En 30 ans d’existence, Pearl Jam s’est imposé comme un monument historique en matière de Grunge, jusqu’à intégrer, en 2017, le très convoité Rock & Roll Hall of Fame. Depuis Lightning Bolt, en 2013, le groupe s’est offert un long répit que l’on espère bénéfique. Si les dernières œuvres étaient bonnes mais pâtissaient d’un certain manque de souffle, qu’en est-il de ce Gigaton, mijoté 7 ans, et destiné notamment à enflammer Paris, le 19 juillet prochain, dans le cadre du festival Lollapalooza (si jamais le festival a lieu...).
Portant le nom d’une unité de mesure d’énergie explosive, Gigaton s’invite comme ambitieux et potentiellement détonant. Illustré en pochette par de somptueux glaciers d’une pesante hostilité, il intrigue par cette immédiate ambivalence.
Onzième de sa lignée, Gigaton s’est montré alléchant dès son annonce, à travers les inspirés "Dance of the Clairvoyants" et "Superblood Wolfmoon". Et il faut bien admettre que l’album ne tarde pas à se montrer à la hauteur de l’avant-gout. Introduit par un "Who Ever Said" bourré de vitamines, la première moitié de Gigaton est incontestablement excellente, flirtant même avec du Pearl Jam suprême à "Seven O’Clock" pétante.
Si le grunge originel tend à s’essouffler, le quintet de désormais quinquagénaires s’attache à lui faire traverser les âges. Il en résulte, entre autres, "Quick Escape", savoureux, construit sur des fondations trentenaires mais renforcé par ce que notre époque sait offrir de plus pertinent. Ici, Vedder est à la recherche d’une échappatoire, non spoliée par l’ombre du Président américain.
Mike McCready, guitariste, voit en Gigaton une renaissance, armée de son lot d’incertitudes mais également de redécouvertes sur la conscience et l’humanité. Ce nouveau souffle s’affirme au fil de l’écoute, fluide et consistante. Il y a, en Gigaton, la sincérité et le partage du plaisir ressenti par les Seattlïens à l’heure de l’élaboration. La plume acérée, Vedder s’en prend, véhément, au système Trump et crache toute sa frustration face à la déliquescence de l’environnement. Cette rage s’enrobe splendidement de la dextérité de ses géniaux camarades.
Seules les clés sont inchangées, parmi lesquelles l’emblématique voix d’Eddie Vedder, à l’immuable puissance toujours aussi jouissive. Si Gigaton pourrait désorienter par ses changements de rythmes et d’humeur brutaux, je dirais qu’ils permettent de maintenir l’attention au cœur d’un album relativement long. La durée n’est pas pour autant un inconvénient. Les rares longueurs du ventre mou, comme "Buckle Up" sont rapidement éclipsées quand la magistrale conclusion vient contrer efficacement tout jugement hâtif.
photo : DR
Gigaton n’est pas une révolution, mais Pearl Jam a le mérite d’avoir su conserver fougue et inspiration à la croisée des décennies. Plus solide que Lightning Bolt, ce onzième album laisse présager une tournée mémorable. Si la situation le permet ; de très nombreuses dates nord-américaines ayant d’ores et déjà été reportées. Pearl Jam est plus que jamais dans son temps, et livre l’une de ses œuvres les plus nécessaires du XXIe siècle. L’énergie qui a fait du groupe un mythe de la scène devrait, d’ici quelques mois, jaillir à nouveau.
En ces temps d’isolement, que peut-il bien exister de plus urgent que 57 minutes de brillant Pearl Jam ?
Sortie le 27 mars chez MonkeyWrench/Republic.
Tracklist : 01- Who Ever Said |
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