Fermez les yeux, et imaginez une terre désertique, austère et morne. Un endroit désolé, et pourtant peuplé d'une multitude de petits êtres. Sur ceux-ci, seuls quelqu'un y règnent, imposant chacun leur suprématie sur le domaine qui leur appartient, tel un modèle de société archaïque et patriarcale. Certains acceptent leur sort, et vivent du mieux qu'ils le peuvent dans ces contrées, d'autres se complaisant même dans leur situation. Quelques mécontents essayent de faire parler d'eux, mais ne parviennent jamais vraiment à être remarqués. Et enfin, on retrouve la dernière catégorie : une petite peuplade qui décide d'emprunter une voie les emmenant vers un endroit où l'herbe est plus verte et les fruits abondants. Tant pis pour leur renommée, ils peuvent avoir une fierté. Ils ont réussis à franchir la cruelle et difficile route dite de l'originalité, pour atteindre cette montagne du même nom, où chacun y apporte sa pierre à l'édifice. On y trouve des pionniers, rejoins par d'autres disciples, plus jeunes. On les nommera Stolen Babies, Faith No More, ou bien The 3rd and the Mortal. Et puis, la traversée est encore effectuée de nos jours. Si certains se perdent en route, force est de constater que l'espoir d'y arriver est toujours, au fond, une flamme qui en anime plus d'un.
Cadmium, en provenance de Nancy, est un combo encore nourri par l'ambition, la passion et une volonté de s'affranchir des codes établis. Pourtant, cette formation commencera à mettre du temps pour se chercher. A travers des changements de line-up conséquents, de chanteuses à un chanteur, lui-même étant un ancien claviériste, et puis il y a eu la batterie, aussi, enfin en gros, il a fallu du temps avant d'arriver à une stabilité, qui leur a permis de se lancer en premier dans une démo, puis enfin, avec l'arrivée de la voix masculine, dans un EP nommé Bios. Un nom simple, une pochette intrigante, voilà pour un emballage intéressant. Premier essai réel, et donc premier pas sur la pleine exposition. Une démarche qui n'est pas aisée, mais on espère pour Cadmium que les arguments présents au sein de ce brûlot seront suffisants pour atteindre l'objectif visé.
Comme il s'agit d'un premier vrai essai, il semble important, pour commencer, de mettre les points sur les i concernant un détail. En effet, ne vous attendez pas à une production à la limpidité des grosses œuvres courantes. Nous jouons dans l'auto-production, et dans le peu de moyens, ce qui est assez perceptible tout au long de l'écoute. Le son des guitares, notamment, nécessite encore un certain travail pour pleinement nous convaincre du talent de Robin Houpier, et de la capacité de cette dernière à soutenir des atmosphères diverses et variées, un point crucial chez le quintet. Si la dame à cordes est victime de ce son rudimentaire, les autres instruments sont mis bien plus en valeur, et la bouillie sonore est heureusement évitée, de même que la mention amateurisme. Tout reste audible, bien qu'imparfait, il ne reste donc qu'à réellement bosser davantage sur l'ampleur du son et celui de la guitare pour réussir à se révéler séduisant de bout en bout. Car si le son n'est pas toujours optimal, le style musical, lui, l'est.
Et dans quelle cour jouent-ils, alors, ces jeunes français ? C'est une question sur laquelle on pourrait encore réfléchir de longues heures, tant ils s'évertuent à nous perdre dans un labyrinthe de sonorités diverses et variées, pour notre plus grand bonheur. Force est de constater qu'un certain professionnalisme vient teinter les parois de ce dédale, où un fil d'Ariane reste omniprésent pour nous éviter d'être, en cours de route, laissés dans un coin. D'un morceau aux sonorités mélodiques (« Hidden Side ») à une pause jazz (« Le Club des Misanthropes »), nous retrouvons ainsi dans la musique de Cadmium plusieurs univers, tous conservant cependant un liant. Si, ainsi, il est difficile de classer ce que nous entendons dans un genre en particulier, une homogénéité salvatrice empêche aux nancéiens de sombrer dans un égarement de mauvais aloi. Les notes progressives sont les plus marquées, et, même si l'étiquette de « rock / metal progressif » ne sied pas totalement à un groupe qui ne saute pas les pieds joints dans les clichés du style, ce genre reste celui dont les musiciens semblent se rapprocher majoritairement, surtout sur un plan musical.
