes undergrounds des années 80... avec du speed metal, du thrash metal mais aussi du punk improbable et du black metal le plus sombre ?
Fenriz : Voilà un autre emploi pour moi pour une autre vie, je dois arrêter de faire certaines choses pour être en mesure de bien le faire. Mais la paperasse qui en résulterait serait dévastatrice. Je dois faire ma comptabilité d'ici quelques heures et ça craint. Ici, si vous faites de l'argent avec quelque chose en dehors de votre journée de travail, il existe un ensemble de règles à respecter et lorsque vous devez faire la compta ça prend beaucoup de temps. Fondamentalement, vous devez vous enregistrer en tant que société propre et continuer ainsi. Ce n’est pas très motivant pour les gens de faire quoi que ce soit en plus, et vous pouvez demander aux autres ce qu’ils en pensent et ils vous donneront la même réponse.
Au moins ici à Oslo, nous avons beaucoup de spectacles mais pas de fans, les gens vont chacuns aux spectacle des autres. Nous sommes trop peu de gens dans cette ville et cela ne peut pas durer longtemps. On me demande toujours d’être DJ pour ceci ou pour cela, mais je n'ai pas le temps ni l'énergie, j’ai besoin de rester à la maison pour faire des choses comme les e-mails, les promos, la radio, mes playlists, écrire des articles, écouter, transférer des fichiers, créer.
Un podcast c’est un endroit où les gens peuvent écouter, être un DJ c’est simplement jouer de la musique pendant que les gens se rencontrent pour parler. Pas très motivant et je n’aime traîner qu’avec 2 -3 personnes à la fois, la foule ce n’est pas mon truc.