Au cas où vous ne le sauriez pas, Manudigital sort son deuxième album le 5 octobre prochain, toujours chez X-Ray Production. Le beatmaker a dévoilé tellement de morceaux en avant-première que ce futur opus est désormais devenu un secret de polichinelle. Mais on ne lui en veut pas, puisqu'il doit sûrement être impatient de faire part aux massives de ce Bass Attack, placé sous le signe, vous l'avez compris, des grosses basses et du digital. Du Manudigital, en somme. Sauf que.
Sauf que depuis Digital Pixel, son premier album paru en 2016 (la grosse chronique ici), il s'en est passé des choses pour Manudigital. Beaucoup de choses. Une tournée marathon qui l'a mené aux quatre coins du globe, des riddims pour des artistes en pagaille (Alborosie, Papa Style, Soom T, Bazil, pour ne citer qu'eux), un EP avec Joseph Cotton (la grosse chronique ici), une programmation sur la plupart des dates du Télérama Dub Festival en 2016, un concert à Trinidad où il a notamment backé Beenie Man et Bounty Killer et où il a pu checker Jillionaire et Walshy Fire de Major Lazer et toujours ces concepts vidéos, des Digital Sessions aux Dub For Fun en passant par les RMX Of The Week.
Manudigital est ainsi un bourreau de travail, un boulimique de production, un stakhanoviste du riddim et il n'est pas prêt de s'arrêter là ! Ce Bass Attack qu'il nous présente aujourd'hui est en quelque sorte un aboutissement de tout ce chemin qu'il a parcouru depuis plus de deux ans maintenant, où le dub est venu se confronter à la jungle, le trap au dancehall, le hip-hop au reggae, etc. On connaît l'intérêt du beatmaker pour Diplo et DJ Snake, les deux producteurs qui font actuellement la pluie et le beau temps sur la sono mondiale et qui pratiquent une musique hybride. Manudigital s'est lui aussi aventuré sur des chemins extérieurs au reggae dans son Bass Attack, mais de manière plus timorée. En effet, même s'il reste un passionné de musique en général et de musique jamaïcaine en particulier (voir notre interview au Nomade Reggae Festival cet été), Manudigital tient à conserver une certaine identité qui lui est propre, de façon à ne pas destabiliser l'auditeur.
De fait, ce Bass Attack reste un album de reggae digital, bien qu'on puisse y écouter, entre autres, du dubstep par-ci ou de la jungle par là. Du reggae digital comme sur Digital Pixel alors ? Oui et non. Oui, parce que l'ambiance s'en ressent fortement. Et non, puisqu'on constate une évolution nette et certaine. Si Digital Pixel se voulait comme un hommage rendu à l'âge d'or de la digital era et à King Jammy (malgré déjà quelques incartades à ce dogme digital), Bass Attack modernise le genre avec des riddims beaucoup plus lourds et des arrangements plus pointus. Là où Digital Pixel avait été composé en un mois (voir notre interview datant de 2016), il y a fort à parier que Manudigital a mis plus de temps à élaborer ce nouvel opus. Et il a surtout pris le temps de mieux l'annoncer et de mieux le promotionner.
Comme nous vous le disions plus haut, pas moins d'une demi-douzaine de titres de l'album ont déjà été publiés et dans la plus pure tradition de Manudigital : on retrouve autant un clip que des sessions studio ou dans la rue. Et pour tout vous confier, on a plus que kiffé voir enfin réuni ces deux warriors tout terrain et adeptes du micro-trottoir (façon reggae/dub hein et pas façon TF1) que sont Manudigital et Dub FX. En effet, depuis le temps que les deux artistes partagent des vidéos de freestyle filmées dans la rue (on se souvient notamment de l'énooooorme "Flow" de Dub FX avec l'énooooorme sax de Mr Woodnote), il était tout naturel qu'ils se retrouvent pour une session de folie sur "Shoot & Collect", un dancehall survitaminé aux allures de moombahton qui nous ferait presque penser au tout aussi énooooorme "Magenta Riddim" de DJ Snake. Initialement en feat. avec Junior Cat, ce "Shoot & Collect" permet d'entretenir les liens entre le chanteur et Manudigital après cette énooooorme (promis, après on arrête) Digital Kingston Session de plus de dix minutes.
