Les Smokey Joe & The Kid arrivent au bout de leur tournée marathon consécutive à la sortie de leur album Running To The Moon en 2016 (la grosse chronique ici) chez Banzaï Lab.
Alors qu'ils faisaient étape au Creusot (le gros report du concert ici), nous sommes donc allés à leur rencontre afin de faire, comme qui dirait, un bilan de cette expérience au cours de laquelle ils étaient accompagnés de musiciens et qui les a menés jusqu'en Chine.
Smokey Joe & The Kid nous reçoivent donc dans leur loge de manière toujours aussi avenante et décontractée. Ils nous parlent également de leur label Banzaï Lab et de leurs futurs projets, collectif et/ou solo.
Bonjour Smokey Joe & The Kid, merci de nous recevoir au nom de La Grosse Radio. Pouvez-vous dresser un bilan de votre tournée qui est en train de s'achever ?
Smokey Joe : C'était chouette de tenter l'aventure du live band ! Même avant que l'album ne soit sorti et qu'on ne lance la tournée, ça a été un vrai pari, puisque cela a engagé énormément de travail et de choix par rapport à nos partenaires. A la base, on ne pensait que jouer en festival avec le band et faire le reste des concerts avec uniquement notre MC, Mysdiggi. Mais il se trouve que les programmateurs ont cru en notre projet et au final, on a fait une centaine de dates avec ce line-up. D'autant plus que le public a répondu présent à chaque fois. Ça nous ouvert également au fait de travailler la scène et de ne plus rester derrière nos ordis et nos machines. 100 dates plus tard, on se fait plaisir en concert et on passe de très bons moments !
Vous avez joué en Chine. Avez-vous pu observer ce qu'il s'y passait d'un point de vue hip-hop ?
The Kid : Non, pas spécialement, puisqu'on était dans le cadre d'une tournée avec l'Alliance Française et on ne parlait quasiment qu'avec des interlocuteurs français. On a joué pour une sorte de fête de la musique francophone et on partageait la scène pratiquement qu'avec des groupes français. De plus, pour nous, le rythme de vie se résumait à concert-hôtel-avion, donc on n'a pas vu grand-chose du pays, sauf le dernier jour où on s'est baladé un peu. On a juste pu voir un DJ chinois qui connaissait beaucoup de trucs français et qui était fan de Yoshi et Hippocampe Fou, par exemple. Mais je pense qu'il s'agissait d'un artiste très underground dans la culture chinoise.
Vous avez sorti l'EP Take Control en mars dernier en feat. avec Mysdiggi. Est-ce la concrétisation sur disque de votre collaboration sur scène avec lui ?
Smokey Joe : En effet. Lorsqu'on s'est posé la question de savoir comment on allait défendre le live de Running To The Moon, on a pris la décision de trouver un MC pour se poser sur les morceaux. Même s'il y a un côté très musical et instrumental dans l'album, la dimension hip-hop est aussi très importante. Tout au long de l'histoire du groupe, on a collaboré avec beaucoup de MCs. Finalement, on a eu cette super rencontre avec Mysdiggi et assez vite on s'est dit que ce serait bien de marquer le coup comme on avait pu le faire auparavant avec Blake Worrell. Take Control est un EP 5 titres, Mysdiggi chante sur trois morceaux. Artistiquement, cela a été bénéfique pour tout le monde, que ce soit sur disque ou sur scène. Et en live, Mysdiggi évolue dans un univers qui lui convient bien.
Le processus de création s'est-il fait sur la route de manière très spontanée ?
Smokey Joe : Ce sont toujours des idées qu'on travaille. Et vu qu'on partage aussi la scène avec des cuivres, il était également logique qu'on les enregistre. Take Control est ainsi un EP assez instrumental, chose qui apparaissait déjà sur Running To The Moon. Ce processus-là va continuer sur le prochain album.
Alors justement, comment allez-vous intégrer les cuivres dans la composition à l'avenir ?
