A new era begins...
"Take an amazing journey to a world of wonders, to a place that will blow your mind and move your heart, so you will never be the same... again!"
Après ces quelques mots digne d'une BO Hollywoodienne, on se croirait presque revenu le temps de deux minutes dix ans en arrière. Vous vous souvenez, le fameux Prophet of the Last Eclipse dont on vous a causé façon fleuve il y a quelques jours ? L'introduction intulée ici "Quantum X" nous rappelerait presque "Aenigma". Et si Luca Turilli nous revenait avec une suite de ce majestueux album ? Hmm, ne nous embellons tout de même pas... quand bien même ce dernier ait quitté Rhapsody of Fire, il ne nous propose pas pour autant un quatrième opus solo (qui probablement jamais ne viendra) mais bel et bien un album de Rhapsody... quoi ?? Attendez un peu, revenons en arrière...
*rewind*
Tout commence un sombre jour du mois d'août 2011, le 16 pour être exact... Un communiqué étrange tombe sur le site officiel du combo italien : Luca Turilli, accompagné des français Patrice Guers (bassiste) et Dominique Leurquin (jusque là guitariste live), quitte Rhapsody of Fire. Le choc. Le co-fondateur et compositeur principal s'en va... et décide de former un autre groupe autour de sa base française, accompagné du batteur Alex Holzwarth qui jouera dans les deux groupes. A ce moment-là c'est l'incompréhension qui règne, on comprend dès lors mieux l'arrivée de Tom Hess en tant que deuxième guitariste quelques mois plus tôt. Mais alors, que va-t-il se passer pour l'ami Turilli ?
Ce n'est que quelques semaines plus tard qu'on apprend le nom de ce nouveau groupe : Luca Turilli's Rhapsody. Rien que ça ! Je vous laisse imaginer le tollé parmi les fans... Après Rhapsody transformé en Rhapsody of Fire pour de sombres histoires de droits (ou merci Joey DeMaio et Magic Circle au passage ?), après un silence forcé de quelques années, voici que Rhapsody est de retour sous un autre nom en plus d'un Rhapsody of Fire à moitié dénaturé continuant sans Luca et avec un gratteux américain sosie de Rob Halford et Kerry King à sa place.
Le 30 janvier de cette année, Luca annonce que son premier album s'intitulera Ascending to Infinity et sortira le 22 juin chez Nuclear Blast. Et cela tombe bien, puisque c'est de celui-ci dont on parle dans ce papier. Il ne lui restait donc plus qu'à annoncer son nouveau chanteur, celui qui allait devoir faire "oublier" Fabio Lione. Point de Olaf Hayer aux commandes, ce dernier étant sacrifié tout comme le projet solo du maestro ainsi que son Dreamquest à chant féminin (qui lui ne laissera que peu de regrets, avouons-le, s'il n'est pas reconduit), mais un dénommé Alessandro Conti, fan absolu de Helloween période Kiske à qui il avait rendu plusieurs hommages live avec son autre groupe Trick or Treat. Et là on se prend à rêver, Luca nous avait annoncé il fut un temps son envie de faire son Keeper of the Seven Keys Part III à sa façon, et avec ce nouveau vocaliste cela semblait donc possible, d'autant plus que l'on pouvait entendre "March of Time" à un moment du trailer annonçant l'arrivé du rital citrouillé.
Rajoutons enfin un ultime rebondissement avec le départ (déjà) d'Alex Holzwarth, ne pouvant pas concilier les deux Rhapsody en vue des tournées à venir, même si ce dernier aura eu le temps d'enregistrer les parties batteries de l'album. Enter Alex Landenburg, dont on peut déjà admirer la patte sur quelques albums de Annihilator ou Mekong Delta, et qui a déjà joué en live pour Stratovarius et Symfonia. Il ne restait donc plus qu'à découvrir cet Ascending to Infinity, non pas sans impatience.
*fin du rewind*
Alors, Prophet of the Last Eclipse Part II ? Keeper of the Seven Keys Part III façon sympho ? Rhapsody of Fire sans le of Fire Part II ? C'est compliqué. En tout cas il s'agit là pour Luca du 11ème album de Rhapsody, enfin le voit-il de cette manière, prétendant qu'Alex Staropoli et sa bande sortiront eux aussi leur propre vision du 11ème album de Rhapsody, libre à nous de le voir comme un 11bis ou premier du nom... Mal à la têteeeeuh ! Et la musique alors, donne-t-elle aussi la migraine ? Non, absolument pas, bien au contraire.
