Né à l’époque où le pop-punk vivait ses heures de gloire, le groupe anglais You Me At Six a connu une certaine notoriété dans les cours des lycées de l’époque. S’il n’a jamais été le groupe le plus innovant de la mouvance, il a tout de même réussi à se construire une carrière respectable. C’est à la Maroquinerie qu’il a conclu sa dernière tournée européenne en date.
You Me At Six parle avant tout à ceux qui étaient ados dans les années 2000, il était donc logique de penser que les Anglais attireraient essentiellement un public dans la seconde moitié de la vingtaine et la trentaine dans les tréfonds de la Maroquinerie. Que nenni !! Si cette espèce est effectivement présente ce soir, elle est loin d’être en majorité, et les premiers rangs ont moins de vingt ans de moyenne d’âge, preuve que You Me At Six n’a pas perdu son attractivité auprès de la très jeune génération.
Hot Milk
C’est le groupe aussi jeune que les premiers rangs Hot Milk qui ouvre les débats. Difficile d’oublier son nom, les Mancuniens le répètent toutes les dix minutes… Le quartette met à contribution ses deux guitaristes pour le chant. Cette alliance entre une voix masculine et une voix féminine est à peu près la seule originalité du groupe : son pop punk / emo rappelle tout ce qui a pu se faire en la matière dans les années 2000, à se demander s’il ne s’agit pas d’un tribute band.
Comme il est de rigueur dans ce genre, les voix sont à la limite de la justesse. Celle de la chanteuse Han Mee n’est pas sans rappeler Hayley Williams de Paramore, celle du chanteur Jim Shaw reprend les timbres aigus et légèrement écorchés d’All Time Low, Kids In Glass Houses, Jimmy Eat World, Taking Back Sunday, Blink 182 et consorts. Ils ne sont visiblement jamais tombés sur le mot « originalité » dans le dictionnaire, mais à défaut d’idées, il faut leur reconnaître qu’ils ont de l’énergie et l’envie d’en découdre.
Le groupe enchaîne les titres pop punk efficaces, qui abordent en grande partie les problèmes d’identité et les difficultés à trouver sa place dans la société. Mais il commet aussi quelques morceaux electro pop d’une mièvrerie déconcertante, qui apportent aussi peu d’originalité que les autres titres et manquent, en plus, cruellement d’authenticité, desservis par des boucles electro enregistrées.
Les musiciens ont l’air d’aimer ce qu’ils font et respirent la simplicité. Les deux chanteurs se partagent équitablement la parole et communiquent allègrement avec le public, du premier au dernier morceau. Dès le troisième morceau, ils arrivent à faire sauter énergiquement les premiers rangs – en revanche, pour le circle pit demandé, il faudra repasser. L’avant de la fosse est conquise, les autres restent plus attentistes, mais le groupe assure décemment l’échauffement.
Big Spring
Changement de registre avec Big Spring. Devant une foule qui s’est encore élargie, le quartette, lui aussi anglais, débarque avec un grunge dans lequel se sont glissés quelques éléments de neometal. Le groupe est nettement moins loquace que son prédécesseur, le chanteur mettra plusieurs chansons avant d’adresser la parole à la foule, et ses interventions restent limitées.
Big Spring est plutôt lent à démarrer. S’il n’y a pas grand-chose à reprocher techniquement, les premiers morceaux manquent d’énergie, alors que ce sont justement des titres lourds et puissants. Mais le quartette se chauffe peu à peu et finit par rendre justice à ses chansons, qui sont plus que convaincantes. On sent des influences d’Alice In Chains, d’Incubus, et surtout de Pearl Jam, que ce soit dans la musique, le son des guitares ou l’attitude scénique. Même l’horrible chandail du frontman rappelle le grunge des années 90.
Comme pour Hot Milk, les premiers rangs sont à fond et s’en donnent à cœur joie, tandis que l’arrière de la scène est plus passive mais semble apprécier.
Après une demi-heure de show, le groupe quitte la scène. Ce temps lui aura suffi pour dévoiler un son vraiment intéressant, qui mériterait clairement d’être développé en tête d’affiche.
