Entretien avec Hansi Kürsch (Demons and Wizards, Blind Guardian)

Cela faisait quinze ans que Demons & Wizards, combo bicéphale mené par Hansi Kürsch (Blind Guardian) et Jon Schaffer (Iced Earth) n'avait pas sorti d'album. 2020 est l'année du grand retour pour ce duo, qui s'apprête à sortir son troisième album, simplement intitulé III. Nous avons profité du passage promo de Hansi Kürsch à Paris pour lui poser quelques questions sur ce retour tant attendu par les fans de power metal, tout en évoquant bien évidemment ses autres projets, Blind Guardian en tête. Entretien avec le sorcier du groupe.

Bonjour Hansi et merci de nous accorder cet entretien pour La Grosse Radio. Avant de parler de III, je voudrais revenir sur vos concerts donnés cet été avec Demons and Wizards notamment au Hellfest. Comment as-tu vécu ces sets ?

Les concerts de Demons and Wizards ont été fantastiques. C'était une très belle expérience pour tout ceux qui y ont participé et j'ai senti que chacun était très investi dans cette tournée. Chacun des musiciens a donné beaucoup de lui-même lors de chaque prestation. Par conséquent, à chaque concert, j'avais vraiment le sentiment d'être sur scène avec un vrai groupe et pas seulement un side-project. Lorsque je discute un peu avec les gens, les fans qui y ont assisté, ils me confirment cette impression d'avoir vu un groupe d'amis qui jouaient ensemble et non pas des musiciens de sessions pris au hasard. On a réellement senti la passion sur scène et en dehors ! Les fans ont été incroyables quelque soit le lieu où l'on a joué. Le Hellfest était un moment très impressionnant pour nous. Au départ nous n'espérions pas y jouer, alors que nous avons fini sur l'une des deux Mainstages. De plus, nous sommes passés en début d'après-midi, relativement tôt mais les gens était présents et la foule s'étendait à perte de vue.

Durant cette tournée estivale, vous avez choisi de ne pas interpréter de nouveaux titres tirés de III. Pourquoi ce choix ?

C'est facile d'y répondre ! (rires) C'est en partie lié au fonctionnement du monde actuel en matière de musique. Avec internet et Youtube, nous ne voulions pas que les fans découvrent nos nouveaux titres dans une mauvaise version tirée d'un téléphone et mise en ligne avec un son pourri. A ce moment là, nous avions déjà le sentiment que III était un album très fort et il devait être présenté aux fans de la meilleure des façons. C'est pour cela que nous avons démarré la promo de l'album en dévoilant le clip de "Diabolic". Le reste de l'album nous semblait aussi bon, et cela n'aurait pas été juste pour les titres de ne pas les mettre autant en valeur. De plus, nous voulions que le public soit réellement concentré pendant ces concerts, qui plus est après une attente aussi longue. Il est difficile de découvrir un titre de Demons & Wizards en live étant donné la complexité des compositions, tout comme c'est le cas pour Blind Guardian ou Iced Earth.

Vous avez également choisi d'interpréter des reprises de vos deux groupes respectifs, Blind Guardian et Iced Earth. Comment avez-vous sélectionné les titres à reprendre ?

En partie en fonction de nos goûts personnels bien sûr, mais également selon ce qui était le plus approprié pour un set de Demons and Wizards. Nous n'avions pas spécialement besoin de jouer des titres particulièrement épiques. Nous avons cherché des choses plus intenses capables de plaire à notre public, sans pour autant que je me retrouve à sauter partout. Et je saute déjà beaucoup dans Blind Guardian ! (rires) Nous avons choisi des compositions qui peuvent avant tout divertir et que nous prenons plaisir à jouer. J'avais par exemple envie de chanter "I Died for You" (de Iced Earth, NDLR) depuis des années !

Hansi Kürsch, Blind Guardian, metal, power

Pendant cette tournée, en plus de Jon et toi, vous étiez notamment accompagnés par Marcus Siepen et Frederik Ehmke (Blind Guardian) et Jake Drayer (Iced Earth). As-tu vu cette formation comme une sorte de fusion des deux groupes ?

La raison principale pour laquelle nous avons fait appel à eux, c'est que nous nous sentions en confiance avec un tel line-up. Je savais que si j'avais besoin de confier un rôle à Marcus, il serait à 100% investi. Cela m'a évité de me demander si mon bassiste serait capable de jouer les morceaux convenablement ou pas. Il s'en est sorti à merveille. Frederik est venu un peu plus tard, mais il est tellement professionnel ! C'est la même chose pour Jake, Jon savait qu'il serait largement à la hauteur de la tâche.

C'était donc des choix naturels pour vous deux ?

Oui, tout à fait. Et quant à Joost (Van den Broek, claviers, NDLR) il s'est retrouvé dans le projet par coïncidence. J'avais travaillé avec lui durant les concerts d'Ayreon en 2017. Je l'ai immédiatement apprécié d'un point de vue humain, mais c'est également un musicien très expérimenté. Il était venu me voir en me demandant quels étaient mes projets à venir notamment pour Blind Guardian et que si nous le souhaitions, il pouvait travailler avec nous.