Si ce n'est pas l'album parfait qu'a pu être à son époque le second disque solitaire de Luca, il s'en rapproche potentiellement et nous en offre très certainement un revival moderne des plus poignants. Aurait-il été parfait si le morceau "Fantasia Gotica", un temps annoncé dans la tracklist, avait-été mixé à temps ? Ou si la chanson mise à la place, une reprise d'un tube italien que Luca a découvert à la télé française (!!), avait été substituée par "March of Time" de Helloween qui figurera bel et bien sur la version digipack ? L'histoire ne le dira certainement jamais, sauf lorsqu'on découvrira la chanson oubliée en téléchargement gratuit probablement au mois de septembre prochain, mais cela est déjà une autre histoire. "Luna", telle est le nom de cette reprise inattendue et imprévue figurant en septième position sur l'album, un titre interprété à la base par Alessandro Safina et qui, malgré les efforts opératiques divins de l'autre Alessandro, ne pourra que nous ennuyer à la longue, faisant retomber le rythme de l'album entre deux tubes intergalactiques. Et ce n'est pas l'intervention de Bridget Fogle (elle s'accroche la bougresse ^^) qui relèvera le tout malgré un grain envoûtant dans son interprétation ("Only you can heal my soul...").
Parce que oui, pour le reste on est gâté ! Alors continuons dans le descrescendo en citant peut-être l'autre morceau un poil en dessous au milieu de cette constellation de compositions étoilées, même si ce "Dante's Inferno" se laisse parfaitement dévorer en mode quelque peu classique - peut-être un poil trop par rapport au reste ? Sur ce titre, Conti se démène comme un beau diable, mais n'atteint pas foncièrement la grâce qu'il aurait pu convoiter, la faute à une structure un peu bateau qui aurait fait un superbe morceau sur Triumph or Agony (album considéré comme étant le moins abouti du Rhapsody) mais qui se s'installe en moment faible sur cette galette. Surtout après le génialissime brûlot d'ouverture.
A partir de là on peut démarrer l'enchainement de compliments, de jouissances verbales, si on le désire... Mais restons mesurés, l'objectivité peut peiner à se faire une place mais va finalement aller de pair avec l'analyse de ce premier Rhapsody nouvelle-ère. Car on a beau retourner le CD dans tous les sens, on ne peut qu'être comblé par ce que Luca, Conti & co nous ont proposé sur cet album à la fois riche, varié, divers et classique. Comment le situer dans la carrière du guitar hero transalpin ? Un peu entre Prophet of the Last Eclipse, justement, et le doublé The Frozen Tears of Angels/From Chaos to Infinity, autrement dit les deux derniers opus à date de Rhapsody of Fire. Surtout le dernier en fait, mais en mode survolté et affiné par des arrangements d'une prouesse rare. Allez, n'ayons pas peur de le dire, Luca Turilli réussit à surpasser son ancien compère Alex Staropoli dans l'art d'orchestrer sa musique, avec une touche plus baroque/cosmique largement apparue sur le fameux chef d'oeuvre solo d'il y a dix ans. C'est également au niveau des chorales que l'on retrouvera ce parallèle certain, et même si les référénces à Prophet se feront avec parcimonie on ne peut s'empêcher d'avoir sous nos yeux - enfin nos oreilles - un beau revival de cette époque dorée qui, en 2002, verra également l'avènement de l'excellent Power of the Dragonflame (le dernier Rhapsody "ancienne génération" avant l'arrivée du très soigné mais peut-être très Staropoli-oriented Symphony of Enchanted Lands II) qui a su laisser son empreinte dans quelques unes des pistes de ce nouvel opus.
Lorsque Luca Turilli prend les reines, rien ne lui résiste. Et on comprend aisément la décision qu'il a prise de continuer l'aventure seul sans avoir à écouter les recommandations de Staropoli, voire même à les subir. Il l'avoue lui-même dans l'interview qu'il nous a accordé, Alex et lui prenaient des chemins différents et n'avaient plus, sur la fin, beaucoup de points communs au sens goûts musicaux du terme. Au-delà d'éventuelles tensions, du côté trop axé "business" rejeté par Turilli, on sent un Luca totalement libéré désormais qui ne laisse plus rien au hasard, qui ne se retient plus. Un homme heureux, radieux de pouvoir refaire ce qu'il aime le plus : de la musique au service de la musique et de ses fans, loin de tout but commercial ou tout calcul quelqu'il soit. Il sera d'ailleurs intéressant de constater si Staropoli saura lui aussi ou non s'affranchir de toute pression sur le prochain Rhapsody of Fire. Peut-être aurons-nous alors droit à deux groupes au top de leur forme tout compte fait ?
Ascending to Infinity et ses chansons implacables dénuées de tout compromis donc, pourtant cela ne les empèchent en rien d'être construites de façon soignées avec - rappelons-le une nouvelle fois - des orchestrations profondément réussies. A l'image de son chef d'oeuvre solo, Luca réussit parfaitement son pari à ce niveau, bien que dans un mode moins ambitieux ; il ne restait donc plus qu'à offrir des compositions de haut niveau... et croyez-nous, sur ce plan là, les amateurs de symphonic power ne seront pas déçus. Dans une plus pure tradition filmique et classique, ce Rhapsody-là mélange les genres et les entremêle avec une cohérence implacable. Même la conclusion, chanson fleuve finale "Of Michael the Archangel and Lucifer's Fall", devient redoutable au fil des écoutes. Alors certes elle peut avoir du mal à passer au départ, mais très vite on comprend que son aspect "tout en progression" (et non "progressif" hein) le long de ses différentes parties bien reliées entre elles vous prendra de plus en plus aux tripes à chaque fois que vous y regoûterez. Il faut dire que son introduction laisse planer un mysticisme palpable, quelques sombres accords et une mélodie presque mélancolique qui laisseront place à un Alessandro Conti en mode Pavarotti. Ah Alessandro, il passera par tous les états sur ce monster track, en mode opera ténor profond donc mais aussi dans des aigus qui tutoient en toute évidence son influence numéro un : Michael Kiske. Sans pour autant le singer ni même abuser de cette ressemblance tout au long de l'opus, après tout le côté aigu ne fait pas tout, et tout juste quelques vibratos de fin par ci par là nous feront immanquablement penser au vocaliste allemand.
