Les fans de metal gothique / doom à la Theatre of Tragedy n'ont plus vraiment de successeurs, de ces temps-ci. Malheureusement, deux des trois pionniers du genre que sont les norvégiens ci-dessus ou encore The 3rd and the Mortal n'existent plus, et concernant The Gathering, en dépit de leur qualité musicale actuelle, les rivages explorés sont encore très loin de leurs débuts. Quant à Tristania, Sirenia, Within Temptation, les éléments pop ont ainsi fait leur apparition dans la musique, divisant ainsi leur public, entre les convaincus et les déçus. Ainsi, peu de valeurs refuges ou de tentative de relève ces derniers temps. On pourrait penser aux excellents portugais d'Ava Inferi qui reprennent certains éléments des prédécesseurs, bien que la formule ne soit pas vraiment au belle et la bête. On évoquera aussi les forts prometteurs britanniques d'Hanging Doll qui mêlent astucieusement ces racines héritées du passé avec des influences heavy ou symphoniques. Mais qui pourrait penser qu'une tentative de relève avec le respect total des codes du style proviendrait de la lointaine terre d'Australie ? Avec Oligarchy, Lycanthia va essayer de raviver la flamme d'un genre mourant, mais qui semble pourtant avoir encore des choses à nous dire.
Premier contact avec la musique de la formation, premier bon point : le son est dénué d'éléments modernes, touchant à une certaine authenticité, une volonté de vouloir évoquer ces groupes appartenant, pour la plupart, désormais au passé. Bien sûr, si la production reste meilleure qu'un certain nombre de brûlot parus des années auparavant, celle-ci est loin d'être dépersonnalisée, au contraire. Elle conserve avec beaucoup de brio et de majesté toute cette saveur perdue, et l'intérêt est bien sûr de nous faire plonger des années en arrière, pour mieux toucher les nostalgiques mais également restaurer cet héritage. L'ensemble sonne ainsi plutôt propre, mais en conservant les espaces d'expression de chaque instrument, notamment ceux qui peuvent apporter leur touche d'atmosphère. Ainsi, voix, violon et clavier sont plutôt privilégiés, sans l'être au détriment de quoi que ce soit. La batterie et la guitare ne sont pas non plus aux abonnés absents, et trouvent un bon compromis au sein de cette galette, en donnant la réplique et en apportant leur contribution, aidant à garder une certaine vélocité au sein de l'opus.
Lycanthia est une formation très soignée, attentive au moindre détail dans sa musique. Et quoi de mieux pour réveiller les sens que ce violon romantique, tenu par la charmante Vanessa Black, accentuant davantage les ressemblances avec The Sins of Thy Beloved ou Ashes You Leave. Il se fait parfois discret, parfois prédominant, mais dans tous les cas, le noble à cordes frottées est utilisé intelligemment, avec parcimonie tout en restant crucial et partie intégrante de la musique de notre sextet australien. Qui plus est, ce dernier aide à construire des atmosphères, et celles-ci sont très chères à la formation. En effet, le genre exige généralement qu'une bonne partie de la musique passe par des ambiances prenantes, sombres mais avec un léger contraste lumineux, afin d'avoir une échappatoire salutaire. Et bien que le chant soit souvent l'arme la plus utilisée pour accomplir cette délicate mission qui n'est pas si facile à réaliser, le violon y aide beaucoup. Soit pour ça comme sur « The Essential Components of Misery », mais aussi pour nous enfoncer plus profondément encore dans les ténèbres, avec des notes à la fois intrigantes et hypnotiques, notamment sur « Time Feeds These Wound », pièce de toute beauté. Il se dégage ainsi de cet album un raffinement, une subtilité assez rare, ce côté devenant presque émouvant.
Avec Lycanthia, on ne rigole pas tous les jours.
