Entretien avec Le Bal des Enragés


C'est à La Cigale que La Grosse Radio a rencontré le Bal des Enragés, cru 2019. Enfin, pas tout le Bal en même temps, mais une belle brochette quand même: Niko Jones (Tagada Jones), Steph (Loudblast), Kemar (No One Is Innocent), Poun (Black Bomb A), et Phil (Lofofora). Récit d'une rencontre avec des tauliers du rock hexagonal.

Le Bal a commencé il y a 10 ans exactement. Racontez-moi comment tout a démarré.

Niko: On avait fait un concert de soutien pour Le Pont Du Rock avec Tagada Jones, parce que le festival avait été annulé pour cause d'intempéries. Ils avaient perdu plein de thunes, ils avaient dû licencier les salariés permanents... Et donc ils ont proposé à plusieurs groupes d'aller faire des concerts de soutien. Les concerts ont laissé assez d'argent pour redémarrer l'aventure, re-salarier les gens, etc.
Et donc l'année suivante, pour nous remercier, ils nous ont offert un set de deux heures pour clôturer le festoche. Et on a eu l'idée de proposer des reprises sur la deuxième partie. Ça faisait une heure de Tagada, et une heure de reprises. Et je me suis dit que ce serait sympa d'inviter des potes, pour donner un côté événementiel au truc. On avait un peu fait ça sur notre 1000ème concert, avec quelques copains qui étaient venus jouer avec nous. On a envoyé les invitations, tout le monde a répondu ok. On s'est retrouvé dans le local de répète la veille, et c'est là que le Bal est vraiment né. Le Bal, c'est le nom qui colle parfaitement au projet. C'est vraiment un bal. Comme n'importe quel bal, sauf que le jukebox est différent.

Donc chaque groupe est arrivé avec des reprises qu'il avait déjà fait, et là, je ne sais trop comment, on a eu cette idée de casser les groupes. On ne voulait pas qu'il n'y ait qu'un groupe sur scène. Donc tout le monde a commencé à se mélanger. On a tous appris plein de morceaux la veille, et le lendemain on jouait devant 8.000 personnes. Il y a eu quelques dérapages, normal, c'était pas super carré. Mais il s'est passé quelque chose, qu'on a tous adoré. Une espèce de magie, que le public a ressenti direct. Nous aussi d'ailleurs, et c'est comme ça qu'on s'est dit qu'on ne pouvait pas s'arrêter là-dessus, qu'il fallait continuer. Cette date en 2009 était unique, on a fait une première tournée en 2010-2011, une en 2013, une en 2016, et donc celle-ci, en 2019.

L'annonce donnait 10 ans, 10 dates, mais il y en a beaucoup plus! Qui ne sait pas compter?

Niko: C'est moi! (rires). En fait c'était 10 ans, 10 salles. Ce sont les premières dates qu'on a calées dans des lieux, des villes, qui ont tout le temps été importantes pour le Bal. Puis ensuite on ne fait que du festival.

Parmi les salles traversées, il y en a une qui revient tout le temps, Chez Narcisse, au Val d'Ajol. Pourquoi cette salle est-elle si particulière ?

Phil: C'est une salle mythique en France. Ils organisent des concerts punk depuis les années 80. Et ils n'étaient pas ouverts au metal au début. Ça a commencé en 2002, 2003, pour nous avec Lofo en tous cas. Et quand on a commencé à jouer là-bas, on s'est aperçu que c'est une vraie furie. Il y a des forces telluriques dans le sol, je ne sais pas, mais il y a un truc dans ce petit bled, qui fait que les gens arrivent de partout. Les concerts sont le dimanche en fin d'après midi. Les gens viennent, c'est comme si ils venaient achever leur weekend dans ce lieu magique, et ça fonctionne à chaque fois. Maintenant il y a même des gens qui traversent la France pour aller voir des concerts au Val d'Ajol! Il y a même pas 10% de locaux, les gens viennent d'Alsace, de Franche-Comté, de région parisienne...

Niko: Les gens font des bornes pour aller là-bas parce que c'est une salle mythique. Les gens viennent aussi pour voir la salle, pour voir ces concerts le dimanche en fin d'après-midi...

Steph:  Ce sont des concerts exceptionnels à chaque fois. Il y a une étincelle, ça pète, et c'est parti.

Poun: Et on boit de la gnôle!

Kemar: Oui, une des particularités c'est que, comme ça joue tôt, on mange après le concert. Et dans cette arrière-salle, il s'en passe toujours des vertes et des pas mûres.

Concert, 2019, punk, metal, collectif, Tagada Jones, Parabellum, Black Bomb A, Punish Yourself, No One Is Innocent, Loudblast

Le Bal est un collectif. Comment se passe la composition du groupe?

