Après plus de trente ans de carrière, Misanthrope a décidé d'offir à ses fans un nouvel EP, afin de célébrer cet anniversaire. Bâtisseur de Cathédrales : les Fissures de l'Edifice nous ayant pleinement convaincus, nous n'avons pas résisté à l'envie de questionner S.A.S de l'Argilière, alias Philippe Courtois, chanteur et seul membre fondateur du quatuor. Entretien en toute simplicité avec l'une des plus grandes figures de proue du metal extrême hexagonal !
Bonjour Philippe et merci à toi de nous accorder cet entretien pour La Grosse Radio. Nous sommes ici pour parler de Bâtisseur de Cathédrales : Les fissures de l'édifice, votre nouvel album qui vient de sortir. Cet album n'en est pas vraiment un, puisqu'il comporte six titres, dont des reprises de ADX, Motörhead et Mylène Farmer, ainsi que de nombreux bonus. Le vois-tu comme un cadeau à vos fans pour vos trente ans ?
Bonjour à toi et La Grosse Radio, c'est toujours un plaisir d'être avec vous. Exactement, cette quinzème sortie de Misanthrope est un cadeau pour les Misanthrope Maniacs et sort en édition ultra limitée : 666 CDs, 300 Vinyles ainsi que du merch en petites séries. Nous sortons de l'année qui marquait les 30 ans de Misanthrope et comme nous sommes surexcités et en hyperactivité, nous vous avons préparé en cachette cette sympathique nouveauté. Nous l'appelons au sein du groupe le “37 minutes”. Nous avons volontairement choisi ce format pour optimiser la qualité de la version vinyle. Et oui, il y a de nombreux bonus sur la version digitale qui est disponible uniquement auprès du groupe et Holy Records.
Comment avez-vous choisi les reprises présentes sur cet album ? En effet, ces artistes sont assez éloignés de l'univers de Misanthrope (finalement, la plus proche de votre univers artistique serait peut être Mylène au niveau de l'esthétique...).
Il y a une longue histoire derrière chacune de ces reprises. Celle d'ADX est initialement une "commande" pour un tribute qui n'a jamais vu le jour et le hard chanté en français est un mouvement majeur pour Jean-Jacques Moréac (basse, NDLR) et moi. Lemmy est notre idole à tous les quatre, chacun d'entre nous a eu son petit moment "personnel" avec Lemmy lors de nos diverses rencontres. Il est le symbole actuel réunissant le rock et le metal. Sa légitimité et notre envie de lui rendre hommage était au-dessus de tout. La reprise de Mylène Farmer est, comme tu le dis si bien, parfaitement associée à notre esprit mélancolique, ce spleen Baudelairien qui nous ronge. C'était une évidence, cela devait arriver un jour et pour être honnête, depuis 1996 nous tentons de faire une reprise de l'icône pop française... puis une nuit, un mail est tombé et un producteur russe nous a proposé un Tribute Metal International à l’Ange Roux. Nous avons immédiatement dit oui. C'était écrit... le 24 avril 2018 nous avons eu l'autorisation "officielle" des auteurs/compositeurs de pouvoir sortir notre version en France. Je suis plus que fier d'avoir réalisé la première reprise metal officielle de Mylène Farmer.
Cet album comporte plusieurs bonus live, en version digitalisée qui n'ont pas été inclus au pressage CD ni vinyle. Pourquoi ce choix ? Pour le vinyle je peux comprendre qu'il s'agisse d'une question de place sur chaque face, mais le CD n'a pas la même limitation de durée...
Nous voulons réinventer la façon d'écouter la musique de Misanthrope. Nous voulons que ceux qui font l'effort de se procurer une sortie directement auprès du groupe aient des avantages importants. Il est impensable pour nous que les versions disponibles en streaming comportent l'intégralité des titres. Cette intégralité « est » et « sera » dans le futur réservée à ceux et celles qui nous supportent à 100% en commandant directement auprès du groupe et de sa structure éditrice Holy Records. En 2020 le merch, le digital et les vinyles semblent être les produits principaux... ou tout au moins ceux de toutes les attentions. L'ère du CD est pour le moment sur un irrémédiable déclin. C'est surprenant, mais la loi du marché de la musique dicte cela de nos jours. A titre personnel, j'écoute toujours plus de CDs que de digital.
Comment avez-vous sélectionné les titres live que vous avez mis en bonus ? Peut-on s'attendre à voir un dvd ou un cd live de votre part ? Car pour l'heure on trouve plusieurs vidéos et audio live en bonus de vos albums mais aucun spécialement dédié à cela.