Si l'on peut déceler quelques dancehall (dont également le très ruff "Bad" en feat. avec General Degree), la trame de ce Bass Attack est plutôt rub-a-dub et c'est d'ailleurs avec ce style que s'ouvre l'album. "Bye Bye Boom Boom" est pleinement représentatif de ce qui va nous attendre tout au long de l'opus : un kick très appuyé, une ligne de basse massive pour un riddim loud & heavy ; à la vérité, on n'avait pas entendu un album aussi lourd depuis le Rebel Frequency de Nattali Rize (la grosse chronique ici) sorti l'année dernière. Et ce n'est justement pas un hasard si Manudigital s'est mué en guitar hero en glissant un solo hard rock dans un morceau qui reste très organique dans sa conception, le digital ne faisant véritablement son entrée que sur les tracks suivants.
En effet, Mesh M18 déboule sur le riddim rub-a-dub et très electro de "Nah Fight" avec son flow et son timbre atypiques presque nasillards mais qui entrent pleinement en fusion avec la prod wicked de Manudigital. Et si sur "Herb Inna Mi Pocket" en feat. avec Solo Banton ou "Strictly That Style" avec Dapatch, on revient à du rub-a-dub plus classique, alors que dire de "Dem A Poison" en compagnie de Soom T ? Le beatmaker réhabilite ici les sons de jeux vidéos des 80's en les mêlant à des effets très dark et où l'on peut entendre une Soom T au sommet de son art ne pratiquant plus un fast style mais un rocket style ! Youthstar et Big Red n'ont qu'à bien se tenir ! Cette ambiance de jeux vidéos se ressent également sur "Winner", une combinaison yardie entre Derrick Parker et Lt Stitchie aux relents breakbeat et bass music.
Et puisque le rub-a-dub est l'élément central de ce Bass Attack, c'est tout logiquement que Cali P vient toaster sur un "Rub-A-Dub" magistral porté par une mélodie digitale accrocheuse dans le refrain dont seul le beatmaker a le secret. On décèle même ici quelques breaks dubstep, breaks que l'on va retrouver sur la ganja tune "Reach The Sky" avec Taiwan MC, un autre rub-a-dub qui va parfois se muer en stepper.
De stepper il en est également question avec le wicked "My Story" co-composé avec Panda Dub pour un riddim an 3000 à la O.B.F et sur lequel on entend la chanteuse Royale qui nous rappelle également les voix féminines d'O.B.F, Warrior Queen ou Sis I-Leen. Bien qu'étant l'un des morceaux cross-over de cet album et qui plus est, en collaboration avec un autre producteur, "My Story" vient parfaitement s'intégrer à l'esthétique de ce Bass Attack ; pour du dub, il aurait été, de toute façon, difficile de faire l'impasse sur la basse.
Autre titre qui se détache, "Rock This World" en feat. avec Skarra Mucci, avec ses influences funky, voire même afrobeat de par l'importance du saxophone. Manudigital aurait-il été conquis par la fièvre du genre musical cher à Fela Kuti ? De toute évidence, là aussi ce morceau prouve l'intérêt du beatmaker pour des ambiances extérieures au reggae et qui se marient finalement très bien à son univers.
Manudigital conclut son album avec un remix ragga/jungle de son "Time Bomb" composé avec son pote Sherkhan et en feat. avec Devon Morgan ; pour cette nouvelle mouture, il s'est entouré du DJ britannique Ed Solo, ce "Time Bomb" officialisant ainsi les nombreux remixes jungle que Manudigital opère sur scène actuellement. En tant que dernier morceau de Bass Attack, annonce-t-il un disque entièrement jungle ? C'est tout ce qu'on souhaite.
TRACKLIST
1. Bye Bye Boom Boom feat. Red Fox
2. Nah Fight feat. Mesh M18
3. Rock This World feat. Skarra Mucci
4. Herb Inna Mi Pocket feat. Solo Banton
5. Dem A Poison feat. Soom T
6. Rub A Dub feat. Cali P
7. Shoot & Collect feat. Junior Cat
8. My Story feat. Panda Dub & Royale
9. Winner feat. Derrick Parker & Lt. Stitchie
10. Reach The Sky feat. Taiwan MC
11. Strictly That Style feat. Dapatch
12. Bad feat. General Degree
13. Time Bomb feat. Devon Morgan, Sherkhan & Ed Solo
Artiste : Manudigital
Album : Bass Attack
Label : X-Ray Production
Date de sortie : 05/10/2018