Rencontre avec Taj Weekes, le 9 avril

Interview To All My Relations

Sorti en physique en France en mars 2019, To All My Relations est le sixième album de Taj Weekes & Adowa. Ce chanteur originaire de Sainte Lucie était de passage à Paris et bien sûr, on ne pouvait en aucun cas manquer ce rendez-vous. On est donc parti à sa rencontre pour discuter avec lui de la conception de cet album, de son organisme TOCO et de sa tournée à venir en septembre/octobre.

Nous nous sommes retrouvés à L'Inédit Café dans la capitale, l'occasion pour nous de remercier les responsables de cet établissement qui nous accueillent régulièrement. MERCI !!!

Notre chronique de To All My Relations à (re)lire ici

Bonjour Taj Weekes. Merci de prendre de ton temps pour répondre à nos questions. C’est un honneur de te rencontrer. Nous sommes là pour discuter ensemble de To All My Relations, ton dernier album sorti avec ton band Adowa.


LGR : J’ai lu que l’histoire de cet album commencée lors d’une tournée dans les Amériques du nord et surtout lors de votre passage à Standing Rock (réserve indienne) dans le Dakota du nord, tu peux nous en parler un peu plus ?

Taj Weekes : Je venais d’écrire un album avant To All My Relations et c’est en me rendant à Standing Rock que j’ai eu une nouvelle inspiration et pris une nouvelle direction. J’ai été bouleversé par l’amour que j’ai pu trouver à là-bas et qui m’a rappelé à la haine qui se déverse sur le monde entier actuellement. C’est un équilibre qui m’a bouleversé et qui m’a inspiré. Je me souviens que nous étions nombreux, il y avait une indienne nâtive des Amériques à ma droite, à ma gauche une américaine blanche, un scandinave était là aussi et tous ensemble, ont cuisiné. Un prêtre était là et il s’est mis à prier pour toutes ses relations «  To All My Relations ». C’était magnifique, tout le monde priait les uns pour les autres donc pour toutes leurs relations.
 

Taj Weekes - Pochette To All My Relations


LGR : Tu étais déjà en train de travailler sur un album avant ton arrivée à Standing Rock, j’ai lu que les chansons étaient déjà écrites. Qu’en est-il de ces chansons ?

Taj Weekes : Les chansons existent, les mélodies, les paroles et j’espère pouvoir le sortir bientôt. Je me poserais la question sur quoi en faire après, mais là il y a déjà un album de prêt.

LGR : Combien de chansons as-tu pour cet album en stand-by ?

Taj Weekes : Pour le moment, il y a dix morceaux mais le but de cet album, c’est d’en faire une trentaine.

LGR : Les rencontres faites dans cette réserve t’ont beaucoup touché J’ai vu que tu avais notamment déclaré que tu pensais connaitre l’amour avant ta venue à Standing Rock et que cette visite avait changé ta vision des choses.

Taj Weekes : J’adore ma famille, j’aime mes amis, j’aime l’humanité mais à distance. Le fait de voir une telle cohésion entre les êtres à Standing Rock par -40 degrès parce qu’il fait très froid là-bas m’ont fait repenser ma définition de l’amour. C’est vraiment cette communion et cette cohésion qui était synonyme d’amour.

LGR : Cet album a été composé entre Standing Rock et Cuba, tu peux nous parler un peu plus de ce voyage. 

Taj Weekes : Quand je suis allé à Cuba, je me suis rendu compte de la force de la propagande sur place. J’ai aussi perçu l’amour là-bas avant même de voir la propagande. J’ai vu la pauvreté, des gens complétement abandonnés et finalement ils arrivent à créer une société et fonctionner de cette façon-là. C’est un quotidien très dur et quand tu quittes Cuba, tu en sais plus sur toi-même, ça te renvoie à ta propre façon de vivre et de penser. Je me souviens d’une expérience où j’étais en train de marcher dans les rues à 3 heures du matin et les gens me saluaient et c’était juste de l’amour, de la bienveillance de la part des locaux et j’ai écrit plein de chansons dans les rues de Cuba. J’ai écrit 28 chansons entre Standing Rock et Cuba. J’ai fait une sélection de 20 morceaux que j’ai proposés à Adowa et ils en ont sélectionné 15. Ce sont les quinze qui se retrouvent sur To All My Relations.

LGR : Vous avez travaillé avec Sidney Mills de Steel Pulse en studio pour la production de cet album, comment était-ce de travailler avec une légende comme lui ?

Taj Weekes : Par le passé, on a eu l’occasion de se croiser mainte et mainte fois en festival notamment parce que l’on a été à l’affiche des mêmes événements. On se connaissait. De loin, mais on se connaissait. Il y avait toujours un problème de planning pour travailler ensemble. Sydney était censé produire Love, Herb and reggae, l’album précédent et miraculeusement nos plannings se sont accordés et on a pu prendre le temps de travailler main dans la main sur To All My Relations.

