On parle beaucoup des festivals à grande échelle, Hellfest, Download... Mais nombre d'initiatives locales fleurissent avec parfois beaucoup d'atouts à jouer : cadre, tarif, proximité... Dans une région pas forcément la mieux desservie en concerts rock ou metal, le festival Les Nuits Carrées d'Antibes gagne son pari depuis dix ans, avec l'ajout récent d'artistes plus extrêmes. Entretien avec le directeur artistique du festival, Sébastien Hamard.
Pour ceux qui découvrent votre festival, votre concept est assez novateur en misant sur un festival accessible, éclectique, et proposé dans un cadre assez particulier !
Le concept du festival depuis 2007 c'est avant tout un lieu d'exception, au pied du Fort Carré d'Antibes en bord de mer, avec une vue sur l'eau à 180 degrés. C'est aussi la volonté de créer un événement accessible au plus grand nombre, profiter vraiment de ces espaces, en faire un vrai lieu de vie plutôt que simplement une salle de concert en plein air. Je tiens vraiment à ça depuis la création du festival, et depuis l'année dernière, sont venus s'intégrer aux programmations historiques les esthétiques rock, metal et alternatives sur une troisième soirée. Ce qui était assez attendu sur le territoire de la Côte d'Azur, parce qu'il n'y avait pas d'événement d'envergure sur ce thème là. Et cette année on a effectivement une soirée 100% artistes français de la scène metal, une autre soirée hip-hop comme on l'a toujours fait et la dernière soirée ou on mélange un peu tout les styles précédents.
Sans vraiment connaître le cadre d'Antibes, on a l'impression d'après les photos des années précédentes de retrouver un cadre similaire aux Francofolies de La Rochelle, avec une scène collée à quelques mètres de l'eau, un cadre historique unique...
On est vraiment aux pieds d'un fort Vauban monumental qui avance sur la mer. Le lieu en lui même a été le déclencheur de toute la philosophie du festival. Tant au niveau esthétique qu'acoustique, le site est fabuleux. C'est un peu grâce au hasard qu'on s'est retrouvé sur place en 2006 pour une fête de la jeunesse et des sports organisée par la ville d'Antibes. L’amphithéâtre et toute la zone autour du fort venait juste d'être réhabilité pour être exploité, l'endroit a été en ruine pendant pas mal de temps. Et la municipalité nous a tendu une perche à nous, jeune structure culturelle du territoire en nous disant que ce serait bien de monter quelque chose à cet endroit. Le concept des Nuits Carrées est né et a beaucoup évolué entre temps, on a toujours voulu remettre en question ce qu'on faisait chaque année et on apporte des nouveautés pour chaque édition.
La soirée réellement metal du festival a pris forme à partir de l'année dernière ?
Oui tout à fait. Après avoir passé la première décennie de festival, on s'est dit qu'il fallait attaquer une prochaine décennie avec une nouveauté. Sans faire grandir le site en terme de capacité, parce qu'on a pas la volonté de changer le format du festival tel qu'il est. Donc on a ajouté une soirée qui corresponde aux attentes du public metal, et ça a été un pari plutôt réussi.
A l'inverse d'autres festivals de la même taille en France qui ont grandi depuis, retrouverons-nous la même affiche tous les étés que partout ailleurs ? Les festivals locaux semblent vouloir conserver de la découverte avec des prises de risques plus marquées...
C'est une vraie démarche de notre part oui, on croit complètement au format intermédiaire, aux rôles qu'on a à jouer sur le territoire, auprès des publics et des acteurs de la musique. On croit en ce format et on refuse complètement d'agrandir la jauge de spectateurs. On a une capacité de 4000 personnes par soir, ce qui nous permet de maintenir ce lien serré entre le public et nous et de proposer de la qualité tout de même. Les gros festivals qui s'industrialisent ont de bonnes raisons de le faire, et je pense que plus il y aura de gros festivals, plus il y aura également de place pour les petits événements culturels, sociaux, musicaux... Et le temps nous donne raison, puisqu'on arrive maintenant à travailler avec de grosses structures de production, sans jouer dans la même cour qu'eux. Ces grosses productions permettent d'attirer de gros groupes, ça a son rôle à jouer pour voir de grands artistes dans de très grands cadres. Et nous, on essaie d'apporter un petit peu autre chose en complément. Rien que dans le choix de la date (fin juin), on veut toucher à 90% le public du territoire, et ne pas tomber dans la saison estivale.
