Samedi 22 Juin 2019 - Valley - 14h20
Mantar
"Nous sommes en retard car nous sommes Manowar !"
La Valley est déjà pleine de monde quand Hanno Klärhardt et Erinç Sakarya apparaissent avec un peu de retard et s’installent l’un en face de l’autre. En 2016, Mantar avait déjà marqué le public sur cette même scène. D’autres ont découvert le groupe en première partie de Kadavar en 2017 et ont été séduits par cette formation atypique. Il faut dire que la configuration du groupe est inhabituelle. Avec seulement Hanno à la guitare et au chant et Erinç à la batterie, Mantar délivre une musique sludge avant tout, puissante et agressive, avec une voix hurlée dans un style black metal et une batterie lourde et teintée des influences punk de Erinç.
Torse nu et casquette à l’envers, Hanno harangue le public et donne le départ. À la fois mélodique et très brutal, "Age of the Absurd" est une avalanche de riffs où la voix fait écho, une voix sombre et caverneuse qui en fait un troisième instrument à part entière. Les deux musiciens ont le regard rivé l’un sur l’autre et l’on est impressionné par la puissance et l’aura qui se dégage de ce duo sans aucune posture scénique. Ne cherchez pas les textes de Mantar, ils sont quasi-introuvables, mais il suffit du titre pour comprendre qu’ici Hanno s’attaque à la peur paradoxale inscrite dans la nature humaine, préférant déclarer forfait sur le chemin de l’affirmation de soi plutôt que d’avoir à répondre de ses choix.
La setlist est équilibrée, deux titres de chaque album sont joués. Sur "Taurus", le corps désincarné, Hanno semble se débattre comme un forcené, et quand il fait face au public, paraît immense et énigmatique. "Bang your head !" s’écrie-t’il et la tente surchauffée et connectée répond aussitôt.
Avant d’entamer "Spit", Hanno exhorte le public "Hellfest êtes-vous vivants ? Nous sommes en retard car nous sommes Manowar !". Gesticulant et vociférant, il s’adresse aux auditeurs en permanence, ce qui est une évolution notable. Il semble que Hanno ait franchi un cap et trouve dorénavant la capacité et le plaisir de communiquer avec son public.
Avec "Into the Golden Abyss", il apparaît clairement qu’il n’y a pas deux mais bien trois instruments, la voix a ici sa place par le son, non par son propos. Mantar attache un soin perfectionniste à l’expression par le son où les mots sont sciemment privés de leur pouvoir dans le but anticipé d’établir une relation fusionnelle loin des images et des ego. La voix hurlée et le son de guitare très grave parlent directement à nos tripes. En dehors de quelques courageux ruisselant dans ce pit en fusion, ça bouge peu. La Valley est suspendue aux deux musiciens qui ont annexé la scène.
En dépit des apparences, il n’y a pas de nihilisme dans ce black metal agressif à la voix rugueuse mais une nervosité anarcho-punk partisane de la purification par le feu. Et en même temps ce black metal planant vous enveloppe comme du doom et vous fait tanguer sur le rythme old school de "Cross the Cross". L’ensemble est parfois un peu brouillon mais personne ne paraît y accorder de l’importance.
Le public applaudit aux premières notes du dernier titre, "Era Borealis". A travers les mots juxtaposés avec désinvolture affleurent les bribes désabusées du constat de Hanno. Plutôt que de se perdre en vaines confrontations, il nous invite à assumer qui nous sommes et devenir acteurs de cette ère boréale en déséquilibre. "This is Era Borealis" reprend le public avec force. Le titre simple, accrocheur et efficace, qui a contribué à faire connaître Mantar, termine le concert dans une ambiance atmosphérique. Les spectateurs semblent ne pas vouloir quitter la Valley qui rayonne dans la douceur estivale, comme pour mieux garder l’empreinte de l’un des meilleurs concerts de cette édition du Hellfest.
Setlist :
Age of the Absurd
Taurus
Spit
Into the Golden Abyss
Cross the Cross
Era Borealis
Photos : © Regis Peylet 2019
Toute reproduction interdite sans l’accord de la photographe.