On est un mardi soir en pleine semaine, le temps commence à se gâter en cette mi-novembre et les vacances sont déjà passées depuis un moment : autant dire que l'affiche de ce soir va avoir du mal à remplir la salle. Cette affiche pourtant, elle promet. C'est celle d'Immolation, Ragnarok, Monument Of Misanthropy et Embryo au Backstage By The Mill, organisée par les gars sûrs de Garmonbozia. Alors, ça valait le coup de se déplacer ? Réponse dans cet article
Embryo
Démarrage pile à l'heure pour les cinq Italiens de Embryo sur une grosse nappe de synthé bien lourde, avant l'arrivée sur la scène des cinq membres sur une grosse rythmique bien vénère. Boom, c'est parti pour cette soirée, pour le moment devant un public plus que clairsemé. Sur scène, le groupe que l'on découvre sous des lumières franchement très tamisées assure un death à tendance prog, assez épique notamment pendant les soli. Le duo de guitaristes balance des gros riffs assassins, pendant que Roberto Pasolini vocifère dans un growl que l'on regrette en revanche assez approximatif. Ses screams sont heureusement plus précis.
Pas beaucoup d'agitation sur scène, à part Roberto qui se balade régulièrement et se penche vers le public pour essayer de motiver un peu la foule. Les autres membres esquissent tout au plus des hochements répétés, en rythme sur les rythmiques toujours bien lourdes. La batterie de Enea Passarella est très en retrait, tant sur scène que dans le mix, ce dernier donnant la part belle au duo de guitares et au clavier. Ce dernier révèle ses atouts essentiellement en début de set, en particulier sur "The Same Difference" et "The Horror Carved", tous deux tirés de A Step Beyond Divinity, le dernier album studio en date.
Découverte plutôt intéressante donc, même si la seconde partie du set s'avère nettement moins inspirée, les parties de synthé se résumant de plus en plus à de grosses nappes assez classiques, n'apportant plus vraiment ce côté épique, presque tech dans lequel le groupe évoluait en début de set. Il est encore tôt quand ce premier groupe rend la scène, et le public est malheureusement toujours très épars. Était-ce attendu en programmant un concert un mardi en semaine ? Probablement, gageons en tout cas que la salle devrait bien se remplir pour les plus gros groupes de ce soir.
Monument Of Misanthropy
Après Embryo, c'est Monument Of Misanthropy qui vient se produire sur les planches de l'arrière salle du moulin. Le groupe franco-autrichien (Jean-Pierre Battesti à la basse assurant l'unique caution frenchie de la soirée) est là pour réveiller la foule, encore franchement amorphe. Cette fois, plus de claviers, on se resserre sur une formation typique batterie/basse/guitare/chant. La base, avec d'entrée de jeu une proposition beaucoup moins mélodique, plus death old-school et un peu thrash par moment. C'est bien carré, saupoudré de quelques influences groove par moment.
Pour accompagner ce cocktail déjà assez appréciable et fort dynamique, George Wilfinger et son gros coffre tient la baraque, avec quantité de screams bien puissants. On apprécie aussi la technique de Jean-Pierre, qui joue au doigt et se fait plaisir en sortant régulièrement de bonnes lignes de slap. C'est juste dommage que le mix sonore l'ait autant mis de côté sous le reste, au moins en début de set.
S'il reste globalement très mollasson et vraiment spectateur, le public se réveille temporairement, le temps de la reprise de Morbid Angel, "Fall From Grace". Pas encore de quoi se lâcher pour de bon toutefois, et Monument Of Misanthropy se voit infligé le summum de la déception pour cette soirée : trois demandes de circle pit restées sans la moindre réponse. On a mal pour vous les gars.
Ragnarok
Changement radical d'ambiance avec le troisième groupe ce soir. Marquant une pause dans une soirée très typée death, c'est un groupe norvégien qui vient se présenter à nous avec leur spécialité locale : du bon petit black metal old school à base de corpse paint, de faux sang, de paroles macabres et de riffs torturés. Pour l'occasion, les lumières commencent enfin à être un peu mieux réglées : on va pouvoir apprécier le show sans baigner dans les lueurs rougeâtres.
On continue à prendre de l'avance sur les horaires, alors que le groupe de Jontho, ancien batteur de la formation assurant aujourd'hui le chant, lance les hostilités sur "Dominance & Submission", issu de Psychopathology. La caisse claire de Malignant sonne horriblement mal dès la première attaque, heureusement ce souci va vite se régler. Tant mieux, car la setlist va révéler plusieurs bons moments, parmi lesquels les deux représentants du dernier album en date, Non Debellicata : "The Great Destroyer" et surtout "Chapel Of Shadows", qui avec sa montée en intensité et ce break à la In The Nightside Eclipse conquiert immédiatement tous ceux qui aiment le black norvégien dans la salle.
Côté scénique, le groupe compte surtout sur son corpse paint riche pour attirer l'oeil, et on peut dire que ça marche bien. Notamment avec Bolverk, le guitariste qui avec son crâne rasé et sa longue barbe tressée nous rappelle Kerry King, mais en version black metal, donc avec de la peinture et des grimaces bien placées. Par rapport aux gars bien vénères et dynamiques de Monument Of Misanthropy juste avant, c'est sûr que la formule de Ragnarok est plus simple et classique, mais elle est tellement bien maîtrisée qu'on ne va pas se mentir, ça marche quand-même super bien.