You Me At Six
Pendant qu’Hot Milk trimballe ses flight cases dans les escaliers étroits de la Maroquinerie, les roadies s’activent sur la petite scène pour le changement de plateau au son de Green Day, Linkin Park, les Arctic Monkeys ou encore les Black Keys.
Quand la lumière s’éteint, les hurlements se déchaînent, le public scande du groupe, et puis… Plus rien. Moment de flottement, vide sur la scène, on se demande si les Anglais sont encore en train de finir leur bière.
Mais après un certain temps d’incertitude, le quintette finit par débarquer au grand complet et lancer les premiers accords de "Fast Forward", issu de son dernier album VI – sixième album du groupe, on parie que vous ne l’aviez pas deviné.
Clairement, le morceau est efficace, très dansant, dans l’ensemble plus adapté à des déhanchements en boite de nuit indé qu’à des pogos dans une salle underground, mais il résume bien l’évolution récente du groupe, et il permet à la salle de s’agiter joyeusement.
Le groupe joue tous ses albums à l’exception du tout premier, de sorte que le concert résume bien l’ensemble de la carrière des Anglais : on a des titres pop-punk adolescents énervés mais pas trop, des bluettes pop, des morceaux electro pas forcément très originaux mais bien ficelés. Cela conforte l’image que l’on peut avoir de You Me At Six quand on ne le connait pas de très près : un groupe sympathique mais pas franchement révolutionnaire.
Les chansons s’écoutent cependant avec un certain plaisir, pour peu que l’on soit auditeur de pop punk et pas réfractaire à l’electro. Mais il faut reconnaître au groupe qu’il assure le show. Après plus de dix ans de carrière, il a l’habitude de la scène, cela se sent, et les cinq musiciens sont à l’aise sur scène sans avoir besoin d’en faire des tonnes. Seul le chanteur Josh Franceschi parle, mais le groupe se partage équitablement les projecteurs. Surtout, les musiciens mettent beaucoup d’énergie et de conviction dans leur performance, achevant de convaincre les sceptiques avec ses riffs accrocheurs et ses refrains un peu faciles. Il semble par moment qu’un ressort géant a été installé sous la scène pour que tous les membres sauf le batteur puissent sauter en rythme, tant leur coordination et leur endurance sont impressionnantes.
Mais les sceptiques ne sont guère nombreux, et la salle semble grandement acquise à la cause des Britanniques. Les premiers rangs, très jeunes, sont évidemment les plus véhéments, et certaines jeunes femmes s’y montrent très tactiles quand le chanteur s’en rapproche de près – il finira pas gentiment en repousser deux. Dans le reste de la salle, la population est plus variée, d’adolescents à des quinquagénaires. Pas vraiment un public à pogo, mais tout le monde montre sa joie à sa manière.
Josh Franceschi parle d’ailleurs beaucoup avec le public, en anglais exclusivement, alors qu’il explique pourtant que son père est français, corse, comme le laisse présumer son patronyme et le confirme sa page Wikipedia. Il lance parfois quelques blagues, et explique avant "Bite My Tongue" qu’ils vont annoncer la dernière chanson, que le public sera triste, et que le groupe quittera la salle, mais qu’au fond tout le monde sait bien que ce n’est qu’une vaste comédie, puisque cela n’est qu’une annonce déguisée du rappel.
Celui-ci, copieux, comporte quatre titres, et se conclue sur "Underdog", visiblement très attendu par les fans, et seul morceau issu du deuxième album Hold Me Down. Galvanisé par le public, Franceschi se jetter dans la foule et tente de s’accrocher aux ponts qui supportent les projecteurs. Emporté par la foule qui s’élance et qui danse une folle farandole (ou pas), il échoue et retourne sur scène, pour mieux se jeter de nouveau dans la foule, qui le traîne et l’entraîne jusqu’à son objectif, auquel il peut ensuite se balancer jusqu’à la fin du concert. Dans tous les sens du terme, You Me At Six aura ce soir été porté par la foule.
Setlist :
Fast Forward
Lived a Lie
Reckless
Loverboy
Back Again
Night People
Fresh Start Fever
Cold Night
Predictable
Give
3AM
Take on the World
I O U
Bite My Tongue
Rappel
Room to Breathe
No One Does It Better
Straight to My Head
Underdog
Crédit photos : David Poulain. Reproduction interdire sans autorisation du photographe.