The Kid : On verra comment ça va se passer, mais il est clair que plus on travaillera en amont sur scène avec eux, plus ça deviendra cohérent de les intégrer à travers nos albums. Lorsqu'on a commencé la tournée, on leur a donné les samples qu'ils devaient jouer, ce qui n'était peut-être pas très enrichissant pour eux, d'autant plus qu'ils ne pouvaient pas se permettre d'improvisations vu qu'on avait écrit le live à l'avance. Mais il est clair que de travailler avec eux en studio nous permettra beaucoup plus de libertés instrumentales. Il n'y aura pas que des cuivres sur le prochain album, peut-être tout un big band, on n'en sait encore rien. Ça partira dans ce sens-là en tout cas, sachant que c'est le chemin qu'on est en train de prendre.
Smokey Joe & The Kid est-il en train de devenir un vrai live band et non plus l'association de deux beatmakers ?
The Kid : Oui, mais on reste tout de même les compositeurs, c'est ça que les gens doivent savoir ! (rires)
Parlons de votre label, Banzaï Lab, à présent. Sur la dernière compilation, on retrouve Jean Du Voyage, également signé chez Jarring Effects. Ce dernier a t-il été une référence pour la création de votre label ?
Smokey Joe : Il y a deux grandes inspirations et une troisième qui est venue se greffer après. La première, c'est Ninja Tune. Nous avons tous, les fondateurs de Banzaï Lab (Feldub, Clément, notre manager, The Kid aka Senbeï et moi-même), été marqués par tous les artistes de Ninja Tune dans leur grande diversité.
La deuxième, c'est en effet Jarring Effects. En ce qui me concerne, je suis rentré dans la musique électronique via le dub ; High Tone et EZ3kiel revêtent une dimension essentielle, certains de leurs morceaux sont encore très emblématiques. Jarring Effects était pratiquement le seul label, dans la sphère musicale indépendante française, à défendre ce mélange d'electro et d'instruments. Jarring Effects reste donc une grosse influence car notre objectif, dès la création de Banzaï Lab, était de dépasser les clivages entre musique instrumentale et musique électronique. A travers notre catalogue, on va pouvoir ainsi retrouver des artistes issus du Conservatoire, d'autres provenant du beatmaking ou alors du rock. C'est très hétéroclite.
Quant à la troisième, on s'en est rendu compte par la suite, il s'agit de Chinese Man Records. Ils nous ont précédés, mais on a plus ou moins grandi ensemble.
Nous défendons tous une certaine vision de la musique électronique, différente de celle jouée en club à la manière de la house par exemple mais contre laquelle nous n'avons rien. Nous sommes plus inspirés par la musique noire américaine, notamment le hip-hop, et qui a débordé sur le trip-hop, le dub, le drum n'bass et toute la bass music en général.
Et finalement quel est le lien entre tous ces artistes qui ont des sensibilités différentes (Straybird, L'Entourloop, Feldub,...) ?
Smokey Joe : On a beaucoup d'artistes solo qui sont dans une démarche de beatmaking et de sampling. Mais il est vrai que c'est assez large. Par exemple, sur la dernière compilation, Clozee est issu de la bass music, Degiheugi est plus marqué par la musique française mais qui est aussi dans une logique de beatmaking, Senbeï (The Kid) a toute une esthétique développée autour du Japon et du cinéma.
Smokey Joe & The Kid n'est pas inspiré par le reggae. Cependant, à l'instar de Chinese Man que vous évoquiez plus haut, pourriez-vous faire appel à des chanteurs reggae à l'avenir ?
