A l'occasion de la sortie d'Incorruptible, nouvel album d'Iced Earth, nous avons pu rencontrer Jon Schaffer pour discuter de l'opus et de l'actualité du groupe.
Beaucoup des albums d’Iced Earth ont pour thème la guerre. Avec ce nouvel album, Incorruptible, il semblerait que ce soit toujours un sujet qui vous tienne à cœur. Qu’est-ce qui t’inspire dans le thème de la guerre ?
Au final, on n’a que deux albums qui parlent réellement de guerre, dont The Glorious Burden, qui parle de la bataille de Gettysburg. Ici, tu dois faire référence au morceau « Clear The Way », qui n’est pas vraiment sur une bataille en particulier mais parle de la brigade irlandaise. Des immigrés irlandais qui se sont retrouvés au milieu de la guerre civile et ont été victime de la situation. C’est en réalité une histoire humaine très lourde. Mais j’ai toujours été fasciné par l’histoire, j’adore l’histoire napoléonienne, l’histoire militaire en général. Avec une préférence pour tout ce qui concerne la guerre civile américaine. Je ne sais pas tant pourquoi, mais depuis que je suis gamin, ça a toujours été une période qui m’a fasciné. Nombre de mes amis préfèrent la Seconde Guerre mondiale, les gars de Sabaton par exemple, qui ont beaucoup d’autres périodes dans leurs influences mais sont avant tout centrés sur la Seconde Guerre mondiale. Je pense que ces choses nous parlent, d’une certaine façon, plus profonde, ça a quelque chose à voir avec notre chemin spirituel, la façon dont on partage cet héritage. C’est une passion, et la brigade irlandaise, j’avais l’idée d’écrire un morceau dessus depuis longtemps, c’est resté en surface, et je me suis dit qu’il était temps de le faire.
Y’a-t-il une idée, un message, derrière Incorruptible, le titre de l’album ?
Oui. Il y a plusieurs parallèles qu’on peut tirer à travers l’histoire d’Iced Earth, et je dirais que la réelle raison du titre est qu’on donne l’image d’être incorruptibles depuis le début. Quels qu’ont été ceux qui sont partis, les relations difficiles, les obstacles, les situations financières, le groupe a tenu vingt-sept ans avec son intégrité.
Sur l’album, il y a un morceau, « Ghost Dance », qui est un chant natif américain. Est-ce que c’est quelque chose qui pourrait devenir l’objet d’un concept-album, comme l’a été la bataille de Getysburg ?
Tout est possible. Je n’en ai aucune idée pour l’instant, ce morceau et l’hommage à la culture des natifs américains est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps. Ca a toujours été comme ça dans l’histoire d’Iced Earth, même un morceau comme « Watching Over Me » a été écrit bien des années après la mort de mon ami, mais je savais depuis le début que je l’écrirais. Quelquefois, ça commence avec une idée qui stagne, et qui refait surface lorsqu’elle le doit. « Ghost Dance » est l'un de ces morceaux, qui s’est d’ailleurs bien éloigné de mon idée originale, mais le sujet même, sur leurs tribulations, ce qu’ils ont traversé, est bien là, j’ai l’impression de leur rendre justice.
Est-ce que la façon de composer un album aujourd’hui est différente après trente ans sur la route ?
Dans un sens oui. Les mécaniques sont différentes. Au début, on vivait tous dans la même ville, c’était plus simple de se retrouver pour jouer ensemble, composer. Depuis que chacun habite aux quatre coins du monde, c’est différent. Quand on décide d’enregistrer, il faut que je prépare un studio où j’ai déjà préparé des démos et de la pré-production, pour que chacun puisse apprendre sa partie. Par exemple, si Luke m’envoie une idée depuis l’Angleterre, un riff, je vais le travailler, programmer les batteries, l’envoyer aux garçons pour qu’ils aient une idée claire de ce qu’ils ont à jouer et que leur travail prenne moins de temps.
Du coup, l’arrivée de Jake Dreyer a un peu chamboulé le processus ?
Non, parce qu’il est arrivé tard. Tout était terminé en terme d’écriture et d’arrangements, il est juste arrivé avec son gros son de guitare et ses solos mais il contribuera bien par la suite, sans aucun doute, c’était juste trop tard. Quand Troy m’a dit qu’il voulait quitter le groupe, j’avais déjà bien avancé, et quand Jake est arrivé, on l’a auditionné justement en lui donnant les démos et voyant ce qu’il proposait par-dessus. Il a beaucoup de bonnes idées musicales, ça va être super de bosser avec lui.
Etant le dernier membre originel du groupe, comment ressens-tu tous ces changements ?
Tu sais, au final, au-delà d’un groupe ça a toujours été mon projet, ma vision et je m’y suis toujours tenu, représenté. Il y a des changements difficiles, des fois ça ne pose aucun souci, des fois c’était nécessaire. Certains qui ont quitté le groupe ont gardé d’excellents rapports avec nous, ça se passe toujours bien, et avec d’autres, je ne m’étais jamais entendu de toute façon, on n'avait pas de contact du tout. C’est comme ça. Troy a été le dernier à partir, son fils est autiste, ça a été une décision difficile et c’est un de mes amis les plus proches et ce jusqu’à la fin. Encore aujourd’hui, on s’écrit des messages tous les jours, il habite à vingt minutes de chez moi, c’est le seul membre du groupe qui est de l’Indiana. C’était dur de voir Troy partir, c’est vraiment un frère pour nous, il nous faisait tout le temps rire avec son sens de l’humour complètement barré. C’est une importante part de l’alchimie entre nous. Cela dit, Jake a 25 ans, et il est tout aussi taré que Troy, donc cet aspect n’est pas complètement parti. Il a fait sa première tournée avec nous en décembre, il a fait un super boulot sur scène et on s’est vite rendu compte que ça se passerait très bien avec lui. Depuis les premières répétitions jusqu’à maintenant. C’est une énergie différente, une alchimie différente, mais pas dans un mauvais sens.
