02/06/18 - Retour sur Paloma pour ce deuxième jour au This Is Not A Love Song, à Nîmes. On a gardé, cette année encore, le format gratuit des après-midis du samedi et du dimanche, permettant à une population plus vaste d'accéder au site, de participer aux ateliers de hippies et d'assister aux concerts de quelques groupes prometteurs issus du terroir. Après l'invitation nîmo-centrée de Mummy's Gone hier, la scène locale s'élargit d'Est en Ouest par la programmation grand-écart de Cathédrale, de Toulouse, et de The Spitters, de Toulon.
CATHEDRALE
On s'était sentis frustrés, hier, de l'entrée en matière un peu ronflante offerte au festival ; cette journée commence sur une toute autre intention avec le garage-punk ultra-énergique de Cathédrale. Le son, qu'on avait trouvé brouillon pendant la soirée précédente sur cette même scène, est étonnamment propre, et la jeune garde (Cathédrale, comme la quasi-totalité des groupes locaux programmés durant ces deux après-midis d'ailleurs) donne une leçon d'investissement scénique aux dinosaures rock paresseux se prélassant sur scène comme s'ils n'avaient plus rien à prouver. Le set est sec, brut, les rythmiques sont rapides, le batteur frappe fort et vite, tendu à la main droite – on attend qu'il craque, la déchirure musculaire ou l'implosion du poignet, mais il ne craque pas.
L'énergie éclabousse donc nos visages réjouis à grosses gouttes, mais il nous manquera tout de même un peu de variété dans la composition pour apprécier tout à fait le show. Comme Cathédrale a fait le choix d'un certain minimalisme dans les mélodies vocales, et que tout est joué pied au plancher (ce qui joue également sur cette impression de minimalisme vocal), les titres s'enchaînent sans que l'on ne puisse véritablement se souvenir d'un morceau en particulier – il nous faut une prise de risque supplémentaire pour nous marquer l'esprit, de quoi nous déstabiliser lorsqu'on ne s'y attend pas plutôt que de nous enfermer dans une certaine routine, aussi dynamique et plaisante soit-elle.
THE SPITTERS
par Yann Landry, rédacteur en chef de La Grosse Radio Rock
Gros démarrage de set pour le quatuor punk au look semi-californien semi-fripien et derrière aux fûts un semi-goth nawak semi-minishort en jean 70's.
D'entrée, de la sueur, les deux guitares et la basse bougent beaucoup sur scène, semi-pogotent.
La troisième chanson parle de chat, en même temps, on entrave que dalle à ce que ces furieux racontent avec un chant gavé d'écho et mêlé dans l'ensemble du mix, volontairement semble-t-il, c'est leur style. Dans un genre quasi similaire à Cathédrale juste avant, on apprécie chez Spitters leur set moins linéaire, tout en bousculades. Le batteur est à bloc, hurlant un max, venant dans le public (et pourquoi pas les batteurs un peu ?) pour... hurler...
Peu de franfreluches, ça enchaîne vite, peu de solo mais remarquables dans la frénésie, ça matraque en tous sens. Et par 30° à l'ombre (et y a pas d'ombre), ça pique ! Notons que le chanteur gratte ses cordes avec un médiator à son poignet cassé, rien ne les arrête !
Une putain de fougue, le public de cet aprèm assez nombreux bouge bien devant ces quatre gus visiblement heureux de jouer. Un gros show.
THE BUTTERTONES
Avec un planning d'interviews chargé, on rate malheureusement quelques concerts ; en revanche, si on nous proposait une interview-come back exclusive de Kurt Cobain à l'heure de celui des Buttertones, on choisirait les Buttertones – pour cause, cet excellent album paru il y a quelques semaines, Midnight in A Moonless Dream. Le quintet hollywoodien est bien rangé sur scène, tous en ligne, face au public, tous bien habillés, et presque tous bien coiffés. « C'est vraiment des putains de beaux gosses », constate un grand barbu derrière nous.
De nouveau, le son est tout sauf bon, et ça va devenir une constante sur cette scène Flamingo, la plus importante du site. Grosse caisse et basse mangent tout le reste, la voix est très en-dessous, ce qui est un quasi-sabotage lorsqu'un groupe s'appuie ainsi sur un chanteur d'une telle expressivité. On ne reconnaît que très tard les morceaux du dernier album, nombreux dans la set-list, même lorsqu'on les a écoutés des dizaines de fois.
Le concert n'en demeure pas moins intéressant, le groupe est charmant, accessible, communique avec le public, lui répond, installe une ambiance décontractée et chaleureuse, entre d'excellentes chansons à l'énergie furieuse et rétro, portées par des guitares de loubards élégants, surfy, une voix touchante, et une batterie aussi furieuse que formidablement subtile et mélodique – un jeu de charley à deux mains, en particulier, d'une rare dinguerie.