Ce n’est pas seulement un bon producteur mais c’est une belle personne, c’est quelque chose de merveilleux de travailler avec lui. C’est quelqu’un de tellement gentil que même s’il te demande de faire quelque chose dont tu n’as pas spécialement envie, tu finis quand même par le faire.

Le vrai plus, c’est que Sydney est venu avec toute son expérience studio, toute sa connaissance et plein de conseils. Vu son expérience, quand il te dit de faire quelque chose et que ça serait bien de faire ça, tu as tendance à l’écouter.

LGR : "You and I" est la première chanson de To All My Relations, je trouve qu’elle représente assez bien l’ensemble de l’album. Dans cette chanson, tu dis :
 

You and I have no war - Vous et moi n’avons pas de guerre
Except the one that we’ve been given - Sauf celle que nous avons reçu
And Between you and I animosity is driven - Et entre vous et moi l’animosité est entraînée

 

Taj Weekes : Oui, parce qu’à la fin, il ne restera que l’un et l’autre. Donc effectivement ce morceau est un peu l’essence de ce nouvel album, l’un et l’autre, c’est de ça qu’il s’agit en général dans la vie

LGR : La chanson "Big Pharma" de par son message est très importante. Elle reflète bien les soins de santé en Amérique mais aussi dans la plupart des pays capitalistes et j’ai vu que personnellement tu avais une amie touchée par la maladie qui t’a appelé pour te demander conseil ?

Taj Weekes : Wouah, où as-tu été cherché ça ? Effectivement une amie a été transportée à l’hôpital et n’avait plus beaucoup de temps. Ce docteur avait écrit un livre dans lequel il expliquait une méthode de guérison pour s’en sortir. Donc je l’ai cherché activement et je l’ai trouvé en Allemagne. Je l’ai appelé et il a répondu. Je n’avais pas fait attention à l’heure et il n’était pas censé être au bureau à cette heure-là. Je lui ai raconté l’histoire de mon amie et au final mon amie a suivi les conseils de ce médecin, elle a suivi cette méthode et aujourd’hui mon amie est en pleine rémission, elle va bien aujourd’hui.

LGR : Parlons de "41 shots", cette chanson rend hommage à Amadou Diallo, tué de 41 coups de feu provenant de policiers ? Et là encore, j’ai vu que cela te touchait personnellement puisque j’ai vu que le fils d’une de tes voisines à St Lucie s’était fait tuer dans son appartement par les policiers.

Taj Weekes : On a vu ça aux infos aux Amériques et il été tué dans son appartement effectivement. Sa mère a grandi dans la même période que moi à Sainte Lucie. " 41 shots " n’est pas particulièrement un hommage à Diallo mais il fallait un titre à l'image du message. C’est surtout sur le massacre par balles de la communauté noire par la police en Amérique. C’est plus global que cette situation personnelle. Selon moi, quand quelque chose te touche personnellement, ça touche finalement tout le monde.

LGR : En parlant d’hommage, tu lui rends hommage dans le titre "Vibe Up" à travers le clip qui accompagne la chanson

Taj Weekes : C’est comme avec " 41 shots ". Tout le monde peut s’identifier à cela parce malheureusement tout le monde connait cette violence policière envers la communauté noire. C’était important de tourner cette vidéo à Sainte Lucie, puisque j’ai grandi avec la maman de cet ami et dans la vidéo, on peut voir les lieux en question où tout ça s’est passé.
 

Taj Weekes & Adowa - " Vibe Up "
 


LGR : "Insecurities", dans ces paroles tu parles des insécurités qui coulent de la voix, que les paroles évoquent faussement les choses…. Je pense que cela est le cas de beaucoup de monde pour se donner «  bonne figure » ou redorer leur image. Peut-être que je me trompe et que tu vas me donner une vision différente ?


Taj Weekes : C’est toujours sympa d’entendre comment les gens s’approprient les chansons et se les interprètent. Et après tes explications sont meilleures que les miennes. ( rire ). Ça parle des musiciens. En fait, ils ont l’impression d’être dans un combat mais ils ne font pas ce qu’il faut pour s’en sortir et ça concerne beaucoup de gens dans le reggae qui se plaignent à longueur de journée. Ils prônent le peace and love, l’amour, la paix mais ils ne vivent pas ces valeurs-là.