Avez-vous évoqué cette possibilité pendant les concerts d'Ayreon ou cela est-il venu plus tard ?

Non, c'était bien plus tard. Juste avant que Jon et moi ne commencions le travail de songwriting pour Demons and Wizards. Je lui ai dit qu'il n'y avait rien de prévu concernant Blind Guardian mais que Jon et moi étions en train de nous réunir et que dans ce contexte, nous serions ravis de l'avoir à bord. Il m'a rétorqué qu'il serait ravi puisqu'il était fan de Demons and Wizards lorsqu'il était enfant...(il se reprend NDLR) Enfin pas enfant mais plus jeune, même si pour moi il sera toujours un gamin ! (rires). Tout le monde est un gamin pour moi ! (rires) Il nous a énormément soutenu et je sais que je travaillerai forcément à nouveau avec lui, peut-être avec Blind Guardian.

III est dans la veine de Touched By the Crimson King avec une touche épique et puissante, mais il comporte également ces parties progressives, à commencer par le titre d'ouverture, "Diabolic", et le titre final, "Children of Cain". Ces derniers atteignent respectivement 8 et 10 minutes. Le titre médian de l'album, "Timeless Spirit" atteint quant à lui 9 minutes. Cette construction de tracklist me rappelle celle de Beyond the Red Mirror, album de Blind Guardian sorti en 2015. Etait-ce conscient ?

Non, nous n'avons pas vraiment songé à Blind Guardian, ni même à ce qu'Iced Earth réalise de manière générale. La raison est relativement simple...Du point de vue du songwriting, nous voulions une vraie ouverture. Jon est arrivé avec un arrangement brut pour "Diabolic" et nous nous sommes mis d'accord sur le fait que cela serait une parfaite ouverture. Nous ne nous sommes pas plus posé de questions que cela. L'autre raison pour une telle construction de tracklist provient de l'intensité et du côté sombre des morceaux. Nous voulions que les morceaux présentent de nouveaux éléments, des surprises qui feraient dire aux fans que Demons and Wizards est de retour. Comme tu l'as dit, tout le monde aime avoir quelque chose de très épique et progressif également à la fin. Le choix devait donc se porter sur "Timeless Spirit" ou "Children of Cain" pour clore l'album. J'aime encore plus "Children of Cain" que "Timeless Spirit" donc je suis très heureux de ce choix de titre final (rires). Cela a du sens.

Nous portons encore beaucoup d'attention à la construction d'un album, d'autant plus que nous aimons également le format vinyle. Il faut donc que nous fassions attention au découpage des faces pour un vinyle. Bien sûr, de nos jours les choses sont faites différemment et les albums sont bien trop longs pour un simple vinyle. Il faut donc que nous redoublions d'attention à ce sujet ! (rires). "Timeless Spirit" pourrait donc être la chanson finale parfaite pour une face A de vinyle. De même "Dark Side of Her Majesty" est parfaite pour ouvrir une face B. C'est ce que nous avions en tête en tout cas. En général, lorsque tu as terminé une composition et avant d'attaquer la suivante, tu commences déjà à songer à l'enchaînement des chansons. Je ne sais pas si Jon avait cela particulièrement en tête, mais je pense que oui. Après, les choses découlent de façon naturelle.

A la fois chez Blind Guardian et Demons and Wizards, tu travailles essentiellement en duo, avec André Olbrich d'un côté et Jon Schaffer de l'autre. En quoi le processus de composition diffère selon la personne avec qui tu travailles ?

Il ne diffère pas vraiment à vrai dire. De manière générale, je me retrouve avec un arrangement instrumental avec des choses à retravailler. Je place mes mélodies vocales tout en cherchant ce que la musique m'évoque pour écrire les textes adéquats. Globalement, les choses ne sont pas si différentes que cela. La seule chose qui change, c'est le temps dont l'on dispose pour le songwriting. Pour Blind Guardian, André prend plus son temps, il écrit deux minutes de musique et me demande mon avis avant de poursuivre. Tandis que pour Demons and Wizards, Jon me propose des titres pratiquement finalisés, où je n'ai plus qu'à faire mon boulot. Par la suite, nous voyons si ce que je propose correspond à ce que Jon avait en tête, pour les refrains notamment. Cela est déjà arrivé que je propose quelque chose pour un refrain qui correspondait plus à ce que Jon voyait comme un pré-refrain, ou bien une ligne de chant de couplet qui se retrouve en refrain. Il faut donc ajuster un peu les choses. Chez Blind Guardian, nous écrivons des titres qui doivent évoluer jusqu'à atteindre un certain climax, en démarrant avec une intro, puis André sait ce que je vais ajouter, donc il progresse à petit pas dans sa façon d'écrire.

L'artwork du nouveau Demons and Wizards vous montre toi et Jon grimés en anges, prêts à affronter un démon. Es-tu sur que tu es vraiment un ange ?

