A l'occasion du Crossroads Festival de Roubaix qui se tiendra du 12 au 15 septembre, nous nous sommes entretenus avec 14 groupes rock qui y seront présents. L'occasion de faire connaissance et d'aller les voir sur scène à la Condition Publique. Aujourd'hui Esplanades, groupe lillois de post-glam si l'on peut s'exprimer ainsi, en tout cas, Tim et Cucci étaient en verve pour cette inteview !
Infos pour Esplanades au Crossroads ici sur le site du festival.
1/ Quel festival auriez-vous aimé faire cette année (pour sa prog' ou pour le trip) ?
Tim : En tant que festivalier, probablement Burning Man, effectivement pour le trip. En tant que musicien, Dour reste un festival dont l'ambiance est non seulement unique mais a une programmation gravement éclectique.
Sinon en tant que festivalier et musicien à la fois, Rock Werchter. Tu as une programmation tellement idéale, riche et intelligente que partager ta musique dans ce contexte c'est forcément pour la prog' ET le trip en temps que musicien !
Cucci : Les Solidays. Je n'ai pas beaucoup d'expérience en tant que festivalier, mais les Solidays est un des rares festivals auquel j'ai participé plusieurs fois en tant que spectateur. À chaque fois l'ambiance y était très cool, j'y ai fait beaucoup de découvertes (Ben Howard, Rover...) et y participer avec Esplanades serait un grand kiff !
2/ Si vous étiez programmateur, quel groupe n'auriez-vous pas programmé cette année en festival ?
Tim : C'est difficile comme question ça. Être un bon programmateur, j'imagine aussi que ce n'est pas juste se faire des trips perso, mais aussi pouvoir proposer des artistes que les gens ont envie de venir voir. Essayer de garder ta ligne éditoriale et ta personnalité mais aussi prendre en considération le public. Même si tu n'aimes pas Tel Nom Du Rock mais que Tel Nom du Rock ferait grave plaisir au public dans ton Festoche de Rock, et bien je pense que c'est bien de le programmer, non ?...
Après, j'ai vu un concert cette année d'un duo electro-pop fort connu qui m'a beaucoup déçu (parce que je suis dingue des disques) et qui est probablement l'un des concerts les plus soporifiques et moins incarnés que j'ai vu ces dernières années. Alors pas eux. Na. Fallait pas être chiant. .
3/ Quel groupe vous donne des frissons en concert ?
Tim : Cette année avec Cucci on a été voir Queen + Adam Lambert au Luxembourg.
Au milieu du concert, Brian May chante « Love Of My Life » en solo.
Silence de dingue et chanson absolument incroyable. À la fin de la chanson (et c'est dur de se le représenter raconté comme ça mais c'est vraiment fait avec une justesse et une émotion très palpable), Freddie Mercury apparaît sur l'écran derrière, avec sa voix et sa performance au Wembley Stadium. Brian May 2017 termine alors la chanson avec son copain en 1986.
Un des plus gros frissons aux yeux humides de ces dernières années.
Cucci : Souvenir inoubliable, c'était mon cadeau d'anniversaire de l'an dernier !
Pour citer un autre groupe, je dirais Muse. C'est le groupe que j'ai le plus été voir en concert (une dizaine de fois), donc j'ai connu à peu près toutes les époques et c'est une claque monumentale à chaque fois. Que l'on aime ou pas leur évolution musicale, c'est incontestablement l'un des meilleurs groupes de scène. J'adore le fait qu'ils puissent conjuguer le côté machine de guerre de leurs spectacles tout en s'y amusant comme s’ils avaient 15 ans !
4/ Qu'est-ce qui pourrait vous faire devenir populaire ?
Tim : Une publicité pour une voiture avec une progression d'accord de type Do - La Mineur - Mi Mineur (avec un Mi Mineur deux fois plus long pour une suspension sympa).
Au début c'est juste du piano avec un delay assez froid.
[plan de détails de la voiture, visage d'un homme triste au volant].
Un sample de goutte d'eau arrive en fade in et devient tout doucement une sorte de beat électronique très mat.
[plan de l'homme qui ferme les yeux, respire, enclenche la première].
Entrée de la batterie, avec une reverb très wet et une caisse claire à 10.000$.
[La voiture démarre et on aperçoit enfin l'extérieur : c'est une sorte de lumière blanche infinie]
Voix de tête avec une mélodie doublée au synthé. C'est un Juno 106 passé dans une ProcoRat.
On est dans l'intemporel, on est à la fois vivant et mort, ou peut-être jamais né mais on est dans une super voiture dis-donc.
[L'homme regarde ses mains, puis regarde dans le rétroviseur, ce n'est pas son visage mais celui d'une femme. En effet l'harmonie est telle qu'on est à la fois homme et femme, alpha et oméga, perfection et alignement des planètes.]
Deux guitares électriques très compressées types Nine Inch Nails entrent alors pour compléter ce titre et le sentiment de bien-être explose : on est à la fois amoureux de chaque homme et de chaque femme sur Terre.
5/ Souhaitez-vous être populaire ?
Seulement avec la pub du dessus, sinon pas vraiment.
Plus sérieusement, être sélectionné dans un festival comme Crossroads prouve, je pense, notre intérêt pour un développement du groupe, et le partage de notre musique dans les meilleures conditions possibles. Ça serait un peu incohérent, je pense, de dire qu'on joue au Crossroads et qu'on désire à tout prix rester confidentiels.
6/ Qu'est-ce que vous devriez changer dans votre groupe ?