Le tarif est un gros point fort de l'événement, avec moins de 20 euros la journée...
C'est aussi une vraie démarche qui a un sens, on a un modèle économique qui est en trois tiers. Un tiers de financements publics, des collectivités, et on part du principe que ce financement là doit revenir dans la poche du public. Si on arrive à proposer 18€ en préventes pour huit heures de musique par soir, c'est qu'on dédie le financement public à la politique tarifaire pour rendre le festival accessible. Un tiers de financements privés concerne la logistique et la technique du festival, et le dernier est de l'autofinancement de ce que le festival génère pour conserver une indépendance artistique. L'erreur de beaucoup d'opérateurs disparus ces dernières années a été, avec une grosse somme d'argent public, d'avoir une politique tarifaire qui dépassait les 40€... De notre côté, on conserve une marge de sécurité. Et si demain pour n'importe quelle raison, on a une baisse des financements publics, on a ce curseur disponible, on peut augmenter nos tarifs pour pouvoir équilibrer. C'est ce qui rend le système solide et fiable.
Avec une telle diversité de programmation, vendez-vous plus de pass à la journée ou le public s'intéresse vraiment aux trois jours complets malgré l'écart entre les artistes ?
On vend plus de billets à la journée, c'est une évidence. Mais nous sommes assez surpris des ventes de pass trois jours, on se rend compte aujourd'hui que les publics sur les esthétiques rock et hip-hop sont très proches, fréquentent les mêmes lieux, ont les mêmes envies quelque part. Personnellement je suis autant fan de hip-hop que de rock classique. Par exemple, sur un concert de Roméo Elvis qui est pourtant la tête d'affiche du 29 juin, on a un public rock qui s'intéresse malgré tout à ce genre d'artistes qui ont une approche rock'n'roll malgré leur étiquette. On devrait arriver à proposer des pass deux soirs avant le festival pour le jeudi et le samedi, mais c'était un des paris du festival de mixer les publics. Et le plus beau compliment qu'on puisse avoir c'est quand une partie du public venu sans connaître les artistes, nous dit qu'il passe un très bon moment et découvre des choses inconnues jusque là... Pousser à la découverte, pour 18€ c'est possible. Une place de cinéma sera bientôt à ce tarif là...
Même à votre échelle, une tête d'affiche ne suffit pas forcément à remplir le festival, le cadre et les ''à côtés'' doivent jouer...
Malgré la programmation estivale de la Côte d'Azur, très ''Côte d'Azur'' justement, on essaie de proposer autre chose, et oui le cadre est essentiel. Un nom sur une affiche ne fait plus forcément recette, surtout dans le cadre des festivals moyens. Le Hellfest, à une autre échelle, a misé la totalité de sa démarche sur le rapport communautaire et avec une prise en considération exacerbée du public. Ils sont allés au bout de la démarche. Tout est fait pour que les gens se sentent bien, quelque soit la programmation. J'y crois beaucoup également, c'est un très bon exemple. Dans un autre registre et plus ancien, les Trans-Musicales de Rennes avec maintenant quarante éditions, un vrai travail sur les publics, l'environnement... Et ça marche !
Que préparez-vous pour l'avenir ? Sans augmenter la jauge de spectateurs, comment peut-on se développer ?
Il y a un vrai dossier en cours, qui devait voir le jour cette année et reporté à l'édition 2019. On travaille sur une nouvelle zone dans le festival, qu'on a baptisé ''le Square'', ''le Carré'' en en français. Un square en ville c'est un lieu de rencontre, d'échange, de vie. Ce sera un espace de 1000m² sur le festival, qu'on veut dédier au public et à la famille pour une ouverture dès l'après midi, avec des animations pour les enfants, des stands, des manèges, du merchandising... C'est un ajout de contenu en faveur des publics familiaux qu'on aime continuer à attirer. Voir des petits arriver aux concerts avec un casque sur les oreilles, des poussettes, des familles entières, c'est un grand bonheur pour nous.
Entretien téléphonique réalisé en avril 2018.
Merci à HIM Media et à Sébastien Hamard pour leur disponibilité.
Plus d'informations sur le site du festival: http://nuitscarrees.com/