Benjamin Baret, guitariste de Ne Obliviscaris

Ne Obliviscaris a beau être un groupe australien, il a la particularité de posséder un guitariste français depuis plusieurs années déjà. A quelques minutes de monter sur scène à Helsinki, c'est un Benjamin Baret affable et fort sympathique qui nous accueille pour un entretien des plus chaleureux. Au menu, la tournée avec Enslaved, le troisième album du groupe en préparation mais aussi la difficulté de vivre à plein-temps en tant que groupe professionnel, cheval de bataille de Ne Obliviscaris depuis longtemps.

Salut Benjamin et merci de prendre un peu de ton temps avant le concert pour nous répondre. Comment se passe la tournée pour l’instant ?

Pour l’instant très bien, on est sur la route depuis deux petites semaines, deux shows avec Enslaved et une mini-tournée en tête d’affiche en Grande-Bretagne. C’était la première fois qu’on faisait ça là-bas et dans l’ensemble ça s’est bien passé. Il n’y a pas plus que quatre ou cinq heures de route par jour et c’est bien pour nous, ça nous change ! Ce n’est pas fatiguant du tout et on a eu des réponses positives, pas mal de monde quasiment partout.

Tout le monde est aussi content qu’on ait emmené Oceans Of Slumber avec nous, parce qu’ils nous complètent très bien et font de la très bonne musique. C’est dommage aujourd’hui c’est la seule date qu’ils ne font pas, on les rejoint dès demain au Danemark.

C’est la première fois que vous faites Helsinki ?  

Non, la troisième ! On a fait la première partie de Cradle of Filth il y a presque un an dans cette salle et on a fait le Tuska Open Air aussi, le gros festival ici. Mais aujourd’hui ce sera plus long évidemment, on avait eu une heure à Tuska ce qui était déjà très bien, mais là on jouera 80 ou 90 minutes. Le promoteur de Tuska nous avait adorés quand on a joué là-bas et c’est lui qui a fait le forcing pour qu’on revienne en tête d’affiche. C’était un pari pour lui pour rentrer dans ses frais mais il y a déjà presque 250 préventes de parties donc c’est un bon score on est content !

Vous alternez presque tous les jours entre shows en headline et concerts en première partie d’Enslaved. Pas trop dur de s’adapter au changement ?

Oui, mais on va vite se déshabituer (rires). On va vite redescendre en main support ce qui n’est pas plus mal parce qu’Enslaved c’est très bien et avec les trois groupes ça fait vraiment une belle affiche.

Mais oui, le stress d’être en première partie n’est pas du tout le même que celui d’être en tête d’affiche, les deux se valent. Quand tu fais la première partie tu es stressé tout le temps parce que les gens ne sont pas là pour toi, tu passes après la tête d’affiche pour le soundcheck par exemple ou même le repas, il ne faut pas perdre ton temps. Mais en temps de jeu on a quand même une heure ce qui est parfait pour moi parce que je peux bien me donner à fond, il n’y a pas de temps mort. Faire le spectacle pendant une heure et demi c’est difficile, il y a toujours un moment où l’ambiance redescend un peu.

Du coup niveau setlist, lorsqu’on est un groupe aux chansons très longues comme vous, comment se passe la sélection ?

Justement en pratique, on n’a pas tant le choix que ça. Si on a une heure de set : soit on joue 52 minutes, soit 62 minutes. Du coup généralement on essaie de jouer deux minutes de trop, en commençant trois minutes plus tôt. Mais si par malheur on arrive en retard, la tête d’affiche s’en contrefout et c’est normal, à l’heure prévue c’est plié que tu aies fini de jouer ou pas. Cela ne nous laisse pas beaucoup le choix, je me souviens que lorsqu’on était avec Cradle on avait 40 minutes et on avait qu’une seule configuration possible pour que ça marche. Donc on choisit les chansons en fonction de leur durée pour qu’elles se rapprochent le plus du maximum de temps alloué.

C’est vrai qu’en festival l’an dernier vous ne jouiez que la dernière partie de « Painters of the Tempest ».