Une membre de notre rédaction adore l’album « Horror Show », et elle se demandait s’il y aura une seconde partie…
Comme je t’ai dit, tout est possible ! Je suis toujours ouvert, il n’y a que de rares fois où j’ai décidé directement ce qu’on allait faire par la suite, je laisse faire mon envie, mais ne prends aucune décision rapide, on verra dans quelques années, après la tournée. Ce sera décidé quand tout autour de cet album sera fait et qu’on se concentrera sur l’écriture. Je peux te dire que ça a été en discussion, donc on verra bien !
Tu as un morceau, « Written On The Walls », qui est devenu « Cast in Stone », une anecdote derrière ce changement de nom ?
Oui, il y en a une, c’était il y a longtemps. Le premier chanteur avait écrit les paroles pour « Written On The Walls », mais je n’étais pas convaincu par les lignes de chant. J’ai proposé à Matt l’opportunité de réécrire quelque chose en terme de mélodies et paroles, en lui disant de ne pas trop s’en tenir à l’ancienne version, ça s’est passé comme ça.
Les groupes de metal ont souvent des personnages emblématiques. On a Eddie pour Iron Maiden. Vous avez un personnage récurrent, y’a-t-il une histoire autour ?
Il n’est pas sur toutes nos pochettes. Sur Incorruptible, il est sur la pochette, la dernière du livret, la page centrale, mais on n’a aucune parole qui parle de lui d’une quelconque manière. Ce sera peut-être le dernier album où on le verra sur la pochette, on n’en a pas forcément besoin. Mais c’est une longue histoire, nos fans en connaissent une partie. Pour la faire courte, c’est une histoire qui se déroule sur 12 000 ans, c’est ancré dans l’histoire humaine, extraterrestre, des références bibliques, conspirationnistes, c’est aussi clairement une question de perspective, ça peut être le Christ ou l’Antéchrist. C’est un délire assez fou, les derniers morceaux de cet album sont basés sur trois timelines où se déroule cette histoire, si tu regardes les paroles, ça y fait directement référence. L’idée est que je peux prendre n’importe quel événement de l’histoire humaine, et j’invente un parallèle avec notre personnage et sa continuité.
Tu as un side-project avec Hansi Kürsch de Blind Guardian, Demons & Wizards. Y’aura-t-il une suite à ce projet ?
Oui ! On nous le demande depuis pas mal d’années, et on est actuellement en train de travailler dessus. J’ai envoyé deux morceau à Hansi, il est en train de bosser les parties vocales, on en est au début mais on est dessus ! C’est quelque chose qu’on a envie de faire depuis un moment mais on a des agendas assez chargé, et maintenant, il est temps qu’on commence. On s’y est engagé, ça prendra un moment, mais nos fans peuvent se rassurer, ça arrive ! Je sors d’un cycle avec Iced Earth, du coup je ne voudrais pas bâcler le travail parce que je suis fatigué, donc je dirai que ça va prendre encore un an, peut-être deux, même si j’en doute.
Je ne vais pas te parler de l’avenir d’Iced Earth, parce que comme tu le dis toi-même, on verra bien, mais as-tu un certain regard sur ta carrière, tout ce qui s’est passé jusque-là ?
Tu veux que je te lise un livre ? (rires)
Des choses que tu as adoré, que tu regrettes ?
Tout ce que je peux dire, c’est que le futur est bien plus excitant que le passé. Cet album marque un tournant, c’est d’ailleurs ce qu’on veut dire avec le titre, on est toujours là et on emmerde ceux que ça dérange. Pas les fans, mais tous ceux qui voudraient mettre en doute la force qu’on représente. On s’est battu contre le vieux modèle du business musical, qui a toujours été injuste envers les artistes, et on le voit se détruire. Pour moi, voir cette nouvelle ère, c’est excitant. Les gens consomment de la musique différemment, deviennent bien plus indépendant, et c’est notre dernier album sous contrat. C’est un grand moment pour nous. Beaucoup d’artistes en auraient peur, j’y vois une opportunité de prospérité. On a eu beaucoup de moments difficiles, où beaucoup de monde s’est fait de l’argent et pas nous. Ca n’a pas un rapport direct avec l’argent, si je faisais ça pour m’enrichir j’aurais arrêté ça depuis longtemps. Mais on a besoin de vivre, et c’est très frustrant quand tu travailles dur et que d’autres te volent ton dû pendant que tu galères. C’est en grande partie pour ça qu’on a eu autant de changements de line-up, de gens qui ont été contraints d’abandonner l’aventure en cours de route. Je n’ai jamais abandonné, je le ferai quand je serai prêt. Si quelqu’un vient me dire que c’est fini pour moi alors que je ne l’ai pas décidé, je lui fonce dessus et on en reparle. Quand j’en serai au point où j’aurai l’impression d’avoir atteint mon but, d’avoir dit tout ce que je voulais en tant que compositeur, je serai en paix avec moi-même, et j’arrêterai. Je ne veux pas devenir un de ces artistes qui te sort six albums de mauvais morceau, je préfère arrêter. Malgré tous les soucis que le groupe a eu, je veux qu’on puisse regarder le catalogue et se dire qu’on a eu une carrière fantastique de bout en bout. Je veux arrêter selon mes propres termes, point barre.