Loth – Apocryphe

Le 21 juin 2016 sortait le premier album de Loth en l'honneur de l'hiver. Ce 21 décembre sortait le second album représentant l'autre solstice.

Prenant donc les choses à l'envers et à rebours des temps l'album démarre sur une chanson de Guillaume de Marchaut, auteur primordial du XIVème siècle et porteur de l'Art Nouveau. La mélancolie qui s'en dégage tient dans la nostalgie d'un temps que nous n'avons pas connu où le merveilleux et le magique sont invoqués par les instruments anciens. Mais c'est surtout la langue, ancien français, qui pose la clé de voûte de l'atmosphère. La distance qu'elle créé force l'imaginaire au travail de re création, rêvant un monde dont nous foulons pourtant les ruines, les cendres et les os.
Le terme apocryphe désigne ce que l'on ne peut ou ce qu'une autorité si relative soit elle, ne veut pas authentifier. Ce temps est révolu. La clairière s'éloigne et la fin s'ouvre sur "Mourir à Metz".

Loth, Apocryphe, 2017, black metal
                                                            (visuel créé par XXIII Artworks)

Arrive ce moment où l'on cherche à comprendre, où l'on fait des liens en se demandant les références. Arrive ce moment où l'on cherche à savoir si nos affinités sont bien ce que google a fait de nous : des êtres cernables à coups d'algorythme, prévisibles.

Et puis lui succède cet autre moment où on lâche prise et que l'essentiel revient. Le black metal, la sensation primitive. Qu'ai-je ressenti la première fois? La brèche était-elle déjà ouverte ou l'ai-je juste identifiée grâce à cette pointe glacée qui s'est enfoncée en moi ? Vous souvenez-vous de ce moment où la musique vous tombe dessus, vous choisit et où l'évidence vous prend à contrepied. Apocryphe ne s'écoute pas seulement comme un album de black metal. Il s'écoute comme un acte de dévotion musicale où le genre sert de terreau, de racine d'affinité. A force de le mettre seule la sensation prendra le dessus, et si on pourra clairement penser aux pérégrinations de Roman Saenko c'est avant tout parce qu'ils partagent une vision proche de notre place au cœur de la nature.

Musicalement l'album se décrirait plus aisément comme l'évocation de territoires parfois larges, parfois feuillus à en être impénétrables. Au fur et à mesure du disque il ne devient plus possible de décrire les morceaux qu'en terme de densité, de contraction et d'expansion comme une course éperdue dans une forêt sans chemin. "Malmoth" fouette le visage comme des ronces avant de nous amener dans une clairière où l'espace nous rappelle notre insignifiance. Chaque mélodie est d'une beauté sauvage, comme la cascade que l'on admire tout en la sachant meurtrière. La falaise qui termine la course de l'eau, caprice géologique dont la beauté n'égale que le danger. Loth développe une musique où le territoire nous enserre, où le son rêche nous dit que la beauté n'est pas un répit.

Et la profondeur de la pochette contient une brutalité comme entrée dans la pensée. La forêt n'est plus grise ni enneigée mais verte et luxuriante tout en étant bordée de noir. C'est là que le disque nous terrasse. Parce que la forêt, cet environnement où le mystère est encore possible nous rejette dans ce hors cadre pour dire que le réel se passe de nous. Si le nihilisme traite de l'absence ou de la vacuité du sens, c'est ici l'absence tout court qui est montrée. C'est l'image d'un monde qui vit en dehors de notre réalité. Lorsque l'on ouvre le disque, la lumière qui caresse les plantes nous exclu totalement de ses bienfaits.

Quand la terre nous aura recouvert et que nos corps s'évanouiront en sédiment, quand les racines des arbres ignoreront notre histoire en tirant juste la substance de notre pourrissement nous serons devenus des êtres apocryphes. Certaines traces resteront, un mythe sans rêve qui témoignera d'une existence vite recouverte, vite oubliée.

C'est le scandale de la vie, le cri et le rugissement hargneux tout aussi vains que le silence. Hurler pour s'entendre vivre, se croire vivant dans un temps si éphémère qu'il ressemble à une illusion: "espoir, tout est dérisoire, quand vient la nuit". Il n'y a aucune sérénité dans cette pochette (par Jennie Zakrzewski), aucun calme, juste un rappel : le monde est une illusion, peut être au plus une persistance rétinienne. Quand vous fermerez Apocryphe cette conscience vous brusquera peut être. L'oubli est le vrai nom du mensonge qu'on nomme nirvana.

"Les contours disparaissent, les mots cessent d'être".

Cet album est d'une beauté sans ornement. Beau comme une vérité vouée à disparaître quelle que soit sa force. Resterait l'amour, mais "tu peux crever deux fois, tu es déjà morte pour moi"
C'est la mort de l'amour comme ultime force de vie. "Première lueur, dernière horreur"

Sorti en vinyle le 21 décembre 2017 chez Specific Recordings et Vendetta records (qui a aussi édité l'album en cd et K7) dans une magnifique édition vinyle grise gatefold avec poster. 

NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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