Tim : On travaille d'arrache-pied à faire en sorte qu'on ne souhaite plus rien changer une fois qu'on arrive à aligner nos choix selon notre cohérence personnelle, même si celle-ci est en constante évolution. Elle est transversale à la musique, aux paroles, aux photos, aux clips... et aux interviews. Donc logiquement, on ne devrait rien vouloir changer, sinon il faut pas faire des clips et monter sur scène et faire de la promo.
Je dirais « Change le d'abord » je pense, et fais des clips, monte sur scène et fais de la promo après. Le bien-être doit rester une priorité 🙂
Cucci : À la limite, je me dis que je devrais peut-être songer à changer de coupe de cheveux.
7/ Quels sont vos plus belles et vos pires paroles ?
Tim : C'est une question pour le public ça, je pense ! Je ne peux pas te dire lesquelles sont les plus belles mais peut-être celles qui me touchent le plus, et encore, celles-ci changent constamment en fonction des différentes périodes de ma vie.
En ce moment c'est « We're a million floats of lead / In Heart-Sized Parade » dans une chanson de qui s'appelle d'ailleurs « Heart-Sized Parade ». Elle sera sur notre EP qui sort en janvier 2019 et qui lui s'appelle « Rebirth Of Bravery ».
Les pires paroles, je peux pas vraiment répondre, c'est comme vouloir changer un truc ! Je vais essayer de me rapprocher de ce qui je pense est le fond de la question : mon tout premier groupe il y a de cela environ 16 ans s'appelait Anémique Césarienne. Rétrospectivement... Haha. Haem.
Cucci : Étant donné que Tim est l'auteur de toutes les paroles, je me garderai bien de critiquer quoi que ce soit, au risque de ne plus pouvoir jouer que des instrus ! Par contre, en rangeant le matos de répète, on remixe souvent des chansons connues avec des paroles de notre cru. Celles de Tim n'ont aucun sens mais sont diablement entêtantes !
8/ Qu'est-ce qui vous gave en concert ?
Tim : Ben pas grand chose, on arrive souvent plein de poussières d'étoiles dans les yeux parce qu'on adore jouer sur scène. Du coup, pour arriver à être gavé, il faut vraiment y aller.
Parce qu'être gavé, c'est assez dark comme sentiment, du coup c'est mieux de pas le laisser rentrer sur scène.
On a joué à l'Aéronef à Lille et notre ordinateur qui lance les samples a juste décidé de s'arrêter en plein milieu du concert. Genre 3 fois. On avait répété comme des acharnés, on était entrés en résidence puis en studio pour retoucher les samples, et là, c'est juste l'ordi qui fait grève.
Il faut prendre un peu de recul par rapport à ce genre de choses : ce n'est pas parce que tu mets toutes les chances de ton côté et que tu bosses à mort que la technologie ne va pas te faire des p'tits coups un peu filous.
Alors le Grand Jeu, justement c'est justement que ça ne te gave pas. Parce que sur scène, un personnage gavé, c'est pas top. Du coup, tu embrasses l'absurde, tu rigoles un coup avec ton pote, tu fais du stand-up 5 min avec le public qui apprécie, et ensuite tu relances la machine. Et ainsi, tu peux te remettre dans ton set après. Si tu es gavé, tu es contaminé par le Dark Toi et c'est pas de bonnes conditions pour communiquer ta musique.
9/ Comment prenez-vous votre pied en concert ?
Tim : Le pied, C'EST le concert voyons 🙂
Sinon je prends peu mon pied parce qu'il est souvent sur la pédale de sustain du piano ou sur mes pédales d'effet. Si je le prends, non seulement je perds l'équilibre, mais je fous aussi en l'air notre concert. Il y a une chanson ou je lâche les instrus dans le set et où je pourrais essayer de l’attraper mais je ne veux pas commencer à me créer un stage-persona qui serait Tim Le Voleur De Pieds. Surtout quand c'est ton propre pied. Après, il faut bien commencer quelque part.
10/ Que changeriez-vous à l'industrie musicale ?
Tim : Sa frilosité.
Mais ça vaut aussi pour l'industrie cinématographique. En gros, tout ce qui part dans un format industriel va avoir tendance, pour des raisons de profit, à enterrer toute forme de danger et de prises de risques. On se retrouve avec un mainstream frileux du coup, alors que ce n'est pas obligatoire à mon sens. Et ainsi on apprend aux musiciens aussi à devenir frileux. C'est la culture de la frilosité.
Cucci : Je pense qu'on appelle ça la friloculture.
Tim : Je pense que ça n'a pas toujours été comme ça. Pas de nostalgie morbide à la « c'était mieux avant », parce que justement, c'était avant. Il faut savoir apprivoiser son époque. Cependant, quand tu vois que Bowie pouvait être mainstream dans les 70's-80's, tu te dis que ce n'est pas le public qui est frileux. Le public reste encore curieux et malin, il aime être bousculé. Ce sont les industriels qui se persuadent que ce n'est pas le cas et qui du coup posent un globe à neige sur ce que peut être une musique « populaire » (pour reprendre tes termes plus haut). Le public est prêt pour tout, je pense, et si les musiciens ne prennent pas les gens pour des idiots, ça serait pas trop une mauvaise idée que l'industrie recommence à faire de même.
Voilà voilà ! Merci pour le temps consacré au groupe !
Un dernier lien vidéo pour terminer de façon conquérante cette interview. On est super fans du groupe et le mix (probablement la sortie de table) de la vidéo live est complètement dingue pour un rip VHS de 1996 🙂 Enjoy !
Crédits photo : Djavanshir