Clinton nous raconte son histoire
Quelques jours avant sa première date de tournée pour présenter History Say, son dernier album sorti le 13 septembre , nous sommes partis à la rencontre de Clinton Fearon. Rendez-vous pris le 5 octobre chez Clinton en région Parisienne. Nous avons pu le questionner sur la conception de ce projet, les différentes collaborations et sur sa vision de la musique. Une rencontre très inspirante d'un artiste plein de sagesse et d'amour.
La chronique d'History Say à (re)voir ici
Bonjour Clinton. Je suis enchanté et honoré de te rencontrer. Merci de prendre de ton temps pour répondre à nos questions et merci à Catherine pour la traduction. Nous sommes ensemble pour échanger sur History Say, ton album sorti en septembre.
LGR : On a commencé par découvrir " Time " en juin, une chanson sur le thème du temps qui file que tu nous proposes dans 4 ambiances musicales différentes. Pourquoi le choix de nous emmener dans ses différents styles musicaux était important ?
ndlr : (Pour rappel, on pouvait entendre sur ce maxi, Ernest Ranglin pour un solo de guitare, Clinton au tambour Tama, les chanteuses Sarah Christine et Naomi Wachira aux chœurs sur " Time " ainsi que les membres du Boogie Brown Band). EP enregistré à Seattle.
Catherine : Il y a plusieurs histoires autour de " Time ". Effectivement au départ, c’était juste la version reggae mais en même temps, Clinton avait comme on pourrait dire « un petit beug » et dérivait tout le temps vers une version plus jazz. On était en hésitation devant ces deux versions. En discutant, j’ai suggéré que l’on sorte les deux et que l’on y ajoute un dub pour la version reggae et un instrumental pour la version jazz, ça a donc donné cet EP.
Clinton se demandait quel instrument utiliser. Il y a beaucoup de guitare sur les quatre versions, il y aussi un Tama. Le Tama, c’est un drum sénégalais que Clinton a reçu de la part d’un ami de Dakar et il avait très très envie d’en jouer. Du coup, il a choisi l’instrumental pour jouer ce Tama. C’était une belle aventure.
Clinton Fearon - " Time "
LGR : Sur ce maxi, on pouvait retrouver Ernest Ranglin, un musicien que tu apprécies beaucoup. Tu peux nous en parler un peu plus stp ?
Catherine : Il faut savoir qu’Ernest Ranglin, c’est vraiment le guitariste modèle pour Clinton, c’est son idole. Donc, il était très heureux qu’il accepte. Et l’histoire est un peu plus longue que ça. Clinton est parti en Jamaïque pour enregistrer les riddims avec Sly, Dunbar et d’autres au printemps, il y a un an et demi à peu près, deux ans peut-être. Il a appelé Ernest à ce moment-là et il lui a dit : " Est-ce que tu aimerais te poser sur une des chansons que je vais sortir ? " Ernest a dit : " Oui ".
Après, ça devient un peu plus technique parce qu’ils n’ont pas pu enregistrer ensemble. Clinton lui a envoyé les pistes. Ernest a enregistré le solo, nous a renvoyé le solo et là, ça a été beaucoup beaucoup d’émotions pour Clinton, ça lui a réchauffé le cœur comme il dit. Pour la petite histoire, il faut savoir que Ernest Ranglin, la dernière fois qu’il a enregistré pour Clinton, c’était à l’époque sur une chanson qui s’appelle " Backyard Meditation ", c’était une des premières chansons de Clinton avec les Gladiators.
LGR : Pour continuer à parler des collaborations sur ce disque, tu t’es entouré de Sly Dunbar, Clinton Rufus et Steve Mardsen aussi, tu peux nous en parler ?
Catherine : Un moment vraiment spécial pour Clinton. Il est parti là-bas après de longues années sans enregistrer en Jamaïque, depuis l’époque des Gladiators en fait. Au-delà du climat, de retrouver son pays, de se sentir bien à la maison en quelque sorte. Il y a eu un plaisir vraiment important à travailler avec les musiciens qui comprennent la musique sans qu’il y ait besoin d’échanger beaucoup.
Clinton raconte qu’il a pris la basse, il commence à faire quelque chose, il y a Sly sur sa batterie qui commence à enchainer là-dessus, pareil avec la guitare avec Clinton Rufus et les claviers avec Lenky Mardsen. Il y a quelque chose qui se passe sur un riddim intéressant et il explique que c’est comme ça qu’il faisait la musique dans les années 70 mais ce n’est plus forcément comme cela qu’elle se fait aujourd’hui mais de manière séparée.
Ils en ont discuté ensemble, ces vétérans du reggae de cette nostalgie un petit peu de travailler sur des lignes intéressantes et cette entente musicale. Donc, il a eu vraiment beaucoup de plaisir à repartir là-bas.
