Boundless est un autre virage dans la discographie des Allemands de Long Distance Calling. Après deux opus où le combo de post-rock progressif s'était adjoint les services d'un vocaliste (Marsen Fischer puis Petter Carlsen), le quatuor revient à une recette 100% instrumentale pour son sixième opus. L'occasion d'interroger David Jordan, le guitariste, sur ce choix.
Bonjour David et merci de nous accorder cet entretien. Nous sommes ici pour parler de Boundless, votre nouvel album. Ce titre évoque une absence de barrières et de limites. Est-ce pour vous un moyen de montrer une réelle envie d'expérimenter de façon instinctive ?
Oui, exactement. Car sur TRIPS, notre précédent opus, nous avons passé beaucoup de temps à travailler les compositions, à tergiverser...Cette fois-ci, nous ne voulions justement pas trop planifier les choses et aller directement en salle de répétition pour jouer. Le but était de voir ce qui allait se passer et ce qui en ressort, c'est justement qu'il n'y a pas de limites à cet album.
TRIPS était un album qui comportait des parties chantées. Cette fois-ci, il s'agit d'un album à 100% instrumental. Pourquoi avoir choisi de revenir à cette forme instrumentale ?
C'est tout simplement car nous n'avions plus de chanteur ! (NDLR : Marsen Fischer ayant officié entre 2013 et 2015, tandis que Petter Carlsen n'avait qu'un statut d'invité sur TRIPS). Il n'y avait donc pas de plan pour mettre du chant cette fois. La bonne chose qui résulte de l'absence de chanteur, c'est que l'on a réellement pu aller dans la direction que nous voulions, sans garder de passages prévus pour du chant. Nous avons juste joué et il n'y avait pas de place pour cela.
Comment composez-vous habituellement ? Chacun écrit-il des parties de son côté avant de mettre les choses en commun, ou bien les titres résultent-ils uniquement de sessions de jam ?
Un peu des deux en réalité. Le plus souvent Florian (Füntmann, guitare NDLR) et moi apportons un riff ou une petite partie de guitare, puis on le fait écouter aux autres. Si cela leur plait on travaille tous dessus. La seconde possibilité, c'est que l'on jamme tous en salle de répétition et l'on voit ce qui en ressort.
Sur cet album, il y a moins d'éléments électroniques à mon sens que sur TRIPS. Était-ce un choix délibéré de revenir à quelque chose de plus organique ?
Oui. Sur l'album précédent, nous voulions remplir tous les passages plus épurés avec des sonorités de claviers. Cette fois-ci, nous voulions que tout le spectre sonore ne soit rempli que par nos instruments, à savoir la batterie, la guitare et la basse.
Sur cet album, "Like a River" ressort particulièrement, en raison de son côté western. Elle me rappelle presque un titre qu'aurait pu composer Ennio Morricone...
Oui, cette chanson est là totalement par accident en fait ! (rires). Nous étions en train de jammer et Flo a proposé cette mélodie que nous avons jouée. Puis en travaillant dessus, nous avons développé cette partie très western, qui pour le coup ne sonne pas du tout comme du Long Distance Calling ! (rires) Mais elle nous plaisait vraiment, donc elle méritait d'être présente sur l'album.
C'est peut être justement le sens du titre de l'album, Boundless, car avec ce morceau vous ne vous êtes posé aucune barrière !
Oui, exactement ! C'est aussi le cas avec "Skydivers", qui contient un riff particulièrement heavy, peut-être le plus violent que j'ai jamais écris. Et personne ne s'est dit, "oh non, c'est trop heavy, ce n'est pas notre style". Cela n'avait pas d'importance, nous l'avons fait, donc c'est du Long Distance Calling, non? Peu importe finalement comment cela sonne !
À propos de "Skydivers", elle est également très orientée "metal". Le style de Long Distance Calling a toujours été difficile à catégoriser, tantôt post-rock, tantôt électronique, tantôt rock progressif, et parfois des riffs metal... Comment la définirais-tu ?
(éclats de rires) Crossover peut-être ! Car il y a de nombreux éléments issus de plusieurs styles musicaux ! "Like a river" contient des emprunts à la musique western, "Skydivers" rappelle du groove metal, "In the Clouds" sonne très classic rock... Et tout autour de cela, il y a de longues plages instrumentales en son clair. Il y a effectivement beaucoup d'influences, qui en plus appartiennent toutes à des catégories musicales différentes. C'est peine perdue pour nous mettre dans une case ! (rires).
Quels sont les artistes que chacun d'entre vous aime écouter avant d'entrer en studio ?
Oh, c'est une très bonne question. Car parmi nous, personne n'écoute la même chose. Nous écoutons tous des choses différentes. Bien sûr, il y a des groupes en commun. Mais personnellement, je suis le "prog guy", puisque j'écoute Dream Theater, Genesis, Jeff Beck... Janosch (NDLR : Rathmer, batterie) écoute du hip-hop en ce moment. Jan (NDLR : Hoffmann, basse) est plus dans le style alternatif et Florian se penche sur le classic rock des années 70 et 80, comme les Guns n' Roses, ce genre de choses. Mais nous apprenons des autres groupes et des influences de chacun d'entre nous. En ce qui me concerne, j'ai d'ailleurs eu une longue période où j'écoutais Jeff Beck et Kate Bush pendant l'écriture de cet album. Pour Jeff Beck, je pense que ça peut se deviner si on sait que j'écoutais ça...
Oui, peut être notamment dans les soli de guitare.