Stef : Des candidatures, il y en a plein, c'est évident. Tout le monde a envie d'intégrer le Bal. On est une bonne bande de cons, et quand on part sur une tournée, on sait qu'on va passer des super bons moments. Et ça nous permet de souffler un peu aussi, on n'est pas dans nos groupes, et faire des reprises c'est toujours sympa. Tu n'as pas la pression de défendre un album, des morceaux que tu as écris... Les morceaux, tu peux en faire un spectacle, plus qu'un concert. C'était quoi ta question déjà ?  (rires) En fait c'est Niko qui fédère tout ça, qui appelle les gens, et bien souvent c'est oui!

Niko: Le nombre de places est limité, on ne pourrait pas économiquement partir à 40 non plus! Là on est 25 sur la tournée, plus ça ne serait pas viable... Donc on est toujours à peu près le même nombre. Il n'y a pas beaucoup de monde qui ne se représente pas. Certains malheureusement parce qu'ils sont partis. Et d'autres, par exemple Reuno et Doudou cette année, qui ne souhaitaient pas reconduire l'aventure. C'est pour ça qu'on a demandé aux petits jeunes, aux locaux de l'étape, les No One. Il y a surtout un côté humain qui est hyper important dans cette aventure. On est copains avant. C'est d'ailleurs ce qui plaît aux gens. Quand on sort de scène, les gens nous disent qu'on a trop l'air de se marrer, ils ressentent ça, et ça fait plaisir à tout le monde. Si tu intègres un groupe et que ça se passe mal, l'ambiance ne sera pas du tout pareille,et le projet du Bal ne fonctionnera pas comme il est là.

Kemar: C'est exactement ça. Si Niko nous a proposé de venir, c'est qu'on s'était déjà reniflé depuis un moment, et qu'on s'entend tous bien. Avant de jouer le premier morceau, il faut déjà que humainement ça colle.

Phil: Un groupe déjà, à trois ou quatre, ça marche comme ça. Mais là, on est 16 sur scène, plus les techniciens, si on ne s'entend pas c'est pas la peine.

Et pour les setlists? tout le monde arrive avec son petit morceau sous le bras?

Poun: Tout le monde choisit. Il y a des mails qui passent 3-4 mois avant les premières répètes. Tout le monde est en copie, on propose 5 à 10 morceaux chacun, puis après c'est à Niko.

Niko: On a changé ça aussi au fil du temps. On a fait des setlists par pure démocratie, mais ça marche pas toujours. On faisait des sélections, puis tout le monde votait, puis ça faisait un consensus, mais le résultat sur scène n'était pas toujours idéal. Là on a fait différemment. On a eu cette première liste de morceaux préparés par tout le monde, et après on a demandé aux chanteurs. Parce que quand même ça fait tout une pelletées de paroles à apprendre. Pour la dernière tournée, on a dû apprendre plein de paroles de morceaux qu'on n'a finalement pas joués.

Phil: Et pas que les paroles! La ligne de basse de "Walk This Way", c'est pas trois accords! Je l'ai bossée pendant un mois, et après on me dit non, il n'y a pas "Walk This Way"!

Niko: On essaye d'avoir un équilibre aussi. Il y a un genre de best-of des trois tournées précédentes, vu que c'est les 10 ans. On a été piocher dans les morceaux des trois tournées, ce qui représente à peu près la moitié de la setlist. On s'amuse aussi des fois à rejouer les mêmes morceaux, mais avec des musiciens différents.

Vous êtes 16 sur scène, c'est beaucoup, et vous changez à chaque titre. Comment vous faites pour que ça reste fluide?

Niko: L'expérience! On a fait trois tournées! (rires)

Kemar: A chaque morceau il y a un lineup précis. Tout le monde est hyper pro, ça s'enchaîne.

Poun: C'est ça. Les gars ne sont pas des amateurs, ça joue grave. Tout le monde sait ce qu'il a à faire.

Steph: Et puis on a répété. On essaye de roder en amont. On a des changements de plateau qui ne sont pas toujours évident, on enchaîne chant, guitare, changement de batteur, tout ça... Et puis il faut visualiser l'espace, il faut faire quelque chose de joli aussi. Ca s'est mis en place assez rapidement d'ailleurs sur cette tournée-là.

Poun: On a l'expérience. Et même dès la première tournée ça avait bien marché comme ça. Il n'y avait pas eu de couac.

Niko: Jamais de couac oui, mais c'est vrai que la première tournée c'était moins fluide, un peu grippé entre les morceaux. Là il y a des morceaux qu'on enchaîne comme un groupe normal, et même des fois plus vite encore. Et puis il y a deux batteries sur scène, ça aide. Et comme disait Poun, tout le monde est pro et se met à disposition.

Phil: Tout le monde doit donner le meilleur. Comme dans un groupe. Et être inventif aussi. Les chorés se font naturellement au fil des concerts, on fait des conneries, on trouve des idées, et c'est une espèce de récréation sur scène.