Smokey Joe : On a un feat. qui est prévu avec Bob Marley (rires) ! Comme je le disais plus haut, je suis arrivé dans la musique électronique par le dub, Asian Dub Foundation par exemple. J'adore le reggae, j'en écoute énormément. Mais si on devait inviter quelqu'un, je penserais direct à Selah Sue qui est beaucoup influencée par le reggae. C'est une super chanteuse et c'est une grande fan de Lauryn Hill, pour le côté hip-hop. Elle sait rapper. Ce serait cool de l'avoir pour un refrain chanté en reggae/soul sur un morceau hip-hop. Mais c'est juste une hypothèse (rires) !
The Kid : On n'est pas parti sur cette idée-là au départ. Mais il faut reconnaître que beaucoup d'artistes reggae explosent en ce moment, à l'instar de Naâman ou Jahneration, avec qui on est très souvent programmés sur des festivals. C'est très à la mode. En ce qui nous concerne, je ne vois pas ce que cela nous apporterait de travailler avec des reggaemen ; nous sommes plus dans un délire de blues/hip-hop/jazz. On ne va pas commencer à mettre du reggae dans nos morceaux, sinon le public ne va plus rien comprendre (rires). Et en plus, il y a L'Entourloop, qui sont un peu nos rivaux (rires) !
Smokey Joe : J'avais moi-même fait un morceau avec Spraggy et Youthstar en 2011 ["Street Facts", sous le pseudonyme d'IRB, projet solo de Smokey Joe, NDLR]. Spraggy avait d'ailleurs sorti un album avec Feldub, As So It Go, en 2010. C'est dans l'air du temps également ce mélange hip-hop/reggae : DJ Vadim le fait beaucoup, Wax Tailor a fait un morceau dans cette veine sur son dernier album, de la même manière que Degiheugi. On ne serait pas nécessairement contre le fait de travailler avec des artistes reggae, mais on préfère rester dans cet esprit soul/hip-hop/black music, et surtout éviter de se caricaturer en voulant surfer sur une vague qui serait tendance en ce moment. L'Entourloop fait très bien ce mélange, ils ont le champ libre, qu'ils se fassent plaisir !
The Kid, tu as dernièrement masterisé l'album de Supa Mana, Double Trouble, qui, lui, est justement orienté sur le reggae digital et le dub. Travailles-tu souvent comme cela avec Brigante Records ?
The Kid : A la base, Supa Mana est une copine. Il me semble que Brigante Records et elle étaient en retard pour la sortie de l'album et ils cherchaient absolument quelqu'un. J'avais déjà masterisé tous les projets de Feldub, raison pour laquelle elle avait sûrement déjà dû entendre parler de mon travail, et aussi par X-Ray Production je pense [label de Biga*Ranx, Manudigital, Bazil, etc..., NDLR]. J'ai également masterisé un EP du projet de beatmaker de Biga*Ranx, Telly*. Visiblement, ça marche plutôt bien quand je m'occupe de productions dub, les artistes pour qui je le fais ont l'air assez satisfaits, c'est cool ! Panda Dub m'a aussi contacté à l'occasion de son dernier album, mais le délai était trop court et j'étais en tournée ; je lui avais donc fait un master au casque, mais le rendu n'était pas terrible.
En termes de mixage et de mastering, je suis ouvert à beaucoup de choses. Par exemple, en ce moment, je suis en train de mixer l'album d'un groupe de hardcore. C'est très enrichissant, je n'avais encore jamais travaillé sur des voix et des gros chants gutturaux ou sur une vraie batterie en piste séparée. Avec Smokey Joe & The Kid, on ne procède pas du tout de cette manière. Mais ça m'apporte énormément de choses concernant les cymbales ou la disposition des toms, etc... Donc pourquoi pas développer encore plus cela à l'avenir, surtout si c'est musicalement intéressant et qualitatif. Si c'était de la merde, je ne le ferais pas (rires) !
Smokey Joe & The Kid repose en effet sur des instrus très organiques, alors qu'avec Supa Mana, on est plus sur des aspects cloud et planants...
The Kid : Tout à fait. Surtout qu'il y a de l'autotune sur la moitié des morceaux. Au premier abord, on pourrait dire : "Ah ! La peste !" (rires). Mais en fait, non, ça passe très bien. BIG UP Supa Mana !
