La Traversée, le nouvel album de Bertrand Betsch est sorti le 24 avril dernier, l'occasion de lui laisser la parole car lui même trouve que ces albums sont en général très peu discutés voire très discutables. Et de continuer en se définissant comme un artiste profondément inactuel, il voit pourtant sinon une filliation sinon une sororité avec Pomme. Marqué par le cinéma et encore plus par notre finitude, Betsch est un bien plus qu'un auteur de chanson "dépressive", et derrière la chanson française se cache un ancien Curiste. Alors Bertrand, rockeur sur les bords ?
1. Comment fonctionne le groupe lors des sessions de compositions, qui donne les idées principales, qui fait office de médiateur ?
Je n’ai pas de groupe. Je fais tout tout seul, de A à Z. Pas de discussions. Je suis toujours d’accord avec moi-même. Je dirais même que je suis assez clément voire carrément complaisant par rapport à mon travail. Bref, je suis un monarque. Un monarque sans sujet. Je vote toujours pour moi. Et toujours le poing levé.
2. Dans quel morceau de ta production t’identifies-tu le plus et pourquoi ?
Pas un en particulier. Tous spécifiquement. Une chanson c’est un puzzle. S’il manque une seule pièce alors c’est raté. J’accorde la même importance au texte, à la composition, à la mélodie de chant, aux harmonies, aux contre-chants, aux arrangements, à la prise de son, à l’enregistrement, au mixage, etc.
Un bout rimé a autant d’importance qu’un édit sur lequel tu vas passer 4 heures. Il n’y a pas de délimitation précise entre l’artistique et la technique. Une chanson est un plat gastronomique. Il suffit qu’il manque un épice ou même une pointe de sel pour que tous vos efforts soient réduits à néant. L’émission Top Chef à la téloche est, à ce titre, très instructive et enrichissante.
3. Y a-t-il un vers ou une phrase dans les paroles d’une chanson qui te tiennent particulièrement à coeur ? Si oui, pourquoi ?
« À la fin, il y a toujours un matin / À la fin ce qu’on est, on le devient » (« À la fin » in La Traversée).
Ces vers m’ont été inspirés par la fameuse phrase de Nietzsche : « Deviens ce que tu es ». Qu’est-ce que le chemin d’une vie sinon d’aller vers sa ressemblance ? C’est-à-dire essayer de coller au plus près de son essence, d’agir toujours en fonction de ses convictions profondes, d’être le plus vrai, le plus sincère possible, de limiter la compromission et de s’abstraire du regard de l’autre.
4. Quelles sont vos principales influences lorsque vous composez vos morceaux ?
Pas d’influence particulière. Plutôt des confluences. Rencontre d’un bout rimé et d’une mélodie. D’un son et d’une idée. D’une sensation générale et d’une vibration intime. D’un état d’esprit d’abandon, de lâcher prise. Tout dépend aussi de mon degré de mélancolie et d’alcoolémie.
5. Est-ce que d’autres sujets hors musique vous inspirent dans vos chansons ?
Le cinéma, beaucoup. La littérature aussi, beaucoup. Au départ de chacune de mes chansons il y a toujours un phrase clé (il peut s’agir d’un titre de film, d’un vers, d’une simple locution). À partir du moment où j’ai en tête ce syntagme ou ce titre ou cette phrase, alors le gros du boulot est fait. Il ne reste plus qu’à laisser infuser jusqu'à ce que d’un coup le texte jaillisse.
crédit photo : Guillaume Carayol
6. Si tu devais écrire et composer un concept album aujourd’hui, quel thème choisirais-tu ? Quelles influences ?
Je choisirais le thème de la finitude. C’est au coeur de tout ce que je fais. Notre vie est conditionnée par la perspective de notre mort. La mort est ce qui donne à la vie toute sa valeur et sa consistance. On ne peut apprivoiser la vie qu’en apprivoisant la mort. Tout est dans tout. La nuit dans le jour, la haine dans l’amour, le sombre dans la lumière. Sorrow is an old joy.
7. Quelle a été ta première idole musicale ?
Robert Smith. J’ai commencé à écouter les Cure au collège. Les murs de ma chambre étaient tapissés de posters des Cure. Je ne réécoute plus trop maintenant. Je trouve Joy Division et Bauhaus plus forts.
8. Avec quels groupes / artistes rêverais-tu de tourner ou bien composer un album en commun ?
Pomme. C’est la plus douée de sa génération. Bien plus douée que moi à son âge (23 ans). Il y a une sororité entre mon travail et le sien (et pourtant je pourrais être son père). Nous avons tous deux à coeur de sublimer le chagrin du monde. Elle a su imposer des thèmes pas forcément bankables dans ses chansons tels que la mort, la perte, l’angoisse, l’anorexie, le refus de soi, etc. Et tout cela avec une honnêteté, une sensibilité et une voix qui transcendent tout. Elle est tous les possibles.
9. Quel est le premier album que tu as acheté avec ta propre thune ? Quel est le dernier album que tu as acheté ?
Le premier.
Un 45 tours de Jean-Jacques Goldman, « Il suffira d’un signe », qui reste à ce jour sa meilleure chanson.
Le dernier.
« Pain Noir » de Pain-Noir. Un album sans égal. Une traversée de lichens et de tourbe. De roches et d’éboulis. Un disque aussi minéral que végétal. Où comment les forces telluriques setransforment en forces motrices.
10. Comment convaincre quelqu’un d’écouter ta musique de la manière la plus rapide possible, à l’image d’un Tweet ?
Tout à perdre. Tout à gagner.