Et oui, c’est le « tube » parce qu’on a fait un petit clip de cinq minutes pour ce morceau qui était censé être le single et donc ce que les gens allaient connaître. Le label en voulait vraiment un mais bon un clip ça coute cher et avec des chansons de douze minutes, je ne te raconte pas, on part sur un film après ! Donc le moins pire qu’on ait trouvé c’est cette solution et comme les gens étaient censés le connaître, on l’a mis dans le set. Moi ça m’allait, mais je sais que pas mal de gens étaient étonnés, genre « Mais vous avez sauté dix minutes de la grande chanson ? »

Mais du coup c’est la seule chanson de cinq minutes qu’on a et elle aide à compléter le set quand on n’a pas le choix, comme je te disais.

benjamin baret, ne obliviscaris, interview, 2016

Pour parler du nouvel album, on voit passer quelques signaux qui indiquent que c’est en bonne voie, c’est vrai ?

Oui effectivement, il est dessus d’ailleurs ! (Il désigne le guitariste Matt Klavins affairé sur un appareil à demo à l’autre bout de la pièce)  On a ces petits appareils avec lesquels on enregistre très correctement ces demos et ces riffs sur lesquels on bosse sur la route. Mais avant-hier on avait une journée off à Dublin et je ne sais pas ce qui s’est passé mais les idées fusaient et foisonnaient dans tous les sens, on a été bien productifs. On était dans un état minable avec deux chambres pour sept personnes (rires). On a beaucoup écrit et plein de trucs super, je n’ai pas bien compris mais tant mieux ! En tout cas pour nous, le meilleur baromètre d’un bon riff, ça reste le headbang. Si personne n’headbang, tu vires le riff tout de suite !

Et maintenant que vous êtes sur la route en permanence, vous arrivez quand même à composer ?

Il faut s’y habituer. Moi j’ai un truc : je ne peux pas écrire de riffs sans écrire de batterie. J’ai toujours la batterie en tête avec et du coup j’ai vraiment besoin d’être chez moi pour ça. Donc on jam sur la route mais ce n’est pas la manière la plus efficace. Quand je suis chez moi, je mets mon réveil à 7h30, je bois mon café, je fais trente minutes de gammes et ensuite j’écris jusqu’à ce que je m’écroule.

Mais il faut s’habituer à la route, j’ai demandé comment ils faisaient à tous les groupes pro que j’ai croisé, comme Arch Enemy, ils m’ont dit « On écrit dans le bus », de toute façon il n’y a pas le choix.
Mais encore faut-il avoir un bus. En tournée Europe on n’a pas encore eu le loisir d’en avoir un. Quand tu es dans un van, tu oublies déjà. Mais avec Enslaved on doit partager un tour bus donc ce sera l’occasion d’essayer.

Vous êtes plutôt enclins à faire un album long comme le premier ou plus court comme le deuxième ?

Non il sera court aussi je pense. Ça va mettre trop longtemps si on essaye d’en faire un long. Le premier c’était facile ! Le premier c’est toujours le plus facile, tu as toute ta vie pour l’écrire. Le premier album de NeO il a mis du temps, j’ai rejoint le groupe le plus récemment et je n’ai écrit qu’une chanson dessus. Le deuxième beaucoup plus et celui-là aussi mais je pense qu’il sera aux alentours de 45-50 minutes plutôt que 70. C’est mieux d’avoir un cycle d’album de deux ou trois ans maximum pour ne pas que les gens nous oublient, qu’on puisse continuer à tourner et ce genre de choses. On ne peut pas s’enfermer, retourner à notre travail de tous les jours et attendre quatre ans d’avoir de nouveau 70 minutes de musique. C’est mieux comme ça.

Benjamin Baret, Ne Obliviscaris, 2016, interview

Tu abordes un sujet important autour de NeO, à savoir votre système de financement par les fans sur Patreon. Cela fait presque un an qu’il est en place, vous avez déjà pu en faire un premier bilan ?

