Trois ans et un batteur après Ótta, Sólstafir accouche de Berdreyminn (Season of Mist), son sixième album. L’occasion de revêtir son plus beau stetson pour rêver au milieu des fjords. L’année 2015 avait marqué un tournant dans la vie du groupe et le rapport avec ses fans. Le batteur, Guðmundur Óli Pálmason, avait été viré du groupe après “20 ans de travail acharné et de sacrifices personnels”. Des faits que le groupe s’était, par la voix de son leader, contenté de nier, sans jamais donner de véritables arguments.
Deux ans après de ce que l’on peut considérer comme un psychodrame du côté des fans, les Sigur Rós du metal viennent de prouver qu’un groupe peut très bien continuer sans ses membres fondateurs (c’est arrivé et ça arrivera encore). Alors oui, il y a peut-être quelque chose de différent, mais ça ne s’entend pas. Ou alors très peu.
Au niveau de la production globale, par contre, les changements se ressentent. Si Sóstafir fait toujours du Sólstafir, à savoir emmener son auditeur au milieu des fjords dans un état hypnotique, le son est différent. Il est plus sec, moins enrobé. Et ça donne une autre dimension au groupe, à son univers, à sa production. Ni meilleure ni moins bien que sur les précédents albums. C’est notamment le cas dans "Hula", où les guitares saturées ont un son très incisif, très tranchant. Et pourtant, ce son si spécifique, si particulier dans l’approche post-rock des Islandais, est largement compensé par une batterie toute en paradoxe, massive mais aérienne.
Plusieurs facteurs ont pu faire que les fans de la première heure (votre serviteur inclu) soient déçus de ce tournant sonore, notamment pour le premier single "Ísafold". Pour le groupe “c’est comme si l’esprit de Thin Lizzy [leur] avait rendu visite”. Et cet esprit, il est présent sur tout l’album. Ni trop, ni pas assez. Il se mélange bien avec l’esprit de Sólstafir, à savoir quelque chose de très organique, de très aérien. Comme pour la partie de batterie de "Hula", on est dans un lieu où des forces contraires s’affrontent pour donner naissance à quelque chose de nouveau.
Le morceau le plus représentatif de ce mélange serait "Dýrafjörður", avec son intro au piano et un ensemble à corde, très mélancolique, un aspect emprunté directement à Ótta. Vient ensuite un solo typé années 70, proche des classiques du genre Thin Lizzy (encore) ou de Pink Floyd, mais qui garde toujours ce côté hanté à la Sólstafir. Arrive enfin le chant, distant, lunaire, d’Aðalbjörn Tryggvason. Pendant sept minutes trente, tout concorde dans la même direction : plus loin dans le fjord, plus loin dans les volcans.
Le deuxième single, "Bláfjall", avait lui aussi laissé des fans sur les dents. Parce que le son d’orgue, ça ne ressemble tout simplement pas à ce que le groupe avait pu faire. Parce que ces grosses rythmiques hard rock avec un charley grand ouvert, ça ne colle pas vraiment à ce que le groupe a l’habitude de produire. La voix d’Aðalbjörn ne ressemble pas, elle non plus, à ce à quoi elle ressemblait sur les autres albums. Elle est à la fois plaintive et presque rageuse. Mais, noyés dans l’album entier, ces morceaux, s’ils ne disparaissent pas, arrêtent de faire grincer des dents. Parce qu’ils sont dans leur environnement.
Sólstafir parvient donc à rester debout malgré un line-up historique fracturé et une fanbase qui attendait le combo au tournant. Trop peu de groupes prennent des risques, que cela concerne leur image ou leur son. Se renouveler demande, au-delà d’une certaine inconscience, du courage et de la volonté. Parce qu’on risque de perdre son public, parce qu’on risque de décevoir ceux qui sont derrière depuis le départ. Metallica l’a toujours fait. Gojira l’a fait. Et, si le quator islandais a pu flotter dans les fjords sans couler, c’est qu’ils avaient plus de ressources que prévu et qu’un batteur, aussi bon soit-il, ne fait pas tout.