Toute cette stratégie globale a été élaborée après de longues discussions avec Gaël Féret (batteur NDLR), qui est beaucoup plus radical que moi. Nous avons rajoutés ces 20 minutes de bonus live quelques jours avant l'expédition des bundles... Nous avions du contenu d'excellente qualité, cinq titres live mixés complètement inédits avec une super ambiance, nous en avons viré deux et nous vous avons offert les trois autres. Oui, nous utilisons de nombreux lives en vidéos pour la promotion des concerts de Misanthrope... car aucun ne se ressemble. C'est incontestable, nous avons actuellement beaucoup de demandes pour un album live. Mais en toute franchise ce n'est pas au programme. L'occasion viendra certainement un jour.
Vous sortez actuellement d'une longue tournée pour célébrer vos trente années de carrière, tournée qui a débuté au Hellfest en 2018 et qui vous a vu jouer un peu partout en France. Quel souvenir particulier en gardes-tu et comment construire une setlist avec trente ans de musique ?
Nous allons la terminer en mars et mai avec au total plus de 23 dates. C'est juste fantastique, même extraordinaire. Je vis chaque date avec intensité car nous avons conscience que le groupe ne se produira pas indéfiniment sur scène. J'essaye d'être proche des mélomanes qui viennent nous voir. Pour la plupart nous avons grandi ensemble. C'est très touchant, ils ont presque tous une anecdote avec Misanthrope... j'adore ces discussions. La construction de la setlist est évidemment un casse-tête. Il faut prendre des décisions, nous le faisons.
Au cours de cette tournée des trente ans, pourquoi ne pas avoir rappelé un ou plusieurs anciens membres pour participer à ces concerts en invités avec vous ?
Mis à part Jean-Baptiste Boitel, Xavier Boscher, Charles Moréac et mes copains de Livry-Gargan époque "Hater of Mankind" David Barrault et Lionel Bolore, nous ne fréquentons plus ceux qui ont quitté le navire. Effectivement, Xavier Boscher est monté sur scène avec nous pour un "Passion Millionaire" d'anthologie lors de la date de Nice. Nous n’avons rien contre les anciens membres du groupe mais nous préférons avancer que de regarder dans le rétroviseur.
Plus de trente ans de carrière, c'est une belle longévité pour un groupe français. A un moment as-tu songé à arrêter ? Je pense notamment à la période difficile que vous avez connue après la sortie de Sadistic Sex Daemon...
C'est trop simple d'arrêter et de lâcher prise. Il y a une part de masochisme à faire un groupe de metal extrême aussi confidentiel que Misanthrope dans un pays comme la France. Nous sommes courageux et nous savons affronter un non-succès populaire... car l’argent et la gloire ne sont pas un but pour le groupe. Misanthrope est notre Paradis mais aussi notre Enfer... A l'époque de Sadistic Sex Daemon on s'est beaucoup battu. Mais c'est toujours notre musique qui gagne. Tous les quatre, nous voulons créer et jouer. Nous voulons tous accomplir notre rêve d'adolescent, être sur scène, composer, progresser et être de véritables musiciens de metal.
A contrario, quel est le moment qui t'as le plus marqué durant toute votre carrière ?
Les cris des fans, les sorties à l'export d'édition en "domestic release" au Japon, en Russie, au Brésil, le passage TV de nos clips, l'émission l'Enôrme TV spécial Misanthrope, de très nombreux concerts inoubliables... Certain gros articles de presse, les premières répétitions de nouvelles compositions, des journées en studio ensemble, les voyages en van, en avion, les moments de joie, les moments de larmes, juste être tous les quatre Jean-Jacques, Anthony, Gaël et moi... nous sommes marqués à vie par Misanthrope.
Peux tu choisir un mot (et un seul) pour qualifier chacun de vos album ?
• Variations on Inductive Theories : Improvisation
• 1666...Théâtre bizarre : Culte
• Visionnaire : Révélation
• Libertines Humiliations : Concrétisation
• Misanthrope Immortel : Succès
• Sadistic Sex Daemon : Enfer
• Metal Hurlant : Damnation
• IrréméDIABLE : Art
• Aenigma Mystica : Résurrection
• Alpha X Omega - Le Magistère de l'Abnégation : Superbe
Tu as récemment participé au livre co-écrit par Jérémie Grima et Sam Guillerand sur les origines de la scène death/thrash française. En effet, Misanthrope fait partie des pionniers du genre en France aux côtés de Loudblast, Massacra, Agressor ou Mercyless. Ressens-tu une certaine fierté d'avoir défriché ce terrain et de voir qu'aujourd'hui la France est une terre fertile en terme de metal ?
