« Malgré tous ces emmerdements,
je ne pense qu’à une chose : y retourner ! »
L’imprimante.
Elle n’a jamais d’encre pour imprimer le fameux e-ticket de concert.
Le pote radin.
Il ne veut pas payer le vestiaire et m’oblige à faire la queue en t-shirt par -10 degrés.
Le vestiaire.
Obligatoire et à 5 euros.
Ce mec.
Enfin, cette montagne qui sera juste devant moi pendant toute la soirée.
Les ravitailleurs.
Ils me bousculent avec leur dispositif (ingénieux il faut avouer) en carton permettant de se déplacer avec six bières.
La bière.
Infâme et servie dans un godet en plastique. Ce gobelet qui me donne un air si intelligent quand je le tiens entre les dents pour pouvoir applaudir. Ce gobelet qui servira d’ailleurs de récipient pour les autres gobelets. Ceux de mes potes qui boivent plus vite que moi et qui me font un grand sourire quand ils déposent le leur dans le miens.
Le réseau routier.
De façon inexplicable, quelques minutes après le début du concert, une sorte de force ou d’intelligence collective analyse la densité de la foule et cartographie les lieux. A tel point qu’une fois le calcul terminé, les porteurs d’eau, les optimistes de la vessie, les coups de fil urgents transitent TOUS par les mêmes chemins. Les premières minutes du spectacle sont donc cruciales ! Mais rien à faire. Je me retrouve toujours sur un axe principal. A moi les « pardon », « ’scuse ». Le seul moyen de m’en sortir : faire barrage avec mon corps pour détourner le flux. Faut-il encore avoir la carrure et le courage pour oser le faire.
L’homme-barrage.
Lui, il fait barrage. Il en a l’envergure. Il n’en peut plus de ces passages incessants alors il ne bougera plus d’un millimètre. Il est toujours là sur mon chemin vers les toilettes évidemment. C’est comme ça. Je suis face à lui. Solide sur ses appuis, il a les bras croisés, le regard fixé vers la scène. Pour lui, je n’existe pas. Il refuse que j’entre dans son champ de vision. Il faudra faire le tour. Entreprise difficile. Deux options : soit rebrousser chemin, soit prendre mon courage à deux mains et créer un nouveau passage en utilisant la technique dite du « métro japonais ». Avant de la réaliser, il faut se préparer mentalement, puis ne pas tergiverser. A la façon d’un pansement qu’on arrache, il faut y aller d’un coup sec ! Aller au contact mais sans bousculer. On attaque de 3/4 face, épaule en avant et les mains le long du corps. L’insulte ou le soupir agacé va tomber. Mais une fois la brèche ouverte, comme par magie, la foule va se fendre. Tel Moïse écartant les eaux de la mer rouge (en moins spectaculaire), je suis porté par un élan miraculeux vers ma destination finale.
Les chiottes.
Le dos.
Il commence à se tétaniser après deux heures en station debout. L’idée de m’accroupir pour réaliser un étirement dorsal me hante mais impossible évidemment. Pas au milieu de cette foule. Alors je tente comme je peux de détendre mes muscles endoloris en faisant basculer légèrement mon bassin, en m’appuyant sur une jambe, puis l’autre... Si je m’écoutais, je poserais mes mains sur mes reins et je me ferais un petit auto-massage pour apaiser mes contractures. Impossible. Je passerais directement pour un vieux hors du coup voire... un casanier.
Photo: Johnny Mafia -TINALS 2017 - par Yann Landry
La blague.
Un titre se termine et l’artiste (anglophone, c’est important) se lance dans une tirade. Il y a un moment où toute la salle a ri. Les rires arrivent toujours en deux vagues successives. La première est la vague des spectateurs bilingues qui ont de l’humour. La deuxième, c’est celle des suiveurs qui n’ont rien pané à la vanne mais qui sont trop orgueilleux pour rester de marbre... comme moi. Digne et triste, j’assume. C’est tout à mon honneur car l’aveu est de taille. Il implique qu’en plus de ne pas comprendre la blague, je ne comprends pas un traître mot de toute l'œuvre de l’artiste que je suis venu applaudir.
« The next song is... ».