Mais en dépit de ces grandes qualités, Lycanthia ne vise pas toujours la perfection. Premièrement, quelques regrettables longueurs viennent semer des embûches un voyage pourtant confortable bien que nocturne. Elles se trouvent majoritairement au début de l'opus, notamment sur « Forgone », ce qui empêchera d'être pleinement captivé par ce qui est proposé. Il est ainsi dommage de ne pouvoir affirmer qu'Oligarchy est passionnant du début à la fin, même en insistant sur son aspect fin et sa délicatesse. De même, certains riffs peuvent parfois sentir le réchauffé, peu originaux, tout comme la formation n'est elle non plus pas la plus unique qu'il existe. En effet, les anciens Theatre of Tragedy semblent être des inspirations très marquées, qui dictent parfois la ligne de conduite de notre sextet. Et si cela n'est pas dérangeant de prime abord, on ne pourra qu'encourager nos chers australiens à creuser davantage une voie où plus de personnalité et une identité propre deviendra ainsi le résultat final.
Question voix, pas de regrets à formuler. Au contraire, les chants sont à la fois très bons mais aussi savamment dosés et utilisés. Et la bête est chanceuse, face à lui, la belle a du répondant … ou plutôt les belles. Car ce n'est pas une, mais deux voix féminines qui interviennent et dialoguent avec le growleur. Ainsi, le chanteur / bassiste Lee Tassaker devra partager le gâteau avec la belle voix lyrique de la violoniste Vanessa, dont le timbre se rapproche de la mystérieuse veuve ensanglantée d'Ava Inferi, mais également avec la jolie claviériste Megan Robins, officiant aussi au chant principal dans Avrigus. Et cette dernière laisse entrevoir un beau brin de voix clair, qui se rapproche parfois de Sharon den Adel (Within Temptation), un peu moins cristallin cependant. Ces jeunes femmes semblent de temps en temps chanter au gré de leur envie, Megan disparaissant peu à peu sur la fin là où elle est très présente au début de l'album, et vice-versa pour Vanessa. Quant à Lee, il est là du début jusqu'à la conclusion, mais reste lui aussi plutôt mesuré dans son chant, sans tenter de combler des vides ou des manques, laissant la section rythmique ou le violon faire son boulot dans ces moments là.
Les 8 pistes composant Oligarchy sont plutôt longues, mais aussi très recherchées et ne souffrant ainsi pas d'un manque quelconque d'inspiration. Ces musiciens sont talentueux et montrent qu'ils savent servir des formules adéquates à combler les amateurs du genre. Trois morceaux sont nettement au-dessus du reste : « The Essential Components of Misery » pour son harmonie, sa beauté, son ambiance et ses lignes de chant très marquantes. Les voix s'y combinent à merveille, dans l'osmose la plus parfaite. « Time Feeds These Wound » a, elle aussi, son aura qui lui confère un charme. Un morceau extrêmement diversifié, des parties vocales entêtantes (bien que lancinantes), et une approche peu commune par tant de modulations. Enfin « Hair of the Beast » est plus directe, et accroche l'oreille de l'auditeur immédiatement. Peut-être celle qui permettrait de découvrir en premier lieu l'univers de la formation. Là où, en revanche, « Eternity... » ne sert pas à grand chose si ce n'est que de profiter de la beauté du violon mais, surtout, « Forgone » décline par ses maladresses et patauge. Dommage car le niveau général y est élevé.
Oligarchy est un très bon opus qui devrait permettre à Lycanthia d'acquérir un certain public. Les qualités sont nombreuses et l'intelligence des australiens, que ce soit dans la construction de l'album ou la répartition des voix, se ressent très régulièrement. Et de la régularité, ils en ont, dans la face qualitative cependant, car un morceau moins convaincant mis à part, difficile de réellement trouver de mauvais points. Il ne reste qu'à la formation une réussite encore supérieure à l'essai suivant et une identité plus affirmée pour réussir à entrer parmi les grands. Et vu ce qui est proposé ici, il serait tentant de dire qu'ils en sont fortement capables.