C’est aussi lié au fait que les gens se voient meilleurs que ce qu’ils ne sont, ils manquent d’objectivité sur leur personne et ça dépend aussi de l’endroit d’où ils viennent. Parfois, ils se disent : " Bah moi, je suis né là donc je serais comme ceci ".
Mais ce n’est pas le lieu qui fait la personne. Tout le monde a des followers, on peut dire ça comme ça mais la plupart des gens qui suivent, ne suivent pas forcément pour de bonnes raisons. Les comédiens par exemple, ont beaucoup de followers mais cela ne veut pas dire qu’il faut tous les suivre. J’ai choisi de vivre le réel et pas une comédie.

LGR :  "Son of a Bitch", je sais que dedans il y a un morceau de l’hymne national écrite par Scott Keyes, c’est tout un symbole quand on se renseigne sur cet homme, il était propriétaire d’esclaves ?

Taj Weekes : Dans l’hymne Américain aux États Unis, ils ne chantent jamais le deuxième couplet. L’hymne ne déborde pas d’amour mais dans le deuxième couplet, il est dit que le migrant, l’immigré ne peut pas prétendre aux mêmes choses que les natifs américains. Ça prouve justement que l’Amérique n’a jamais essayé de faire de son continent quelque chose d’ouvert et ça prouve que tout le monde n’est pas concerné par la liberté et ça vient rappeler justement en utilisant cet hymne, le côté non universel de la fondation Américaine. Et on entend souvent l’hymne se faire critiquer et là c’est une façon de dire pourquoi il l’est. Il n’est pas représentatif de tout le monde, loin de là.

 

- Morceau de l'hymne Américain que Taj Weekes reprend dans " Son of a Bitch "
 

No refuge could save the hireling and slave'
Aucun refuge n'a pu sauver ni le mercenaire ni l'esclave
From the terror of flight and the gloom of the grave :
De la frayeur des déroutes et de la tristesse de la tombe :
And the star-spangled banner in triumph doth wave
Et la bannière étoilée flottera triomphalement
Over the land of the free and the home of the brave.
Sur cette terre de liberté et sur la demeure du courage

 

- Dans Son Of Bitch, Taj Weekes chante la dernière phrase de cette façon :
- Over the land of the free and the home of the son of a bitch.


LGR : "What do you believe in", cette chanson a été imaginée de façon un peu particulière ? Jafe Paulino, ton guitariste fredonnait toujours le même air pendant le soundcheck.

Taj Weekes : Effectivement. A toutes les balances, le guitariste ne pouvait pas s’empêcher de fredonner: " Tell me, Tell me, What do you believe in ". Donc j’avais que ce petit bout. Et j’ai demandé à Jafe Paulino : " Où était le reste du morceau? ". Mais il n’avait que cet air en tête. On a gardé ça et j’ai fait le reste de la chanson.

LGR : Peux-tu nous parler de ton band The Adowa avec lequel tu seras en tournée en septembre et octobre en Europe ?

Taj Weekes : Mon bassiste vient de République Dominicaine, Burt Radss’Desiree, c’est lui qui est avec moi depuis le plus longtemps.
Le plus récent, c’est Jafe, mon guitariste. Son père vient de République Dominicaine, il était à l’origine un des pionners du reggae à New-York, il a allumé la flamme du reggae aux États-Unis.
Celui qui est à mes côtés depuis longtemps aussi, mon second guitariste, Adoni Xavier qui est de Trinidad.
Aya Kato du Japon, un claviériste incroyable
Le batteur vient de Sainte Lucie, Baldwin Brown
Et Delroy Golding, un percussionniste Jamaïcain.
Après la formation est variable selon les événements, on peut proposer différentes formations.

 

Taj Weekes sera en tournée en France et en Europe en septembre et octobre 2019
Contact en cliquant ici

Taj Weekes & Adowa - Flyer Booking 2019


LGR : Concernant les chansons, "The Lie" sera la dernière chanson dont on parlera, dans celle-ci tu t’adresses à Donald Trump à la manière de Roosevelt il y a quelques années ?

Taj Weekes : Comme Roosevelt en tant que le père de Trump et au niveau du mensonge, le mensonge peut durer éternellement. C’est la continuité de ce que Roosevelt a commencé, un vaste mensonge perpétuel. Ils le font tous de toute façon plus ou moins discrètement et assumément mais en tout cas, ils mentent tous. On peut le dire de Macron en France, on peut le dire pour Thérèsa May en Angleterre...

LGR : Un clip pour "Vibe Up" a été réalisé, d’autres projets clips à venir ?

Taj Weekes : J’essaie de faire le maximum de clips sur cet album. Je pense que tous les titres peuvent convenir pour une mise en image. Je suis vraiment content de la vidéo de " Vibe Up ", c’est un instant de vie que j’ai réussi à capter. On peut voyager dans les années précédentes mais entre 2016 et 2020, je pense que le ton, le message et la façon de mettre en image ce morceau " Vibe Up " rappelle ce qui se passé à ce moment-là.

