Entretien avec Richard Z. Kruspe (Emigrate, Rammstein)

Pour la sortie du nouvel album de son projet solo Emigrate, intitulé A Million Degrees, Richard Z. Kruspe s'est confié à La Grosse Radio sur son état d'esprit actuel, sa créativité. C'est en toute franchise que l'artiste s'est livré, évoquant sa passion pour son travail au sein d'Emigrate mais également son ressenti, sa place et même son avenir dans Rammstein … 

Bonjour Richard. Juste avant la sortie du nouvel album d'Emigrate, A Million Degrees, quel est ton état d'esprit ?

Eh bien, c'est le troisième album d'Emigrate. Evidemment, les sentiments sont toujours différents à chaque disque, mais là, j'avoue être très agréablement surpris des premières réactions aux premiers titres qui sont sortis, qui sont assez inattendues. En ce moment, j'ai beaucoup de travail, mais j'ai vu que des titres de A Million Degrees sont sur de nombreuses playlists sur des plateformes, il y a beaucoup de réactions positives, et c'est vraiment quelque chose de formidable.

J'ai écouté l'album et je trouve que c'est très difficile de classer les morceaux dans un genre en particulier : le son est tantôt très doux, tantôt plus heavy, parfois réminiscent de Depeche Mode... Qu'en dis-tu ?

Oui, tu sais, je suis suffisamment ouvert pour aimer essayer des choses nouvelles et différentes. On peut dire que ce projet, Emigrate, c'est mon espace de liberté, où je n'ai aucune limite en terme de style ou de genre. C'est toujours bien de sortir de sa zone de confort, et d'aller mélanger des styles différents. Déjà quand j'étais jeune j'écoutais des styles musicaux très variés, et je ne m'identifiais pas à un style ou un groupe en particulier – ce qui n'a d'ailleurs pas toujours rendu les choses simples pour moi ! En tout cas, j'adore les sons plutôt heavy, mais j'aime aussi des choses comme le blues ou de belles mélodies qui me font ressentir des choses. C'est pour ça qu'Emigrate ne se limite pas à un style.

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À ce propos, il paraît que la création et l'enregistrement de ce nouvel album ont été assez épiques, avec notamment l'inondation de ta maison et de ton studio, qui a détruit, entre autres, toutes les démos. Comme tout a été retardé, est-ce que cela t'a permis de trouver une nouvelle direction pour ta musique ?

Ça n'a pas vraiment changé les choses pour la partie écriture, puisque tout avait été préparé avant, mais ça m'a forcé à tout écrire de mémoire, ce qui était une première pour moi. Ça a plutôt changé ma façon de voir les choses. Tu sais, il y a des choses qu'on ne comprend que plus tard dans la vie, avec du recul. Quand il y a des catastrophes dans ma vie, j'ai tendance à rester calme car je me dis que rien n'arrive par hasard, il y a une raison pour tout cela. Ça a été, pour moi, le moment de réfléchir aux choses, à ma vie, et de retrouver quelque chose que j'avais perdu en 2016 : la passion. Emigrate, c'est vraiment une histoire de passion. Parfois, dans la vie, perdre quelque chose te fait regagner autre chose. Pour moi, le fait de tout perdre m'a permis de créer quelque chose juste après, et maintenant je suis à fond derrière ce projet, qui me procure beaucoup de plaisir.

Sur cet album il y a des titres très différents, mais qui semblent assez intimes. Tu avais prévu de prendre cette direction plus personnelle ?

Non, ce n'était pas vraiment prévu. Généralement, quand on planifie trop les choses, rien ne se passe comme prévu ! Mais il y a effectivement des chansons très personnelles, comme par exemple "You Are So Beautiful", qui est dédiée à ma fille. Pour ce qui est du morceau que je partage avec Till [Lindemann, chanteur de Rammstein], il porte sur les débuts de notre relation. Nous avions un lien spécial quand nous nous sommes rencontrés, en ex-Allemagne de l'Est, et la chanson parle de notre amitié à l'époque.

Les paroles de cette chanson, "Let's Go", sont émouvantes, et on sent de la complicité entre vous...

Oui, mais celle de l'époque. Maintenant, les choses ont changé. Ça change forcément, après avoir passé 25 ans à jouer avec quelqu'un. Chacun veut sa liberté, et généralement, chacun attend de la vie des choses bien différentes.

Pour les précédents albums, tu avais fait appel à de nombreux artistes pour des collaborations [de Jonathan Davis à Lemmy Klimister, en passant par Marilyn Manson ou Peaches]. Cette fois-ci, la liste des guests est moins longue. On retrouve Ben Kowalevitz de Billy Talent, le Cardinal Copia de Ghost ou Till Lindemann. Pourquoi ces collaborations, et pourquoi en avoir moins qu'avant ?