Le metal extrême était déjà bien implanté en France avant l'arrivée de Misanthrope avec Morsüre, Agressor, Massacra, Loudblast, Mutilator, Nomed, Witches, Death Power tous ces excellents groupes qui m'ont montré la voie de l'extreme. Nous avons rapidement appliqué les conseils de nos aînés. Nous sommes pionniers pas dans l'ordre d'arrivée mais dans la façon de gérer notre groupe, de le produire, de le jouer, de le diffuser, par nos choix artistiques à contre-courant et par nos thématiques "dramatiques". Nous avons révisé "le genre" paraît-il... comme dirait Jean-Jacques Moréac : "Nous avons fait notre job... nous avons simplement beaucoup travaillé".
Au cours de ta carrière, tu as également sorti deux albums avec Jean-Jacques sous le nom Argile. Vous n'avez donné que peu de concerts (le dernier étant au Hellfest 2015). Penses-tu remettre un jour le couvert avec ce side-project qui regroupe désormais tous les membres de Misanthrope accompagnés d'Olivia Scemama ?
J'ai promis aux auditeurs un dernier chapitre à l'œuvre d'Argile après mes 50 ans... et j'aurais 50 ans le 15 avril prochain... il va falloir s'y mettre sérieusement car nous réalisons toujours nos engagements. L'important n'est pas le cheminement ni les embûches, mais le résultat final. Donc oui, je te le confirme il y aura un dernier album d’Argile.
Les reprises évoquées sur Bâtisseur de Cathédrales : les Fissures de l'édifice sont dans la lignée des nombreux tributes auxquels vous avez participé dans votre carrière (Mercyful Fate, Paradise Lost, SUP, Mylène Farmer, At the Gates...). Y a-t-il un artiste que vous n'avez pas repris et dont tu rêverais de faire une cover ?
Comme m'a dit au téléphone Arno de Rock Hard "Misanthrope excelle dans l'exercice des reprises". Je rêverai de faire une reprise de High Power dont plusieurs morceaux me touchent profondément : "L'Ange au Regard Noir", "Offrande Charnelle", "Comme un Damné", "Sous l'œil du Cobra", "Le Dernier Assaut" et "Les Violons de Satan". J'ai même très sérieusement pensé à monter un Tribute Band à High Power. Je ne sais pas pourquoi je me livre à toi sur ce sujet aujourd'hui car je n'en ai jamais parlé à personne.
Tu es connu pour écrire majoritairement tes textes en français, dans un style très littéraire. Toutefois, on trouve parfois des compositions en anglais dans ta féconde discographie. De même, sur Les Fissures de l'Edifice, vous avez interprété en anglais "Une Cantilène pour Célimène" ("Cantilèna"). Comment choisis-tu si un texte sera en français ou en anglais ? Quelle est la difficulté d'une langue par rapport à l'autre dans ta façon d'aborder le processus d'écriture ?
J'adore les langues étrangères, j'aime plus que tout au monde « les mots » leur force, leurs résonances et leurs significations. Pour moi tout cela est un "jeu" habile et habituel. J’écris tous les jours, des morceaux de chansons, des punch lines sur les réseaux sociaux, des messages plus promotionnels etc.... j'ai la chance d'être presque "arborescent" avec un esprit assez réceptif à tout ce qui m'entoure. Même le hasard d'un enchaînement de mots m'inspire, j'ai beaucoup de chance d'être semble-t-il « apprécié » pour mes textes. Comme je travaille beaucoup en secret il existe neuf textes de l'album Alpha X Omega : Le Magistère de l'Abnégation en version anglaise. Nous avons décidé d'en enregistrer un car l'occasion s'est présentée. Et j'adore "Cantilena"/"Une Cantilène pour Célimène". Les aventures d’Astérix le Gaulois sont disponibles en de nombreuses langues... et pourquoi les paroles de Misanthrope ne seraient-elles pas disponibles dans plusieurs langues ? De 1988 à 1995 j'écrivais directement en anglais et à partir de 1996, pour la préparation de Visionnaire j’ai écrit les textes en français puis je les ai adaptés en anglais.
Merci à toi pour cet entretien. Que peut-on vous souhaiter pour vos (désormais) 31 ans ?
Merci à vous pour le support et la diffusion de notre musique. Mon souhait : que toutes les personnes qui ont un jour aimé Misanthrope durant ces 31 années ré-écoutent Misanthrope en 2020.
A dans 30 ans !
J'espère que je me reposerai tranquillement dans 30 ans... Mais merci, le rendez-vous est pris.
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Photo 2 : © Rachel Daucé
Photo 3 : © Christophe Hargoues