Akasha – Mother Of Exiles

Akasha, c'est ce groupe originaire de Chicago, dont nous vous avions déjà parlé il y a environ deux ans via la sortie d'un 45 tours intitulé "Eye For An Eye" (voir ici), une galette aux accents roots et rocksteady qui rendait hommage aux Abyssinians.

Mais cette fois-ci, c'est avec un album complet (où l'on retrouve justement "Eye For An Eye"), qui porte le nom de Mother Of Exiles, qu'ils nous sont revenus le 7 décembre dernier et à travers lequel on peut mieux comprendre l'essence même du son d'Akasha.

Pour résumer brièvement, Akasha s'inscrit dans cette grande lignée des groupes de reggae américains qui ont su mixer avec brio le skank de Kingston avec le groove, le blues et le rock n'roll propres aux Etats-Unis. Nul besoin de nous attarder sur une liste qui, de toute façon, serait non exhaustive, d'autant plus que vous les connaissez tous, mais le reggae américain en particulier témoigne de l'extrême vitalité des échanges et des aller-retours musicaux innombrables entre la Jamaïque et le pays de l'Oncle Sam depuis des décennies. Là non plus, nous n'allons pas refaire l'histoire de ces interactions, mais le dernier exemple en date est très révélateur à ce sujet, puisque Diplo, le producteur aujourd'hui le plus influent sur toute la pop mondiale, est en très grande partie influencé par le reggae et le dancehall.

Bref, cette petite digression pour signifier qu'Akasha se refère à Toots & The Maytals, Desmond Dekker, aux Skatalites ou aux Wailers qui eux-mêmes s'inspiraient déjà de la musique américaine et notamment la soul. Là où la filiation nous paraît intéressante, c'est qu'on a l'impression qu'Akasha serait un groupe de rock qui jouerait du reggae, un peu à la manière dont Chris Blackwell a voulu promouvoir internationalement les Wailers dès lors qu'il a commencé à les produire à partir de Catch A Fire.

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Nous disions donc qu'Akasha avait sorti un album, Mother Of Exiles, en fin d'année dernière. Plus qu'une œuvre artistique, celui-ci peut se définir comme un album-concept, puisque les pistes sont entrecoupées de différents "exhibits" (sept au total) qui contiennent des extraits de discours de Malcolm X, de Marcus Garvey, de la reine Elizabeth II, de Gloria Steinem, etc et même de la Bible. Le groupe a en effet illustré ses propos musicaux par des textes plus politiques afin de mettre en lumière quelques grands enjeux culturels de notre époque tels que l'immigration et la discrimination.

Ce qui nous plaît également avec Mother Of Exiles, c'est la rigueur et la limpidité du mix ; nous avions déjà établi la même observation avec Noir (la grosse chronique ici) des Drastics, dont Akasha est très proche. Le chanteur Cosmos Ray avait d'ailleurs partagé un feat. sur leur album.

Ce mix si implacable, qui est l'œuvre de Rollin Weary, se fait particulièrement ressentir sur le morceau éponyme de cet opus, un rub-a-dub groovy à la ligne de basse loud & heavy ; la section rythmique, composée du bassiste Doug Bistrow et du batteur John Barbush n'a en effet rien à envier aux paires jamaïcaines. On le redit, ça groove sévère et on apprécie même la trompette aux accents jazzy de Shane Jonas en toile de fond. C'est cette même trompette que l'on retrouve sur "Light Up The Sky" (autre rub-a-dub à la ligne de basse remarquable) mais cette fois-ci beaucoup plus enjouée et presque en mode fanfare ; "Movie Star" présente des caractéristiques similaires.

Mais Akasha n'est pas uniquement un spécialiste du rub-a-dub 80's ; le combo se référant avant tout aux groupes pionniers jamaïcains, on décèle par conséquent quelques riddims plus orientés 60's. C'est notamment le cas de "You Make Me Feel Good", façon Wailers première mouture (à l'époque où Bob Marley, Peter Tosh et Bunny Wailer portaient smoking, chaussures cirées, cheveux courts, le gel et tout, et tout) avec des chœurs si emblématiques de cette période. Quant à "We The People", il nous fait allègrement penser au early reggae, cette transition entre le rocksteady et le reggae one drop. Et une fois de plus, on ne peut faire l'impasse sur l'importance de cette basse qui mash up tout sur son passage ; on a même carrément l'impression d'entendre une contrebasse et c'est pourquoi on se permettra d'établir un lien entre Akasha et les Lyonnais de Nai-Jah qui, eux, sont devenus les virtuoses dans l'utilisation du soubassophone made in reggae.

On entend également un superbe one drop, "Give Us Peace", surplombé de nappes de clavier et d'une trompette transcendantes et rythmé par une basse hypnotique. Ce morceau va ensuite se muter en stepper puis en dancehall. Quoi ? Du dancehall ? Hé oui ! Et ce n'est d'ailleurs pas le seul morceau propre à ce genre qui retentit sur ce Mother Of Exiles. En témoignent "18 And Over" et "Just Like You", qui comprennent chacun des solos de guitare, reflet des influences blues du groupe (n'oubliez pas que nous sommes à Chicago), aspect d'autant plus intéressant que le dancehall est aujourd'hui majoritairement produit avec des machines et synthétiseurs, Akasha allant ainsi à contre-courant des tendances actuelles. Et cela se s'explique encore plus par la thématique soul/gospel choisie pour illustrer le titre de clôture, "When It Rains".

Un album politique, un album roots, un album dancehall, un album vintage, un album moderne, un album-concept, vous pouvez écouter ce Mother Of Exiles comme il vous plaira. Différents degrés de lecture cohabitent ici et c'est ce qui fait tout l'intérêt de cet opus.

TRACKLIST

1. Exhibit A 
2. Exhibit B 
3. 18 And Over 
4. Exhibit C 
5. Mother Of Exiles
6. Light Up The Sky 
7. Exhibit D
8. We The People 
9. Exhibit E 
10. Just Like You
11. Exhibit F 
12. Give Us Peace 
13. You Make Me Feel Good 
14. Movie Star 
15. Exhibit G 
16. Eye For An Eye 
17. When It Rains

Artiste : Akasha
Album : Mother Of Exiles
Label : Jump Up Records
Date de sortie : 07/12/2018

NOTE DE L'AUTEUR : 8 / 10



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