LGR : History Say est sorti le 13 septembre, un album où tu portes un regard sur notre monde et sur son évolution. Beaucoup de choses se sont améliorées et notamment les moyens de communication (Réf : " Technology "). Qu’est que tu regrettes le plus de l’époque où tu as démarré ta carrière ? Et au contraire, qu’est ce qui s’est bonifié avec les nouvelles technologies selon toi ?
Catherine : En fait, la partie qu’il regrette du passé notamment dans la manière dont on faisait la musique à l’époque. Il pense qu’aujourd’hui, il y a beaucoup de choses de moins bonne qualité qui passent, qui sont diffusées. Parce que c’est quelque part plus facile alors que dans les années 70, c’était beaucoup plus organique, les choses étaient enregistrées non pas sur digital mais sur des vraies bandes. Donc, ça devait être bon, il y avait une sorte de qualité de ce qui sortait en public qui était plus élevée par rapport au niveau d’aujourd’hui.
Clinton explique un peu la distance qu’il ressent par rapport à une musique qui n’est pas créée de manière organique en quelque sorte où les pistes sont enregistrées de manière séparées. Ça peut ressembler à quelque chose de vraiment sans lien, qui manque de quelque chose pour que ça le touche. Maintenant, il comprend que les nouvelles technologies permettent de diffuser sa musique plus facilement mais il regrette le sang humain, la chaleur, une forme d’harmonie avec la vie.
Les technologies en elles-mêmes ne sont pas quelque chose de mauvais, c’est vraiment la manière dont on les utilise. Vraiment l’aspect le plus positif pour un artiste, c’est de pouvoir diffuser sa musique en un instant à travers le monde. Ce qu’il ne connaissait pas à l’époque et ça ouvre des horizons. Et cette ouverture sur le monde permet finalement de peut-être mieux le comprendre et peut-être, d’être moins pris pour des imbéciles. Quand on nous dit quelque chose, on peut facilement vérifier une source, on a aussi plus d’éléments de comparaison. C’est une autre génération donc ce n’est pas forcément facile quand on n'est pas né avec, tu vois.
LGR : Un de mes titres préférés est " Mr Pretender " en duo avec Mike Love. Ce titre m’a rappelé aux bons souvenirs de certains titres des Gladiators (C’est aussi dû au thème), c’est ce que tu recherchais en retournant enregistrer en partie en Jamaïque ?
Catherine : En fait, non ce n’était pas du tout intentionnel. L’idée pour lui était d’avoir un son différent de ce qu’il enregistrait auparavant parce que ça fait très longtemps…En tout cas pour sa carrière solo, il n’avait jamais enregistré en Jamaïque donc là, c’était la différence qu’il recherchait et pas un son proche des Gladiators. Après, il a tout à fait conscience que le son des Gladiators qu’il produisait à l’époque, c’est quelque chose qu’il a en lui et où qu’il aille et quel que soient les studios dans lesquels il enregistre, il a ce son avec lui mais là, il a cherché quelque chose de différent.
LGR : Ce qui nous emmène à te parler des collaborations sur History Say. Tu partages plusieurs titres dont " Together Again " avec Alpha Blondy pour lequel nous avons découvert le clip hier, " I Will " avec The Emeterians, comment se font faites ses rencontres ?
Catherine : Toutes ces collaborations sont d’abord, une relation de respect musical. Clinton aime la musique de chacune de ces personnes et chacune de ces personnes aiment la musique de Clinton. Après, c’est aussi des rencontres humaines et des histoires d’amitiés qui sont relativement longues pour chacune de ces relations.
Ce sont des belles histoires et une histoire d’amitié à chaque fois. On avait aussi une discussion où on cherchait à faire des choses différentes en matière de son et Clinton n’avait jamais fait de collaboration, donc, c’est une idée que je lui ai apportée. A partir de là, on a pensé à différentes personnes.
Mike Love qui est un artiste d’Hawaï, un chanteur vraiment exceptionnel, une personne exceptionnelle également qui venait à Seattle donc on en a profité pour enregistrer avec lui sur " Mr Pretender ".
L’histoire avec Emeterians, ça fait plus de dix ans que l’on s’est rencontré et ce sont des fans de Clinton. Ils ont déjà ouvert pour Clinton en Espagne.
Et avec Alpha Blondy, quand nous étions en Côte d’Ivoire, il y a un an et demi à peu près. On a eu l’occasion de le rencontrer plus longuement et Clinton a beaucoup discuté avec lui, ils ont beaucoup beaucoup de points communs et du coup, il a eu le courage de demander à Alpha s’il voulait bien se poser sur son album et Alpha était très content de le faire. Ils ont en fait, co-écrit une chanson. Clinton a commencé à faire la musique, a écrit une partie des paroles. On a envoyé ça à Alpha qui a écrit l’autre partie des paroles dans sa langue natale et on a bien vu que l’inspiration des deux était la même et on a ce titre magnifique aujourd’hui.