Mais plutôt que de parsemer son œuvre de longs solos de guitare ou de modulations récurrentes dans les structures, la formation préfère s'axer en grande partie sur les ambiances qu'ils communiqueront tout au long du brûlot. Celles-ci sont véhiculées par des moyens divers et variées, que ce soit par les lignes de guitare et de clavier, par les intonations du chant, ou par les influences volontairement marquées, sur le romantisme ou la musique classique. Rien que l'introduction d'un « Hidden Side », qui convainc assez rapidement, ne laisse planer aucun doute. Au cours de route, on retrouvera ainsi des touches atmosphériques qui ne se manifestent que rarement de la manière. D'une pause mélancolique et plus intimiste, à des sonorités qui peuvent irrémédiablement nous évoquer les groupes de rock gothique à la Joy Division (ce qui surprendra sur « A Gifted Child »), Cadmium à le soucis, à la fois, de son éclectisme et des variations dans sa musique, tout en restant carré mélodiquement. Ainsi, le groupe se permet de toucher à plus d'un genre musical, et d'explorer diverses contrées sans vraiment toujours s'éloigner d'un point d'origine qui laisse place à la cohérence. La formation fait donc le pari risqué de vouloir se forger une personnalité dès ses débuts, ce qui n'est pas toujours aussi simple qu'il n'y paraît. Pourtant, les jeunes musiciens entament déjà leur chemin sur la route et semblent bien partis pour rejoindre d'autres plus renommés.
"La classe, tu l'as ou pas. Et nous, on est en costard"
Malheureusement, on regrettera quelques erreurs de goût ou de débutant qui noircissent un peu le bilan. Premièrement, un titre largement en-dessous des autres répondant au doux nom de « Pomegranate Seed ». Vide d'accroche, ligne de chant monotone et parfois douteuse (le début nous fait grincer des dents), si les quelques touches electro qui viennent en renfort révèlent de réelles idées, on ne pourra que déplorer le manque d'exploitation et d'audace qui semble survenir ici. Là où le doublage du chant sur les couplets de « Des Courbes et des Lignes » marque une idée assez judicieuse pour donner une ampleur plus importante à la voix du frontman, la platitude marquée de « Pomegranate Seed » est regrettable, surtout par rapport à ce que le combo est capable de délivrer. Le manque de puissance d'une guitare pourtant créative relève aussi de la faute de goût, et la placer plus en avant aurait donné un côté incisif assez agréable qui, non seulement, serait complémentaire avec la création des ambiances, mais donnerait bien plus de matière à rentrer dans l'univers des nancéiens.
Une partie de la réussite provient du chant d'Anthony Da Silva, qui n'est pas sans évoquer, là aussi, les chanteurs des groupes à la Joy Division, sans aller jusqu'aux tons d'un Type O Negative. Le ton monocorde est étrangement prenant sur « A Gifted Child », donnant une saveur différente au morceau, où l'osmose entre l'ambiance et la voix du jeune homme est particulièrement marquée. Il en va de même sur un titre comme « Perfect Decadence » où les tons plus lyriques de la voix sont très appréciables. Sans aller dans la grandiloquence que l'on retrouve généralement dans les voix masculines de ce registre dans le milieu du metal (Rhapsody en tête), l'aspect sobre correspond à ce que le groupe veut poser sur le plan ambiant. Il manque juste encore une puissance plus marquée à Anthony, mais laissons le temps à Cadmium de nous prouver ce qu'ils ont dans le ventre. Après tout, ce côté-là est déjà plutôt satisfaisant, bien qu'il ne fera pas l'unanimité.
Si « Pomegranate Seed » est dispensable, une autre piste n'est pas à la hauteur des autres, elle non plus. « Véra » voit le duo avec le chant féminin d’Émilie Colnat, chant linéaire et frôlant souvent ses limites sur des aigus plutôt hasardeux. Le timbre trop fluet de la demoiselle a beaucoup de mal à s'accorder avec la voix d'Anthony, beaucoup plus grave, et cette alliance tourne au mariage interdit, ce qui donne un résultat assez mitigé, bien qu'instrumentalement, la construction simple et le refrain placé en tant que point d'orgue fonctionne à merveille. Il manque donc uniquement des lignes de chant plus adaptées, dommage.
A l'inverse, « A Gifted Child » est le morceau à retenir. Envoûtant de bout en bout, varié, aux orchestrations atteignant des touches fantomatiques (oui c'est à peu près l'effet ressenti vers 5:15), il s'en dégage quelque chose d'absolument superbe. Le clavier y est magistral, littéralement. « Perfect Decadence » réussit aussi à nous captiver par sa beauté toute particulière, par l'orchestration (une fois de plus) ou les intonations vocales réussies. Ces deux titres se démarquent clairement du lot, dans le sens le plus positif. Et on sait donc dans quelle veine nos chers nancéiens devraient continuer pour ainsi s'offrir le plaisir de nous enchanter.
Bios est un EP convaincant, et dont les ambiances sont un point fort non-négligeable. Seule la production reste un élément faible, qui doit être revu pour le futur album. Néanmoins, la qualité intrinsèque d'une œuvre aboutie nous fait dire que les cinq français de Cadmium, qui ont entrepris ce long voyage sur la route de l'originalité, va leur permettre à l'avenir d'arriver à un résultat encore plus convaincant, qui leur permettra d'atteindre des sommets. Leur potentiel est un peu comme un fruit : il a besoin de mûrir. Et ce stade se fait attendre avec grande impatience.
Note finale : 3,5/5