"La créativité des musiciens et leur envie de se faire plaisir prime sur tout le reste."
Depuis la séparation due à l'incapacité à se mettre d'accord sur la direction musicale à suivre après la sortie de son 3e album Stain (1993), Living Colour n'en finit plus de revenir et reste un des rares rescapés de la période fusion fin années 1980/début 1990. De sorte qu'une fois toutes les X années, le gang se racoquine et sort un album, en général bon mais relativement inconstant, la faute à une inextinguible soif d'essayer, quitte à se planter ici et là. C'est ce qui les a conduit au split, c'est aujourd'hui leur limite. Pourtant, la fusion débridée du quartet n'a rien perdu de son mordant, et avec des musiciens de ce calibre, tout étant permis ou presque, il serait dommage de se limiter. Collideoscope (2003) était rentre-dedans, signe de l'euphorie des retrouvailles et typique de son époque, The Chair in the Doorway (2009) a pu décontenancer, avec son envie de se frotter à des territoires inexplorés... Voici Living Colour de retour avec Shade.
Forcément, quand on a un quatuor de furieux pareils, emmenés par un guitariste de la trempe de Vernon Reid, difficile de deviner à quelle sauce on sera mangés. Seule certitude, ce sera rock, bariolé, et il y aura un max de surprises ("Inner city blues", excellent). Cela est d'autant plus vrai que le groupe n'a désormais plus aucune pression : chacun des musiciens a réalisé une belle carrière, et ils ne se retrouvent plus que pour le plaisir. Et ce coup-ci, c'est vers le blues qu'ils se sont tournés.
Photo : Karsten Steiger
Avec Shade, Living Colour s'écarte donc un poil des délires de The Chair on the Doorway pour revenir aux sources. Le tout reste bien funky, et s'autorise bien sûr de nombreux appartés : après un solo qui renvoie la jeune garde à ses études, voilà un break rappé vénère du plus bel effet sur "program", excellent titre fusion qui tabasse les médias et sur lequel Corey Glover rappelle qu'il a toujours une sacrée voix. Le groupe n'a rien d'une bande de clowns pour autant, le dissonant "Who shot ya", reprise de Notorious Big déjà sortie sur un EP en 2016, se chargeant d'alourdir l'ambiance après 4 titres remplis d'énergie positive. Living Colour a trop d'expérience et de cordes à son arc pour se contenter d'une collection de titres pêchus.
Le temps est à l'orage avec la montée des mouvements populistes, d'accroissement des inégalités, de désinformation à tout va sur les réseaux sociaux, que ce soit du côté des "professionnels" comme de celui du public, souvent trop heureux de monter en épingle des pseudo informations entendues chez le copain et mises en avant sans avoir été vérifiées : "Always wrong" s'adresse à beaucoup de monde. Maintenant, le but de l'album n'est pas de se faire donneur de leçons : sur "Who's that", Vernon Reid s'amuse à pondre un titre bluesy à l'ancienne, avec cuivres et tout le bazar.
Tout cela est bel et bon, mais manque tout de même d'un peu plus de constance, de mélodies plus finement ciselées... Living colour se heurte toujours au même problème : le groupe ne parvient plus à sortir un album excellent du début à la fin. Mais le cherche-t il vraiment ? La créativité des musiciens et leur envie de se faire plaisir prime sur tout le reste. Les déçus de The Chair in the Doorway pourront se montrer satisfaits de retrouver un album plus conventionnel, les autres pourront le regretter, reste qu'il faut sans doute faire une croix sur la possibilité d'obtenir un jour le digne successeur de Vivid (1988) et Time's up (1990). Mais est-ce vraiment un mal ? Inutile de bouder son plaisir devant nos retrouvailles avec le groupe, surtout quand elles sont agrémentées de bons albums.
Sortie le 6 septembre chez Megaforce Records