Jamais un artiste n’annoncera de la sorte un morceau qui est un demi-succès ou un titre dont il est moyennement fier. « The next song is... » est toujours suivi du titre du morceau phare. Celui que les inconditionnels attendent impatiemment depuis le début du show. Ces groupies qui veulent montrer à tout le monde qu’ils sont les fans numéro 1. Ils sont aussi énervants que les premiers de la classe qui lèvent le doigt énergiquement à chaque question de l’instituteur. Ils veulent absolument montrer qu’un mot ou même une syllabe leur suffit pour identifier un morceau du répertoire de leur idole. Alors ils sont dans les starting blocks pour être le premier à hurler. Le conditionnement pavlovien prend tout son sens :
« The next song is... Take.....WWWWOOOOoooooAAAAHhhhhhh !!!!!!!! ».
Je crois qu’un chanteur pourrait annoncer « The next song is Tirelipimpon sur le chihuahua » qu’ils n’y verraient que du feu.
La perfection.
Celle de ce mec qu’on ne voit jamais arriver. Tous mes tracas, il ne les a jamais vécus. On ne le voit jamais dans la position gênante de la fouille, les bras en croix, se faisant palper par le vigile de l’entrée. Il ne fait pas la queue. Il apparaît dans la soirée. Autour de lui, la foule est moins dense. Il est de taille parfaite avec un indice de masse corporelle optimal. Il porte un fin gilet dont les longues manches suivent ses gestes élégants. Il est bavard mais son interlocuteur a l’air subjugué. Il a aussi un gobelet à la main mais le sien brille. Il est irréel. Il y a maintenant quatre personnes autour de lui. On se dit qu’il a dû en voir des groupes mais il n’a pas l’air blasé. Il est souriant. C’est sûr, il est dans son élément.
Pourquoi ce type pose-t-il problème ? Parce que le contraste avec moi, simple mortel, est abyssal.
Son look smart met en valeur mon accoutrement. Moi, je voulais être à l’aise. Alors j’ai mis ce jeans même s’il est un poil trop large. Et puis si je ne mets pas un de mes t-shirts de festival au concert quand vais-je le faire ? Ces t-shirts à la coupe grossière en coton épais et rêche... avec des dates et des noms de groupes dans le dos. Bref, à côté de l’autre, j’ai l’air d’un beauf qui ne sort que deux fois par an (Je ne sors que deux fois par an).
Et quand il slalome avec grâce entre les soiffards devant le bar pour passer sa commande entre deux blagues, moi, je joue des coudes avec les autres clients impatients aux sourcils froncés, brandissant mes deux tickets boisson dans l’espoir d’attirer l’attention du barman affairé. En vain. Souvent j’abandonne. Après tout, la bière est dégueulasse. Mais c’est dommage, ça m’aurait donné une contenance, moi qui ne sais pas danser comme l’autre.
Le faux refuge.
C’est le concert d’un artiste de variétés donc dans un zénith. A m’imaginer le public de cet artiste ringard habitué du canapé rouge de Michel Drucker, je me dis que cette fois-ci, je ne pourrai pas me sentir minable.
Il n’y a pas de bar. Parfait ! Des emmerdes en moins. Je suis en confiance. En plus, je fais une bonne action. La belle-mère attendait depuis tellement longtemps d’aller le voir ce con. Cette soirée s’annonce très bien.
Mais après deux ou trois chansons, le malaise s’installe progressivement. Ce n’est pas possible ! Je me sens à nouveau comme un intrus. Voilà que malgré la qualité déplorable du spectacle, ces veaux (le public) qui étaient censés êtres mes faire-valoir se lâchent... pire, ils s’amusent ! Ça chante, ça crie, ça rit, ça danse ! Ah le cons. Je ne connais pas les paroles en plus. Ah ben ça y est... Je suis à nouveau le constipé de service.
A la sortie du parking et après une heure d’attente... Belle-maman insiste. Elle me l’avait bien dit qu’il fallait se garer au parking E7 et non au B2. Maintenant on est coincé.
Je vais commencer à croire que le problème... c’est moi.
BONUS
LE... enfin LA Covid-19 (même pour ça il/elle me fait chier).
Toutes ces misères ne m’ont jamais empêché d’aller à un concert. Les relous, la mauvaise bière, mes questions existentielles, mon manque d’assurance... Rien ne m’a jamais empêché d’aller applaudir mes artistes favoris. Il a fallu ce virus de merde qui nous gâche la vie depuis un an. Vous m’avez peut-être trouvé excessif en lisant ces lignes mais sur ce dernier point je pense que nous serons tous d’accord: artistes, fans et propriétaires de salles... Même l’autre « beau gosse » il est d’accord.