Tout d'abord, ce qui a changé c'est que je me sens beaucoup plus à l'aise avec ma propre voix, d'où le fait que je chante seul sur davantage de titres. Ensuite, pour les collaborations, les choses n'étaient pas toujours planifiées et sont arrivées un peu comme des surprises, c'est ça qui est vraiment bien. Je peux te raconter deux anecdotes : pour le morceau "War", j'avais demandé à Serj Tankian (System of a Down) de chanter. Je lui ai envoyé la démo du morceau, et il m'a appelé pour me dire que la chanson était vraiment bien comme ça, et qu'il ne voyait vraiment pas ce qu'il pouvait y apporter de plus ! Au début je me suis dit que c'était un prétexte, mais après on en a discuté et j'ai vu qu'il avait raison. Je devais aussi travailler avec Iggy Pop sur le titre "Spitfire", mais il y a eu un problème, également d'inondation, chez lui en Floride, et il n'était pas disponible. Pour ce qui est de travailler avec Tobias [Forge] de Ghost, c'est venu d'une conversation qu'on avait sur tout autre chose, car on cherchait des producteurs pour Rammstein. Je lui ai parlé d'une collaboration, il m'a répondu qu'il ne faisait pas trop cela, mais dès qu'il a entendu la chanson, il m'a dit tout de suite « OK, faisons-le ! » C'était très naturel et très spontané. 

Tu écris toutes tes paroles en anglais pour Emigrate, les seuls mots en allemand sur l'album sont les paroles chantées par Till. Tu trouves que c'éest plus facile d'écrire tes chansons en anglais ?

D'abord, c'est Till qui a écrit la partie en allemand de la chanson "Let's Go". Moi, j'aime chanter en anglais, j'écoute beaucoup de musique avec des paroles en anglais, alors pour moi ça ne serait presque pas naturel d'écrire autrement qu'en anglais. Je pense que je devrais même écrire en anglais d'abord avant de traduire ça en allemand. L'anglais, c'est une langue internationale pour la musique.

C'est vrai qu'il y a tellement de chansons en anglais par rapport à l'allemand ou au français.

Ah mais, maintenant que tu en parles, je me dis que le pays dont je me sens proche au niveau de la culture, des endroits que je connais bien, c'est la France, alors pourquoi pas, dans le futur, écrire une chanson en français ?

Ce serait une excellente idée, nous n'attendons que ça !
[Rires]

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Quand tu parles d'Emigrate tu dis que c'est un projet et non pas un groupe. Tes fans n'ont aucun espoir de te voir un jour faire des concerts avec Emigrate ?

Ecoute, aujourd'hui je suis déjà tellement content d'avoir pu finir l'album à temps, avec tout ce que j'ai à faire à côté ! En décembre, le nouvel album de Rammstein va être mixé à Los Angeles. Puis, l'an prochain on commence la tournée pour le nouvel album, avec énormément de dates, donc je vais être très occupé avec Rammstein. Pour ce qui est de faire des concerts avec Emigrate, non. Récemment, je jouais la chanson "You Are So Beautiful" avec ma fille, dont je suis très fier, et je me suis dit que ce serait bien d'en faire une version acoustique... mais j'apprécie énormément la liberté que j'ai avec Emigrate ; j'adore l'équilibre que j'ai aujourd'hui avec Rammstein et Emigrate. Je me dis aussi que si je faisais des concerts avec Emigrate, Rammstein « souffrirait » en quelque sorte de la situation. Ce serait un peu comme faire des infidélités à sa femme, tu vois ? [Rires] Mais, dans l'avenir, si cela est possible, je ne sais pas... pourquoi pas, après tout ? Ce que j'aime avant tout dans le projet Emigrate, c'est de ne pas avoir qui que ce soit qui me mette la pression.

Comme avec Rammstein ?

Au sein de Rammstein, le cadre est quelquefois un peu rigide, c'est parfois très compliqué de faire partie d'un groupe de six individus qui ont tous une personnalité forte. La plupart du temps, bien sûr, c'est super et tout se passe bien, mais il y a des moments plus difficiles. Avoir ma liberté avec Emigrate me permet d'apprécier d'autant plus ce que l'on fait avec Rammstein.

Vous devez être fiers que les dates que vous venez d'annoncer dans les stades européens l'année prochaine affichent déjà complet !

Oui, c'est incroyable, les billets se sont vendus très rapidement... alors même que personne n'a entendu l'album encore ! Tu vois, je trouve ça formidable, j'adore être dans Rammstein, mais il y a quelque chose qui se passe avec ce groupe... Pour tout le monde, tous les groupes, la vie est souvent faite de vagues, de hauts et de bas ; eh bien d'une certaine manière, je me demande si Rammstein va un jour arriver dans le creux de la vague. Ce groupe n'arrête pas de grossir et grandir encore !

C'est peut-être que la fin de Rammstein viendra plutôt quand vous l'aurez décidé, et non pas quand le public se lassera...

Justement, je ne suis pas sûr du tout de vouloir être associé à Rammstein « jusqu'au bout ». D'ailleurs, pour mon avenir, qui sait de quoi il sera fait ? J'essaie d'être aussi ouvert que possible à tout ce qui peut m'arriver. Je ne parle pas pour les autres garçons, peut-être qu'ils veulent continuer jusqu'à la mort ; mais pour moi, en tout cas, je me dis que ce n'est pas tout. Il y a autre chose dans la vie. Je ne sais pas encore quoi, mais je ne veux pas ne faire que ça.

Interview effectuée par téléphone le 9 novembre. 



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