Brahim – Sans Haine

Brahim est un fédérateur; ils ne sont pas si nombreux que cela dans le reggae français, mais son premier opus, Dans Quel Monde On Vit, avait réussi à créer l'unanimité parmi les amateurs de musique Jamaïcaine, et il est encore régulièrement cité comme une référence par le public, ainsi que par de nombreux artistes, pour lesquels il constitue une influence. Parmi ces artistes, les Danakil,  un des groupes phares de la nouvelle génération du reggae français, qui renvoient aujourd'hui l'ascenseur au vétéran en produisant sur leur tout nouveau label Baco Records ce nouvel album, intitulé Sans Haine. Vétéran, Brahim l'est assurément : même si sa carrière a connu des hauts et des bas, il fait de la musique depuis plus de vingt ans. Après le succès de son premier effort, il retombe dans l'underground, et la suite de Dans Quel Monde On Vit se fait désirer pendant dix ans. 2009 signe le retour de l'artiste avec Toujours Sur La Route, mais bien que le contenu soit plus que solide, le projet se solde par un relatif échec commercial. Malgré cette expérience, le tourangeau ne tarde pas autant à refaire parler de lui sur album et sur les planches. C'est en compagnie du guitariste et compositeur Kubix, un autre activiste de longue date – on se souvient par exemple de l'excellent album Sly meets Kubix – Tears of Freedom, ou de ses collaborations avec Winston Mc Anuff ou Queen Omega – qu'il présente donc Sans Haine.

L’éclectisme est de mise : Brahim nous emmène dans son monde dès les premières notes de « Faut-il », et ne nous laisse en ressortir qu’après les dernières mesures de « Bon vieux temps ». Comme il le déclarait dans une interview parue sur Reggaefrance.com : « c'est mon mérite à moi : quand tu écoutes mes albums, j'ai mon identité et ma personnalité. Tu m'aimes ou tu ne m'aimes pas mais c'est comme ça. ». Et quelle identité ! L’album est loin des canons du reggae, de ce skank parfois machinal. Tout s’y mélange : reggae roots bien sûr, mais aussi soul, rub a dub ou chanson française (« Ne me quitte pas » est une reprise de Jacques Brel ). « Clone » surprend même par des accents rock'n'roll très prononcés.

Tout ça s’entremêle donc sous la houlette de Kubix, pour tisser un univers complexe dans lequel Brahim peut laisser libre cours à son indéniable talent, et à la variété de ses flows : mélodieux sur des ballades comme « Comment te le dire » ou « Bon Vieux Temps », le singjay s’énerve sur des titres plus rapides et dynamiques comme « Clone », ou un « Brique après Brique » d’anthologie qui réunit des invités de choix . Jugez plutôt : Asha B (cousin de Brahim, et son coéquipier au sein du Wadada Sound System), Merlot (ex-chanteur de Baobab, groupe pionnier du roots en France), Daddy Nuttea (qu’on ne présente plus) et Pierpoljak (qu’on présente encore moins) ; bref, la crème de l’old school rassemblée pour ce qui est sans contexte un temps fort de l’album..

 

Brahim - "Faut-il ?"


Cependant, se concentrer uniquement sur l’incontestable réussite de cet album sur le plan musical reviendrait à passer à côté de toute une dimension de l’artiste : avant tout, Brahim est un poète, et ses textes sont d’une qualité rare. L’homme a un sens de la punchline à toute épreuve et des refrains qui vous restent coincés entre les tympans pendant des jours. Les 12 morceaux dressent son portrait, par petites touches : ses amours (« Comment te le dire »), ses révoltes (« Faut-il »), son histoire (« Bon vieux temps », hommage à son quartier de la Rabaterie), son amour de la musique (« Prendre le micro »)… Le titre de l’album prend tout son sens à l’écoute de ces paroles, posées et réfléchies, « sans haine ». La révolte est toujours là, mais on est loin de la rébellion grondante d’un titre comme « J’entends les cris ». Le discours est plus posé, plus réfléchi, plus nuancé peut être, à l’image de « Faut-il ? » ( récemment illustré par un clip) qui questionne l’idée même de révolution, loin des clichés du faux rebelle en t-shirt Che Guevara. Une fois encore, Brahim est à l’aise sur tous les tableaux, et qu’il s’agisse de chansons d’amour ou de  commentaires sociaux aiguisés, les lyrics sont toujours d’une grande justesse.

Le tourangeau navigue entre les styles, entre les flows, entre les thèmes, mais toujours avec une grande pertinence. Il en ressort un petit bijou, un opus de qualité, travaillé et mûri pendant trois ans. Sans Haine s’écoute et se réécoute en tendant l’oreille, pour bien distinguer chaque variation de style, chaque clin d’œil, chaque subtilité des paroles, et ne souffre aucun temps mort. On retrouve l’identité forte et immédiatement reconnaissable qu’il construit depuis vingt ans et trois albums, loin de n’impote quel code ou carcan. Comme il le dit lui même : « Si l’avenir c’est d’être un clone, voici mon dernier album ! ». Brahim livre un album réjouissant, que je ne peux que vous conseiller d’acquérir au plus vite !

Tracklist :
01. Faut-il
02. Sans haine
03. Clone
04. Derrière
05. Prendre le micro
06. Comment te le dire
07. Pour toi
08. A qui
09. Brique à brique
10. Ne me quitte pas
11. Décidé
12. Bon vieux temps



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