LGR : Tu es à l’origine du projet TOCO, un organisme caritatif pour enfant - They Often Cry Outreach, peux-tu nous en parler un peu plus ?

Taj Weekes : Officiellement, ça a été créé en 2008. En gros, c’était pour aider les communautés les plus pauvres et les enfants des Caraïbes en général. La plupart des actions sont faites à Sainte Lucie pour Sainte Lucie mais je me suis rendu aussi à Trinidad et Tobago, en République Dominicaine, à Cuba…. Le plus important pour nous, c’est de donner un accès aux plus pauvres, aux jeunes enfants aux soins médicaux et à l’éducation. Le principe, c’est de lancer des campagnes de sensibilisation. La dernière fois, ça a été plus de 500 vélos distribués aux jeunes et aux démunis à Sainte Lucie. Il y a eu la création d’une clinique dentaire dernièrement à Sainte Lucie. Je me bats contre la violence domestique, les punitions et les mauvais traitements envers les enfants. J’organise une fête tous les ans où tous les enfants de l’île sont invités. Et là, il se trouve que quelque chose se passe en ce moment puisque j’ai demandé l’annulation des châtiments corporels pour les enfants. Je suis allé à la rencontre du gouvernement et ça avance. Cela fait 1 an que nous sommes sur le sujet et là, ça va passer. L’interdiction des châtiments corporels.
 

Ndlr : Taj Weekes a été nommé Défenseur des enfants pour l’Unicef à Ste-Lucie
 

LGR : Tu n’as jamais cessé au travers de tes albums de dénoncer les injustices du monde et de prôner la paix. Que penses-tu de l’état des lieux actuel ? De toujours remettre l’ouvrage sur la table (avec TOCO par exemple) et malgré tout continuer le combat ? Est-ce ta philosophie et restes-tu optimiste malgré tout ?
 

Taj Weekes : Il ne faut pas croire que c’est de pire en pire, finalement on ne peut pas savoir et ça pourrait être bien pire que ça. C’est peut-être tout le bruit que l’on fait qui nous interpelle. Il ne faut pas noircir la situation et continuer de percer. Il y a des enfants à venir et il faut leur préparer le terrain. 
 

LGR : Je sais que tu as un titre inédit de prêt pour cette tournée promo, «  1.5 Is Still Alive »en feat avec Kenyatta Hill, Bushman & more où vous parlez du réchauffement climatique qui va atteindre le point fatidique des 1,5 degrés en plus en 2040 et ce sera catastrophique pour les Caraïbes mais aussi les pays les plus vulnérables ?

Taj Weekes : Si effectivement la terre atteint ce réchauffement climatiques de plus de 1,5 degrés, nous serons particulièrement dans les Caraïbes touchés puisque l’écosystème changera. Dans les Caraïbes, nous sommes sur une ile entourée par l’eau et si les océans nous lâchent, ce sera nous les premiers impactés. Je suis ravi d’avoir partagé ce morceau collectif avec tous ces merveilleux chanteurs et je pense que nous avons fait du bon boulot et que le message est bien entendu dans ce morceau.
 

Taj Weekes, Kendel Hippolyte, Linda "Chocolate" Berthier, Bushman, Kenyatta Hill, Zara McFarlane, Razia Said, Aaron Silk, Jafe Paulino, Sidney Mills

" 1.5 is still alive "


LGR : Autre chose à rajouter dont nous n’aurions pas discuté ?
 

Taj Weekes : Oui, ce que j’adore dans ce moment que nous venons de passer, c’est que nous avons parlé du fond. Il y a de la matière, de la substance dans tes questions et c’est très important pour le reggae. Si les journalistes ne font pas l’effort de parler des thèmes et des messages profonds qui sont développés dans notre travail, le reggae se perdra et sera vidé de son essence. Si les artistes de reggae commencent à prôner le combat, où d’en venir aux actes ou à la violence, ça détourne complétement le reggae de son message premier. C’est fou que l’on ne se rappelle pas plus ce que c’était le reggae au départ et que l’on ne revienne pas davantage sur les années 70, peu importe la musique qui a été faite après 70, l’important c’est ce que le reggae était à son origine. Le reggae a besoin d’1,5 degrés en plus aussi pour lui aussi rester en vie. C’est important de le garder dans cette direction sinon il va disparaitre.

LGR : Un dernier petit mot pour les auditeurs de La Grosse Radio ?

Taj Weekes : Le message est simple. Aime ton prochain autant que tu t’aimes. Parfois la simplicité peut être la chose la plus complexe au monde.

LGR : On peut finir par un petit morceau de musique?

Taj Weekes - " Big Pharma " - Acoustique 

La Grosse Radio tient à remercier chaleureusement Taj Weekes, Shirley ainsi que Max d'iWelcom.



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