Clinton Fearon feat. Alpha Blondy - " Together Again "
LGR : Tu nous présentes ta fille Sherine sur " Gimme Some ". Chanson où elle est la voix principale, l’occasion de nous faire découvrir la relève ?
Catherine : On ne sait pas du tout ce qui va se passer avec Sherine, il n’y a pas nécessairement une stratégie derrière, si elle suivra ou pas. Mais Clinton avait vraiment envie de faire quelque chose pour elle. Sherine vit dans la montagne en Jamaïque, elle s’occupe de sa famille, de ses enfants et elle est très timide mais elle a une voix. Et donc, il avait envie d’entendre cette voix un petit peu plus. Il a écrit cette chanson pour elle et elle a enregistré ça à Seattle. Après, on verra ce qui se passera.
Sherine sera en tournée avec nous et nous sommes contents de la présenter au public Français.
LGR : Nous parlions que dans le maxi Time de juin, on pouvait entendre différents univers musicaux et c’est de nouveau le cas dans History Say où sont présents du Calypso, des rythmes africains. Qu’est qui te séduit à travers ses univers musicaux ?
Catherine : Au départ, c’est vrai qu’il est parti dans cette direction pour avoir un son différent, vraiment se démarquer des albums précédents. Mais, il a choisi ces influences-là de manière relativement naturelle puisqu’elles font parties de son histoire musicale. C’est comme ça qu’il a grandi. En écoutant du Calypso de Trinidad, les rythmes africains et pas seulement le reggae et là avec History Say, il a décidé d’explorer tous ces univers tout en les rattachant au reggae parce ça, on ne pourra jamais le sortir de lui-même.
LGR : Dans French Connection, tu fais un clin d’œil à la France, tu peux nous parler de ton rapport avec la France ?
Catherine : L’histoire d’amour de Clinton, elle remonte à longtemps avec la France. Quand il est arrivé avec les Gladiators, il a découvert ce pays. Ce qu’il apprécie beaucoup ici, c’est l’amour que l’on a en France pour l’art, le soutien qui est apporté par le pays en général pour l’art, ça en tant qu’artiste, ça le touche beaucoup. Et puis, il y a 18 ans que l’on s’est rencontré, alors effectivement c’est une autre histoire d’amour mais ça n’a fait que grandir cet amour pour la France.
LGR : Quel message aimerais-tu faire passer à travers ta musique ?
Catherine : Il revient à l’essentiel. C’est l’amour, il essaie de donner un peu sa propre recette et il revient toujours là-dessus parce que c’est vraiment ce qui marche pour lui. C’est d’aimer ce que l’on fait et de faire ce que l’on aime. Ça donne un sentiment d’avoir un propos, un objectif dans la vie mais aussi un sentiment de libération intérieure et si on est libre intérieurement. C’est la liberté suprême en quelque sorte. Quand on est libre, ça veut dire que les autres ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent de nous. On a sa propre conscience et on avance avec ça et encore une fois faire ce que l’on aime et aimer ce que l’on fait, c’est quelque chose que Clinton répète vraiment partout et il incite tout le monde à suivre ce chemin.
LGR : Quel regard portes-tu sur le reggae actuel et sur la nouvelle génération d’artistes tel que Protoje, Chronixx… Y’a-t-il parmi ces artistes, un artiste que tu apprécies particulièrement ?
Catherine : Clinton n’écoute pas beaucoup de musique en dehors de ce qu’il fait mais il entend parfois parce que l’on écoute certaines émissions de radio mais il est toujours en train de créer de nouvelles chansons donc ça s’explique un petit peu. Il a le sentiment qu’avec les nouvelles générations d’aujourd’hui... Il s’y retrouve… ça le fait penser un petit peu à ses propres débuts avec les Gladiators et d’autres. Il y a de la place pour tout le monde, chacun essaie de trouver sa voix, son chemin.
LGR : Aurais-tu un dernier mot pour nos auditeurs ?
Catherine : C’est un message d’amour. Clinton transmet de l’amour aux auditeurs et à tout le monde et encore une fois encourager ceux qu’ils ne le font pas encore, de faire ce qu’ils aiment et d’aimer ce qu’ils font, ce n’est jamais trop tard.
LGR : As-tu quelque chose à rajouter ou à dire que nous n’aurions pas abordé ?
Catherine : Clinton revient un peu sur la collaboration qu’il a eu avec les Emeterians avant cet album. Ils ont enregistré, co-écrit la chanson " Fly With Me " et les Emeterians ont été nos invités à Paris, on les fait venir de Madrid juste pour cette date.
Merci à LiviPix pour les photos
LGR : Peut-on finir en musique ?
Clinton Fearon - " Crazy Ride "
session acoustique enregistrée le 5 octobre
Pour visiter notre chaine You Tube - La Grosse Télé - rendez-vous ici
Un grand merci à Clinton Fearon et Catherine Fearon pour leur accueil et leur gentillesse. Merci à Max d'iWelcom promo pour cette nouvelle belle rencontre.