D'ailleurs, en parlant de maîtrise, l'ancienneté du groupe se ressent. D'abord dans la précision et la minutie de sa formule de black norvégien, avec sur la majorité des titres des plans d'une redoutable efficacité (bien que déjà entendus pas mal de fois chez nombre de leurs compatriotes). Mais aussi, et c'est en revanche dommageable, dans les limites de leurs plus vieux titres. On pense notamment à "Pagan Land", tout fièrement présenté par Jontho comme issu de la toute première démo du groupe de 1994, Et Vinterland I Nord. Cette ambiance viking qui accompagnait les premiers Enslaved ou Satyricon, son réel atout, est ici peu présente et laisse surtout sa place à des riffs répétitifs et peu inspirés, avec une belle coupure de guitare en plus, histoire de bien le rater jusqu'au bout.
Mais heureusement ce raté est resté unique, et à part cet écart technique et qualitatif, le set de Ragnarok était propre et efficace de bout en bout. Jusqu'au final sur "Blackdoor Miracle", sa rythmique ultra efficace qui s'emballe pendant le passage fort de son sordide récit de meutre, connu sans faute par le gros de la salle. Finalement les armes sont rangées, et il est temps de prendre une dernière pause avant l'arrivée de la tête d'affiche ce soir. Ragnarok a bien rempli son rôle et a fourni une prestation très honorable. Ce que l'on pouvait attendre d'un groupe à plus de 25 ans de carrière.
setlist Ragnarok:
Dominance & Submission
In Nomine Satanas
Blood Of Saints
Chapel Of Shadows
Pagan Land
Murder
The Great Destroyer
It's War
Blackdoor Miracle
Immolation
Avec presque un quart d'heure d'avance sur l'horaire prévu, bientôt trois heures après le début de la soirée, il est enfin temps d'accueillir le patron de cette date : un des plus gros poissons parmi les gros poissons du death nord américain école New York, Immolation. Après une prestation de qualité au Hellfest, le combo est de retour pour l'automne dans les terres françaises, avec un passage par la capitale le lendemain du cinquantième anniversaire de Ross Dolan. Signe d'un groupe heureux de venir jouer et qui va se donner à fond, pour bien finir la foule enfin rassemblée dans la salle du Backstage By The Mill ? Clairement.
"Destructive Currents" ouvre le bal, premier d'une bonne sélection issue du dernier album en date, Atonement, et avec lui reviennent ces lumières rouges omniprésentes, restant un petit moment avant de laisser la place à des spots moins aveuglants. Tant mieux pour les photos ! Côté son, Ross Dolan oblige, on a enfin un son de basse nickel, bien précis et pas noyé dans le mix ou inutilement en retrait. L'ensemble sonne très bien, brut et agressif sans être brouillon, servi par le growl impeccable de Ross, d'une profondeur remarquable tout en restant hyper précis.
"Kingdom Of Conspiracy" enchaîne avec une efficacité qui n'est plus à prouver. Ses rythmiques ultra addictives en fond le terreau parfait pour déclencher enfin les premiers mosh de la soirée (il était temps, finalement le public n'aura pas été totalement amorphe ce soir), tandis que Rob Vigna et sa belle moustache assène ses soli rapides et techniques avec une aisance certaine. Indéniablement, entre Ross et lui on a affaire à un gros duo ce soir, soutenu sans mal par les fûts de Steve Shalaty, au poste depuis plus de seize ans déjà. Quant à Alex Bouks, il fait le job dans le sens où ses parties de guitare sont bien réussies, mais reste un peu relégué au second plan sur scène.
Avec un temps de set plus long qu'au Hellfest, le groupe nous a concocté un set bien rallongé, couvrant une bonne partie de la discographie du groupe, des débuts ("Into An Everlasting Fire", à la fin duquel la foule a célébré l'anniversaire de Ross, "Those Left Behind" et "Dawn Of Possession") aux deux derniers albums, en distillant quelques morceaux de choix entre deux ("Of Martyrs And Men", ou encore "Swarm Of Terror"). Certes, cette fois on n'a pas eu droit à "Immolation", mais la sélection variée et de qualité compense sans mal cette absence.
Ross fêtait donc son anniversaire la veille, et à cette mention c'est avec entrain que le public rassemblé ce soir l'a également célébré. De quoi déclencher beaucoup de remerciements de la part de Ross envers le public français et plus particulièrement celui de Paris, qui a toujours et une nouvelle fois ce soir répondu présent pour Immolation. Mais au vu de la constance de qualité des Américains aujourd'hui, en live comme en studio, on aurait tord de s'en priver, non ?
setlist Immolation:
Destructive Currents
Kingdom of Conspiracy
Father, You're Not a Father
The Distorting Light
Swarm of Terror
Into Everlasting Fire
Rise the Heretics
World Agony
A Spectacle of Lies
Those Left Behind
Of Martyrs and Men
Burn With Jesus
Lower
What They Bring
Dawn of Possession
When the Jackals Come
Crédit photo : Justine Cadet, toute reproduction sans autorisation de la photographe est interdite.