CHOCOLAT
En termes de groupes attachants, le suivant est un modèle du genre ; l'attitude, sur scène, des Québécois de Chocolat, est la plus haute allégorie du gentil. Jimmy, lorsqu'il ne chante pas d'une voix fluette tantôt douce, tantôt piquante et agressive, parle au public comme il parlerait à un copain, propose poliment à qui veut de « faire un stage diving, monter sur scène pis sauter, y'a pas de problème ». Du coup, on passera le concert à porter des types qui auront fait des stage diving.
Le premier morceau a posé les bases du reste du concert, de longues phrases répétitives poussant à la transe, du psychédélisme lourd et chaleureux, incroyablement positif, entrecoupé de mises en place obscures, abstraites, incompréhensibles, mais incompréhensiblement bien. Tout au bout de la scène, un type arborant une coupe de cheveux dont on ne saurait dire si elle est dépassée ou en avance sur son temps souffle dans un saxo chargé d'effets, donnant aux compositions un air malade, une mauvaise santé délectable. Les allers-retours entre accalmies et emballements sont parfaitement gérés, on suit l'évolution des ambiances intuitivement, pris par le mouvement.
VIAGRA BOYS
De nouveau en interview, on loupe tristement le show coloré de Black Bones. A minuit passé, des hooligans suédois envahissent la scène Mosquito – la scène où il se passe des trucs. Les types sont tatoués jusqu'au front, ont l'air méchant et décidés à faire fuir les hippies qui oseraient encore se couronner de fleurs en souriant naïvement. Viagra Boys est une grimace, un rictus, sans aucun doute le groupe le plus malsain de toute la programmation, et de fait, l'un des plus intéressants.
Une énergie de punk à fauve se mêle à une culture électronique tout ce qu'il y a de plus dépravée avec une lourdeur suffocante. Un clavier minimaliste balance une note de temps en temps histoire de salir magnifiquement le tout, un saxophoniste timide au physique gentillet détonnant avec celui des loubards alentours semblait s'être perdu au coin de la scène avant d'extraire une myriade de notes corrosives de son instruments pour révéler au monde qu'il était en fait le plus pervers de la bande.
Lorsque nous rencontrions bassiste et chanteur plus tôt dans la soirée, et que nous les interrogions sur cette nouvelle façon d'introduire l'électronique dans le rock, dans le punk, à des kilomètres des méfaits du début du siècle, ils nous répondaient « it's all about rhythm » ; effectivement, les basses frappent dans nos têtes sans discontinuer, et à chaque coup, le squat le plus sale qu'on puisse imaginer s'imprime sur nos rétines. Si le groupe affirme se sentir complètement esseulé dans le genre qu'il explore, nous aimerions leur faire rencontrer The Moonandingz, Fat White Family, dont quelques membres étaient présents hier, ou HMLTD, qui mettaient cette même scène à sac l'an dernier ; une intention identique les relie, une même odeur d'humidité poisseuse incrustée dans les murs et les matelas défoncés traînant au sol.
TY SEGALL AND THE FREEDOM BAND
Après les Oh Sees l'an dernier, le TINALS accueille une autre figure gigantesque de l'underground San Fransiscain, et donc, mondial, Ty Segall le grandiose. Entouré des mêmes types que d'habitude (Charles Moothart à la batterie, Mikal Cronin à la basse...) portant comme d'habitude un nouveau nom de groupe (The Freedom Band, donc), le multi-instrumentiste-compositeur-compulsif défend son dernier album, probablement l'un de ses meilleurs, Freedom's Goblin.
Entendu depuis l'exact centre de la fosse, le son est à nouveau incroyablement mauvais, les enceintes ne semblant vouloir projeter qu'une infra-basse dégueulasse et beaucoup d'air. Le seul moyen d'ouïr quoi que ce soit est de se frayer un chemin jusqu'aux tout premiers rangs, là où la sono ne peut exercer son emprise malveillante, afin de capter directement le son des amplis, lancés à un volume joyeusement déraisonnable.
Liberté revendiquée pour le présent projet, la plus grande partie du concert ressemble à un genre de grand bœuf délirant dirigé comme un chef d'orchestre par Ty Segall, trois quarts-dos au public, face à ses musiciens, bien rangés en arc de cercle autour du batteur. Ils communiquent pas mal, se foutent les uns des autres quand une phrase un peu pourrie s'échappe d'un instrument, partagent entre eux une bonne humeur un peu fermée, peu inclusive pour le public qui est alors placé de force dans une sorte de position impérativement contemplative, n'ayant d'autre choix depuis sa fosse misérable que de lever désespérément la tête vers ces objets de culte, d'idolâtrer ces entités scéniques immuables – c'est l'avènement définitif de l'ère Ty Segall, qui est désormais plus qu'un homme. Pendant ce temps, l'immense photo d'un chien à perruque reste fixée derrière les musiciens, comme unique décor désuet de l'apothéose du génie californien.
Cette soirée s'achève donc sur une performance scénique impeccable, concluant avec à propos un deuxième jour bien plus enthousiasmant que le précédent, pour peu que l'on ait réussi à échapper au concert de Phoenix.
Crédits photos :
Thomas Sanna (3, 4, 8, 9, 10, 11, 14, 15)
Yann Landry (1, 2, 5, 6, 7, 12, 13)