Avec Conti, Turilli peut compter sur un virtuose du micro. Certes il se fera inlassablement comparer (et recaler) à Fabio Lione comme le fut Olaf Hayer dans le temps, mais est-ce que les fans purs et durs auraient voulu un clone direct pour incarner la voix du nouveau Luca ? Pas spécialement. Alessandro compense un certain manque d'émotivité évident par une technique hors pair et une versatilité hors du commun sur laquelle même Fabio ne peut rivaliser. Il est étonnant d'entendre le jeune italien se donner la réplique à lui-même sur le très néo-classique "tout en italien" "Tormento e passione", sorte d'opera metal miniature parfaitement géré (que n'aurait pas renié un Trans-Siberian Orchestra) où le futur frontman live s'amuse comme un petit fou, Luca Turilli lui donnant presque carte blanche. On sentira d'ailleurs que Conti a encore quelques progrès à faire en anglais au niveau de la prononciation, comme Lione en son temps, pas bête au final de la part du compositeur que de lui donner plusieurs parties dans sa langue natale : jamais auparavant nous n'avions entendu autant de paroles en italien sur un album du prince guitariste. Et là on en revient au "final track" de 16 minutes (excusez du peu) où le chanteur se lâche même sur quelques growls perceptibles en backing vocals... Parallèle saisissant avec l'énergique et rocailleuse "Clash of the Titans" qui précède où Alessandro Conti devient presque menaçant, en mode Kai Hansen enroué qui aurait voulu tenter un peu de chant extrême. Et quelle réussite que cette piste encore, avec ses entames de couplet à la Therion et une fin de refrain + un solo apparenté à "On the Way to Ainor" sorti sur l'album comeback de Rhapsody of Fire en 2010.
Ne nous perdons pas trop en superlatifs, le meilleur n'a pas encore été narré à vos yeux ébahis (ou fatigués, car elle se fait longue cette chronique une nouvelle fois). "Excalibur" ne sera pas dans cette catégorie, même si son côté folk d'introduction et sa facilité mélodique en fera chavirer plus d'un. Une piste purement dans l'esprit Rhapsody des débuts, avec la maîtrsie et le son actuel, peu de surprise à en tirer mais un véritable plaisir d'écoute. Non, outre la majestueuse conclusion, deux morceaux attirent notre attention : l'éponyme "Ascending to Infinity" ou son feeling guitaristique à la "Unholy Warcry" (Symphony of Enchanted Lands Part II, 2004), avec Alessandro qui tutoie le firmament le temps d'un refrain tout simplement fabuleux - jusqu'à sa reprise finale où l'italien nous pousse des notes improbables... mais surtout ce "Dark Fate of Atlantis", déjà tant aimé des fans (car dévoilé en single), et qui prend une place encore plus grande dans l'enchainement d'un album complet. L'art de moduler un chorus over-catchy jusqu'à la fin, des couplets gargantuesques malgré une base rythmique des plus classiques qui speede à souhait lorsqu'il le faut et quelques effets à la Prophet of the Last Eclipse (et on y revient encore !!) le temps d'un break où Conti se prend pour un moine grégorien converti à Verdi. Majestueux.
Respirons un peu avant de refermer ce chapitre un poil débridé. 2012 nous a offert jusque là quelques joutes imparables, de Opera Diabolicus à Unisonic en passant par Kreator... un peu dans tous les styles donc. Mais là, Luca Turilli frappe fort avec sa nouvelle vision de Rhapsody. Une approche où le compositeur de renom s'avère même meilleur pianiste/arrangeur que guitariste, laissant la part belle au passage à Dominique Leurquin mais aussi à un Patrice Guers qui fait vibrer sa basse comme jamais. Niveau prod, non ce n'est pas du Sascha Paeth (aux manettes nous retrouvons ici Sebastian Roeder), et oui c'est perfectible. Mais le côté bombastic reste suffisamment présent pour qu'on n'ait pas à y bouder notre plaisir, même si on aurait pu espérer un meilleur mixage au niveau de la batterie peut-être. Peu importe, il ne nous reste plus désormais qu'à constater en live si Alessandro est bel et bien la révélation que tout le peuple power sympho attendait au chant... si oui, et si l'alchimie se complète aussi sur le planches, on ne pourra qu'imaginer une grande deuxième carrière pour le génie italien. Et peut-être un grandiose duel avec le of Fire du cerbère à trois têtes Hesstaropolione, qui sait ?