Tu prépares également un album via ton projet solo, Senbeï ?
The Kid : Oui, mais en fait il est terminé depuis belle lurette. Là, on est plus dans la phase de production des clips. Sachant qu'on est un label indépendant et que, par définition, on n'a pas d'argent, on a mis en place un Ulule (voir ici) pour pouvoir les financer, comme on avait fait pour Smokey Joe & The Kid. On est ambitieux sur les clips, on a envie de se faire plaisir et de ne pas avoir des choses trop dégueus, du coup ça coûte assez cher. Le financement participatif marche très bien, on a déjà récolté pas mal d'argent en peu de temps, le but étant maintenant d'atteindre 200% de l'objectif et de faire péter le record Ulule (rires).
L'album va sortir le 26 janvier, beaucoup d'invités seront présents, des gens récurrents de Smokey Joe & The Kid, comme Youthstar, ASM ou Chill Bump. Mais il y aura aussi un MC japonais qui tabasse, puis un morceau secret avec plein de potes français. Cependant, l'album sera quand même bien instrumental, je n'avais pas nécessairement envie d'avoir des chanteurs partout.
Un album à tonalité japonaise ?
The Kid : Oui, il différera des précédents où il pouvait y avoir quelques autres sonorités. Là ce sera un album complètement basé sur la culture japonaise ; chaque morceau a quelque chose à voir avec le Japon, à part une ou deux références à la Chine. Une partie de l'album a justement été enregistrée à Tokyo en décembre dernier.
Parlons maintenant du clip "Vocabularious" extrait de l'EP de Youthstar, S.A.MOD, et dont tu as fait les instrus. Vous faites souvent des clips d'alcoolique de la sorte ?
The Kid : (rires) C'était le premier clip de Youthstar, mais je ne l'ai pas réalisé. Pour l'anecdote, on me voit à poil au début (rires). Youthstar est un vrai anglais et je pense qu'il voulait marquer le coup dans son fief à Bordeaux avec tous ses potes. Même sa fille joue dedans. Ça avait du sens de d'identifier Youthstar dans ce pub, même si ce n'est peut-être pas très bon pour l'image. Mais c'est rigolo et festif au final. En tout cas, ça ne coûte pas cher.
Avec ce clip, on peut faire immédiatement le lien avec celui de "Prohibition 2" en feat. avec Yoshi, qui se déroule lui aussi dans un pub...
The Kid : En effet, mais bon après, on n'y peut rien, c'est à cause des MCs, on ne bosse qu'avec des alcoolos, donc on finit comme eux (rires) !
Smokey Joe, qu'en est-il de ton projet solo ?
Smokey Joe : Pour l'instant, je le mets de côté, puisque je me consacre pleinement à Banzaï Lab. A ce propos, je tiens à remercier Emmanuel Macron pour la fin des contrats aidés, puisqu'on avait trois personnes qui étaient sous ce type de contrat à Banzaï Lab. Et je tiens également à remercier le fisc qui nous considère désormais comme une association concurrentielle, du fait que nous possédons la licence d'entrepreneur du spectacle et que nous sommes un label, alors que nous utilisons tout cela comme des outils pour le développement artistique. D'autant plus que The Kid et moi-même travaillons bénévolement pour Banzaï Lab.
Mais passons à des choses positives : l'année prochaine, ce sont les 10 ans de Banzaï Lab. On va sortir une compilation spéciale, on va organiser des événements sur Bordeaux en mai. Ça fait 10 ans qu'on est là et on est toujours vivants, donc on va marquer le coup !
Un dernier mot pour La Grosse Radio ?
The Kid : Vive le reggae !!
Merci Smokey & The Kid pour nous avoir accordé cet entretien !
Merci également à Nolwenn et Clément de Banzaï Lab !
Crédit photos : Live-i-Pix