Oui, car j'utilise beaucoup de vibrato comme lui. Pour Kate Bush, c'est peut être plus difficile à déceler, car ce que j'aime chez elle, c'est surtout qu'elle ne se répète jamais. Elle trouve toujours la mélodie qui colle parfaitement aux textes qu'elle chante. C'est ce que j'aime chez elle. De plus, si elle répète une partie au sein d'une morceau, elle la répète avec un feeling différent, une vibe différente.
Avec toutes ces influences différentes, n'as-tu pas parfois peur de perdre de la cohérence et de l'homogénéité au sein des titres et des albums ?
Non, car pour moi, en tant qu'auditeur, la seule chose qui m'importe est la cohérence des chansons peu importe le style. Car je souhaite toujours garder un côté dramatique au sein d'un album. C'est comme pour une setlist. Quand tu choisi des titres, ils vont tous ensemble même s'ils sont tous différents. Je n'ai pas ce problème pour mettre côte à côte des chansons variées. Et puis, nous sommes Long Distance Calling, donc l'idée générale reste la même. Même si certains titres sont plus connotés classic rock et d'autres plus metal, voire psychédélique...
Sur Boundless, la première piste est aussi la plus longue. Pourquoi ce choix et comment avez vous préparé le tracklisting ?
C'était très difficile, car chacun de nous avait sa propre idée de la tracklist ! (rires) Cela a bien entendu été discuté pendant longtemps. C'est ce qui est bien dans ce groupe, car même si chacun a son opinion, nous sommes capables de trouver le bon compromis ! (rires)
Lors de notre dernière interview, tu nous avais alors confié que TRIPS avait pour thème principal les voyages dans le temps et l'espace. Cette fois-ci, qu'elle est la thématique générale derrière Boundless ?
Pour moi, c'est un album personnel. Nous avions déjà sorti un album éponyme en 2011. Or, si cela n'avait pas été le cas, Boundless aurait pu finalement s'appeler Long Distance Calling. C'est la première fois que nous créons de la musique en tant qu'entité à quatre. Nous n'avions personne derrière nous pour nous pousser. Il n'y avait que nous quatre et si les compositions n'étaient pas prêtes, elles n'étaient pas prêtes et personne ne nous mettait la pression. C'était notre propre responsabilité et notre tâche pour sortir les meilleurs chansons. C'est pour cela que c'est aussi personnel pour moi.
A propos de l'artwork, la pochette est une photographie qui évoque la nature sauvage, quelque chose de vivant. Pourquoi représenter votre musique via cette image ?
On y voit les quatre musiciens du groupe en petit et cela montre qu'il n'y a aucun autre élément qui peut venir nous perturber. Elle révèle aussi un sentiment de liberté totale et le fait que nous soyons concentrés sur nous mêmes. À ce moment précis, rien ne peut nous arriver.
A propos de la prochaine tournée, comment allez vous faire pour les chansons qui sont chantées dans votre répertoire ? Y aura-t-il un chanteur en tournée avec vous ? Aurez-vous des samples ?
Il y aura des samples oui, tout comme pour les parties de claviers présentes sur l'album, c'est clair. Nous avons déjà procédé comme cela, et cela ne nous pose pas de problème que les gens le sachent.
Donc tu n'envisages pas de chanter toi-même par exemple ?
Oh non ! (rires) Personne n'aurait envie d'entendre cela ! (rires) Pour être honnête, j'ai déjà essayé, mais c'était horrible (rires). Nous ne voulons infliger cela à personne ! (rires)
Il y a deux ans, vous aviez un concert prévu à Paris au Batofar, que vous avez dû annuler en raison de problème de panne de tourbus. Cette fois-ci, vous ne passez pas en France, alors qu'il y a une réelle demande.
Oui, c'est prévu que nous revenions lors d'un second leg européen !
Pour toi, quelle est la chanson la plus excitante à jouer en live ?
Pour moi, ce serait "Out There", mais elle est très complexe à interpréter en raison des variations entre les parties calmes et les parties rapides. Le début part lentement au piano puis explose jusqu'au final. C'est très excitant pour moi à interpréter car il ne faut pas que je joue trop rapidement si je veux tenir la distance sur l'ensemble du titre.
Comment construisez vous la setlist avec désormais autant de compositions et une carrière de près de dix ans ?
Pour le prochain tour, nous avons déjà établi la setlist, mais effectivement, c'était très difficile, car nous avons un set d'environ deux heures, mais il y a des titres que nous voulons tout de même interpréter sans en avoir le temps. Il faut donc faire attention en choisissant les titres. C'est sûr qu'il y aura des titres qui manqueront, mais nous aimons varier les setlists donc entre deux legs, tous les titres peuvent être joués.
Et y aura-t-il des chansons que vous n'avez jamais interprétées avant ?
Laisse moi réfléchir...Non, il y aura des titres que nous n'avons pas joués depuis longtemps, mais il n'y a aucun morceau que nous n'avons jamais interprété.
Merci pour cette interview ! Avant de nous quitter, comment pourrais-tu convaincre nos lecteurs d'écouter Boundless ?
(rires) Bonne question ! En ce qui me concerne, j'aime écouter de la musique en étant dans le noir, allongé sur mon lit, pour n'être dérangé par rien d'autre. C'est de cette façon que démarre le voyage. Je vous conseille d'écouter Boundless de cette façon, avec des écouteurs ou un casque pour vous laisser emporter !
Interview réalisée par Skype.
Photographie promotionnelle : DR
Merci à Valérie Reux de Inside Out qui a rendu possible cet entretien.