C’est déjà beaucoup plus dur que ça en a l’air, il y a plein de trucs à faire et il faut les faire quand on est sur la route. Niveau logistique ce n’est pas toujours pratique, il y a des décalages horaires dans tous les sens comme on parle avec des gens de toute la planète et ce n’est jamais facile de tout organiser.

Ce n’était pas un coup d’épée dans l’eau mais il fallait bien essayer quelque chose. On est tous d’Australie, moi compris maintenant que j’habite là-bas et comparé à n’importe quel groupe américain, ou européen, on dépense 11 000€ de plus pour venir. C’est le genre de truc qui tue 99% des groupes en Australie et dieu sait que la scène est excellente. Donc il nous fallait un truc, d’autant qu’on est tous vieux tu vois, tout le monde est marié sauf moi, a des gamins donc tu ne peux pas te permettre de partir et perdre de l’argent pendant six semaines comme absolument tous les groupes que tu vas voir.

Evidemment être sur la route c’est fantastique, tout le monde adore mais à un moment, ce n’est plus possible. Aujourd’hui, un album c’est une carte de visite, rien de plus. J’ai dû gagner cinquante euros à tout casser en vente d’albums et royalties, donc qu’est-ce que tu veux faire ? En Australie il y a en gros huit villes dans lesquelles tu peux jouer et tu ne peux pas jouer tous les mois, donc les possibilités sont vite limitées. Ici en Europe, il y a 80 villes où tu peux jouer et gagner de l’argent et elles sont toutes à quatre ou cinq heures de routes les unes des autres donc c’est parfait.

Donc il fallait essayer quelque chose. Patreon n’est peut-être pas la plateforme la plus adaptée mais c’était un bon coup de pied dans la fourmilière. Plein de gens aiment, plein de gens détestent, moi je connais pas mal d’artistes qui sont déjà dessus mais qui ne sont pas dans le metal, par exemple le youtubeur Rob Scallon qui se finance bien avec ça. Mais nous on est un groupe alors c’est un peu moins bien passé j’ai l’impression. Le metal c’est très intransigeant.

Et encore j’ai l’impression que c’est mieux passé pour vous que pour d’autres groupes comme Jaded Star par exemple.

Ah ouais ? C’est bizarre parce que dans l’histoire personne n’est forcé à investir, si tu n’aimes pas, ne donne pas et voilà tant pis. En tout cas nous ça nous aide, moi concrètement ça me paye mon loyer quand je ne suis pas là. Je ne gagne pas d’argent sur la route mais au moins je n’en perds pas, quand je reviens je n’ai pas encore plus de dettes. En tant qu’immigré en Australie, je n’ai pas droit à grand-chose et donc ce n’est pas facile. Et c’est toujours mieux qu’aller mendier un putain de prêt à une banque.

Certains groupes comme Skiltron ont aussi décidé d’émigrer, pour s’installer définitivement en Europe. Vous n’avez pas envisagé cette solution ?

Pour moi ce serait facile évidemment mais pour les autres, la procédure de visa est bien trop complexe pour espérer quelque chose. Et même, comme je te l’ai dit, tout le monde est marié avec des gamins dont tout le monde ne peut pas partir avec sa famille et s’installer en Europe. Peut-être que si on fait 100% de notre objectif (on touche du bois), on pourra se permettre de passer six mois à droite, six mois à gauche. Pour l’instant, non. A la minute où on sort de l’avion pour rentrer de tournée, on retourne au boulot. On a tous plus ou moins des boulots dans la musique maintenant. Donc s’installer en Europe n’est pas à l’ordre du jour. Ils seraient bien incapable d’apprendre une autre langue de toute façon ! (rires)

Benjamin Baret, 2016, interview, ne obliviscaris

Une question sur votre son : vous avez la réputation d’avoir toujours un excellent son sur vos concerts et ça se confirme à chaque fois que je vous vois. C’est quoi votre secret ?

C’est lui là ! (Il désigne l’ingénieur son en train de faire la sieste sur un canapé) Il nous mixe depuis près de cinq ans et il a enregistré les deux albums. Personne n’a écouté du NeO plus que lui dans la vie, même pas moi ni aucun du groupe. Il est tout le temps en tournée avec nous donc il y a une grosse confiance qui s’est nouée.

