Fat White Family revient : après un réveil en sursaut, ce teaser épique où le frontman Lias Saoudi charriait non sans difficulté un lourd trône au sommet d’une montagne, le groupe a publié le premier extrait de Serfs up!, son prochain album.
Et le titre, "Feet", fait réagir. À chaud, on ne reconnaît pas franchement le style des londoniens, sans l’avoir perdu vraiment : une rythmique déambulatoire, de l'autotune, du synthé, pas de guitare, une longue diatribe, un arrangement à cordes joli (même pas ironique, même pas mal intentionné, juste joli), bref, une direction artistique incompréhensible semant la confusion, et l’enthousiasme. On se demande où ils vont, si on continue de les suivre. Le communiqué de Domino, leur nouveau label, semble annoncer que ce changement d’esthétique n’est pas une exception : « le disque est une volte-face créative des plus réjouissantes et inattendues dans l’histoire récente de la musique ». Et puis, dans un second temps, on se rappelle qu’il y a trois ans déjà, Songs For Our Mothers n’avait pas grand-chose à voir avec son prédécesseur Champagne Holocaust. On se questionne alors, qu’est-ce que c’est, en fait, le style du groupe ? Le terme d’auto-destruction flotte quelques instants dans l’air, on essaie de construire une phrase sensée avant de décider qu’on s’en fout.
Le trône n’est pas usurpé : Fat White Family a véritablement créé quelque chose, au minimum une impulsion dont profite toute l’excellente scène londonienne actuelle, taillant un boulevard à la machette que des groupes comme Shame, Goat Girl ou HMLTD foulent à présent pour le bonheur de tous. Mais les Fat White ne sont pas des rois : ils sont des pères fondateurs, des précurseurs. Quelle est donc l’humble fonction des précurseurs ? De précurser, ma bonne dame, et cela ne faisait aucun doute, la Fat White Family n’allait pas se joindre à ses camarades, ou plutôt, attendre que ses camarades la rejoignent sur le boulevard qu’elle a elle-même défriché : elle allait tenter de créer un nouveau sentier, au risque de se perdre dans la jungle. C’est ce qui est excitant avec ce nouveau titre, qu’on s’autorise à adorer et détester tout à la fois ; le fait que de nouvelles autoroutes sont apparemment en construction, et que même s’il s’avérait (ça nous étonnerait) que la destination vers laquelle elles nous mènent est en fait toute pourrie, au moins Fat White Family reste en mouvement, maintient nos cerveaux en vie, permet à la Terre de continuer de tourner, et à nous de continuer de tourner sur la Terre.
Crédits photo : Thomas Sanna