(Rires) Ah...il y a peut être une mésentente sur ce que nous affrontons ! (sourire) Si tu regardes le clip de "Diabolic", on voit que nous sommes tous les deux des anges déchus. Jon incarne Lucifer et nous démarrons une guerre contre le Paradis. C'est l'idée derrière la vidéo, même si les paroles sont un peu différentes. Elles documentent plus la descente de ces deux anges vers l'enfer, une sorte de monde dystopique dirigé par un tyran. Mais tu as raison ! (rires) L'artwork nous montre Jon et moi. Certaines personnes ne l'ont pas remarqué encore ! C'était évident pour moi, mais au départ, Jon n'y avait pas fait attention. Pourtant, cela me semble très évident si l'on regarde nos coupes de cheveux... (rires)

En 2019 et en 2020, tu as accomplis deux projets qui te tenaient à coeur : le retour de Demons and Wizards quinze ans après le deuxième album et l'album orchestral de Blind Guardian sur lequel vous travailliez depuis très longtemps avec André. Tu dois être soulagé...

Je suis très soulagé oui ! Si on me demande si je me sens vidé désormais, je répondrais que ce n'est pas le cas, car les projets continuent.

Mais tu ne ressens plus de pression à propos de ces albums ?

J'ai toujours ressenti un peu de pression. Même lorsque je suis sur la route, à devoir assurer des concerts, ou lorsque je dois donner mon avis sur le songwriting, ou sortir un album, je ressens toujours de la pression. Car vis à vis de Jon ou André, ou de n'importe qui d'autre avec qui je travaille, je veux toujours donner le meilleur de moi-même. Je suis certes soulagé, mais parce que ces deux projets m'ont demandé beaucoup de travail. Je voulais notamment terminer ce que je faisais pour Demons and Wizards avant d'achever et de sortir le Blind Guardian Twilight Orchestra. A un moment, les choses prennent du temps et les projets entrent en collision. Et lorsque la machine est en route, il est difficile de l'arrêter. Si tu annonces que tu vas participer à un concert au Hellfest ou au Wacken, tu ne peux pas annuler ou décaler un événement parce que tu prends du retard sur autre chose. C'est pareil pour le travail de production et de songwriting pour Demons and Wizards, qui ne devait pas empiéter sur la période promotionnelle du Twilight Orchestra. Bien sûr, ça n'est pas tout à fait ce qu'il s'est passé... (rires) Au fil des années, si j'ai appris à devoir improviser avec la gestion du planning, j'ai dû aussi apprendre à stresser de moins en moins (rires). Je ressentais beaucoup plus de pression durant les années 90 que maintenant. Désormais, je sais ce qui est possible de faire et ce qui ne l'est pas...

C'est la sagesse qui vient avec l'âge...

(rires) Peut-être ! Je l'espère ! (rires). Je me fais peut-être juste des illusions, mais elles me vont bien ! (rires)

Après plus de trente ans sur la scène metal, tu as joué dans les plus grands festivals et les plus grandes salles, travaillé sur un album orchestral...Quelle pourrait être la prochaine étape ?

Faire quelque chose qui n'ait rien à voir avec un album orchestral ! (rires).

Un album uniquement acoustique alors ?

No comment ! (rires) Je ne sais pas. Pourquoi pas dans le futur, mais la prochaine étape sera un nouvel album de Blind Guardian, très progressif, très surprenant. C'est notre but à chaque fois et s'il nous surprend, nous nous disons qu'il surprendra les fans. Je suis content de ce qu'on a fait avec l'album orchestral et j'ai le sentiment que nous allons nous en éloigner petit à petit. Mais comme je l'ai dit, n'espérez pas un album facile, avec nous, cela n'arrivera pas ! (rires) Le prochain aura vraiment ce côté très progressif, c'est certain. Encore une fois, je suis très satisfait de ce que nous venons d'accomplir. Legacy of the Dark Lands correspond exactement à ce que nous avions en tête et je peux dire pareil avec le nouveau Demons and Wizards. On ne peut jamais en être sûr car les choses ne vont pas toujours dans la direction que tu espérais en premier lieu. Ces deux albums sont si différents et pourtant, j'ai le sentiment que nous avons fait les bons choix et que nous les avons réalisés au bon moment. Oui, je suis très très soulagé !

Nous avons mentionné Ayreon tout à l'heure. Tu es connu pour être un chanteur très occupé, puisque tu a été invité chez Ayreon, Avantasia, Gama Ray, Doro, Iced Earth, Angra et d'autre encore. Avec qui rêverais-tu de collaborer désormais ?

Cela m'importe peu... Je ne dirais pas non à Deep Purple, bien sûr !

Peut être le prochain ?

J'en doute, je ne pense pas que Ian Gillan ait déjà entendu parler de moi, je ne lui ai jamais parlé et je pense qu'il s'en fout ! (rires) Je prends les choses telles qu'elles se présentent. Je ne cherche pas à prouver quoi que ce soit. J'ai déjà proposé à des groupes peu connu de travailler avec eux, parce que cela me plaisait. Mais je vais surtout rester concentrer sur le prochain Blind Guardian avant tout. Du moins durant les deux ou trois prochaines années...

Entretien réalisé le 16 janvier à Paris
Photographie live : © Arnaud Dionisio 2015
Toute reproduction interdite sans autorisation du photographe



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