Et en tournée on essaye aussi d’avoir le son le plus clair possible. On n’a pas d’ampli, pas de son sur scène pour éviter d’avoir la moindre pollution. Et en festival comme au Graspop ou au Hellfest, ça nous aide particulièrement d’autant qu’on n’a pas de balances.

Justement, en festival le son est souvent plus que moyen, je pense au Hellfest par exemple.

Tu remarqueras que c’est bien souvent ceux qui repiquent depuis les amplis qui ont un son pourri. Les amplis c’est très bien pour les salles, pour le studio mais pour les festivals ce n’est pas le top. Les mix à ciel ouvert c’est très dur aussi.

Et petit conseil quand tu travailles sur le son de ton instrument, il faut le faire en groupe, pas le faire chez soi. Tout seul chez toi, tu as beau être super content de ton son mais une fois que tu es dans le mix ça ne fonctionne plus du tout. Tu te retrouves à jouer avec le bassiste et tu empiètes sur ses fréquences. Du coup moi avec ma guitare, je déteste le son que j’ai quand je me branche chez moi et que je joue, mais c’est le son qu’il faut pour que lorsqu’on se branche en groupe, je sois là où je dois être dans le mix et pas ailleurs.

Benjamin Baret, Ne Obliviscaris, 2016; interview

Du coup en tant que français du groupe, quelle relation tu trouves que NeO a avec le public français ?

Effectivement on a fait un petit concert à Bordeaux pour rigoler, c’est moi qui avais forcé histoire que tous mes potes de là-bas n’aient aucune excuse pour nous rater (rires). Pour moi c’est toujours un peu spécial, après on n’a pas joué tant que ça en France. On a fait les festivals, Bordeaux, Paris, Strasbourg… Le catering est toujours très bien, au niveau de la bouffe, ils sont étonnés oui. Mais pour les Australiens c’est comme les Américains, ils ne comprennent pas qu’on puisse conduire quatre heures et être dans un autre pays avec une autre culture et une autre langue donc ce n’est qu’une étape parmi les autres.

C’est plus quand on a le temps de passer quelques vacances dans la campagne d’où je viens où ils ont l’occasion de découvrir la France et sa culture. Moi ça me fait plaisir quand on joue en France, déjà je n’ai pas trop l’occasion de parler français dans la vie de tous les jours et j’adore Paris donc c’est toujours sympa d’y revenir.

Dans les compositions de NeO, tout le monde a son petit moment de gloire selon les moments. Quelle chanson est la plus fun à jouer à la guitare pour toi ?

(Après une longue réflexion) J’aime bien jouer « Pyrrhic » parce qu’il y a un ou deux riffs qui sont vraiment super chauds à jouer et tous les soirs je joue ma vie pour les passer. Et elle est bien complète, la deuxième partie est super facile et calme à jouer. « Painters Of The Tempest » est cool aussi parce qu’il faut une grosse endurance, c’est un quart d’heure qui tire bien sur les muscles. Mais je vais rester sur « Pyrrhic » , il y a des bons riffs en ¾ bien rentre-dedans, très death metal.

Et la deuxième partie atmosphérique est assez dingue aussi.

Beaucoup de gens l’aiment bien effectivement. Tu vois, c’est le genre de trucs qu’on a écrit en trois heures, quand la grâce tombe du ciel et qu’on a de l’inspiration. C’est un peu comme ça qu’on marche pour la moitié de l’écriture avec NeO, on jam et dès fois il se passe des trucs. Et des fois tu jams tous les dimanches pendant un mois sans produire rien de potable.

Merci beaucoup Benji ! Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour cette fin d’année et pour 2017 ?

Tout simplement qu’on finisse l’album en beauté, comme il faut le plus rapidement possible et on pourra revenir ici ! 

Merci à Benjamin, Tim Charles et Gunnar de Season Of Mist.

Photos : Olga Poponina / Headbanger.ru



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