Niko: C'est vraiment un ensemble de personnes. Prenons un exemple au hasard, par exemple le foot (NDLR: pour les ceusses qui l'ignorent, les Tagada Jones viennent de Rennes, et No One de Paris, et certains sujets s'avèrent sujet à un peu de chambre depuis fin avril. Cherche et tu comprendras). Il y a des équipes qui s'entraident, et d'autres qui jouent chacun de leur côté. Et bien quand on s'entraide, et qu'on est tous les uns avec les autres, on arrive à de bons résultats. Mais bon, rien à voir avec la Coupe de France bien sûr, hein Kemar ! (rires) Mais  aussi, c'est qu'on ne se permettrait pas, surtout dans cette bande de potes, d'être loser dans le groupe de 15. Parce que si tu n'es pas là à temps, c'est tous tes potes que tu pénalises. Il y a cette solidarité qui est hyper importante, et qui fait que ça n'arrive pas.

Cette année, le Bal passe au HellFest. Sur les tournées précédentes vous avez enregistré et sortis des lives, à Lyon, à Paris, et ailleurs. Le HellFest sera-t-il l'occasion d'un live?

Niko: On joue au HellFest pour la troisième fois. Le HellFest, avant le Bal, ne programmait que des groupes de metal. Le Bal était le premier groupe rock à jouer au HellFest. Et ça a tellement fonctionné que derrière ça a ouvert la porte à plein de groupes. Cette année, comme pour Tagada l'an dernier, Le concert sera enregistré par Arte, et après on aura ça à dispo. Au début de la tournée on s'était dit qu'on ne sortirait pas de live, parce que dans l'équipe du Bal, c'est compliqué de se mettre d'accord sur tout. On ne va pas demander à toutes les maisons de disques de faire un contrat. Les disques qui sont sortis l'ont été un peu comme ça, l'argent comme celui du merch retourne dans la grosse économie qu'est l'économie du Bal, et voilà. Mais bon, on s'est fait un peu emmerder, et donc on a décidé de ne pas le faire. Parce que c'est beaucoup d'énergie, de sortir un disque, de remixer... Depuis il y a eu cette histoire de Arte, donc on aura un enregistrement. On verra ce qu'on en fait.

Autre festival, On n'a Plus 20 ans, qui ressemble à un festival du Bal : Beaucoup de groupes qui jouent ont des membres dans le Bal. Ca change quelque chose?

Phil: Non, pas grand chose. C'est juste une autre récréation, encore.

Niko: Quand on a fait ce festival avec Tagada, pour fêter nos 20 ans, on a invité les copains. Ca ne se faisait pas alors. Et on a été les premiers surpris de voir le succès. Succès qui ne fait que perdurer. Cette année, on a fait deux fois 4.800 personnes, c'est énorme. Jamais on n'aurait pu penser ça avant. Et c'est le succès de la scène française, qui est parfois un peu boudée par les programmateurs. Mais quand tu mets tout le monde dedans, le public vient, et le public adore. Le projet du Bal, c'est un peu la même chose. Le Bal plus tous les groupes, ça fait des grosses fiestas, tout le monde est content de venir, et nous on s'éclate.

Si on doit piocher dans les mémoires, quel gros souvenir revient?

Niko: Les meilleurs souvenirs c'est quand on ne s'en rappelle plus! (rires)

Kemar: Pour nous, en tant que novices, c'est vraiment la première au Val d'Ajol, chez Narcisse.

Phil: C'est vrai. Toutes les dates au Val d'Ajol ont été marquantes. L'hommage à Schultz aussi était très fort. Il y avait tous les gens du Bal, mais daussi d'autres de son entourage, ses amis, avec qui il faisait de la musique...

Niko: Oui comme l'hommage à Stéphanie aussi (NDLR ancienne patronne de Chez Narcisse). C'est elle qu'on a le plus connu, et ce sont ses enfants qui ont repris l'aventure. Quand elle est décédée on est allé jouer là-bas avec le Bal, il y avait Kemar en plus, quelques personnes aussi. Et ce concert-là, malheureusement, comme pour l'hommage à Schultz, il y a des choses en plus.

Phil: Mais des andecdotes sur le Bal, il y en a tous les jours. Chaque jour on se rappelle des trucs de la veille, il y a toujours des moments qui remontent.

Steph: On finit par se rappeler uniquement des trucs moins bien, mais il y en a tellement peu qu'ils sont tout de suite gommés. C'est ce qui est bien dans cette aventure.

Poun: Ah si, j'ai une anecdote. Un soir, sur un festival, ... (NDLR: Pour deviner l'anecdote de Poun, envoie un mail à la Grosse Radio et gagne une paire de rideaux de ma grand-mère, presque neuve très peu portée, les rideaux, pas ma grand-mère).

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Crédit photos: Rodolphe Goupil. Reproduction interdite sans l'accord du photographe.
Merci à Séverine pour l'organisation.

 



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