Neuvième album en une vingtaine d’années d’existence pour Thy Catafalque, un an à peine après son prédécesseur Naiv. Touffue, expérimentale, désarçonnante, la musique du combo hongrois laisse parfois sceptique mais interpelle toujours et se renouvelle sans cesse. Et ce n’est pas avec Vardak que l’on pourra dire le contraire.
Du black metal à l’avant-garde, Thy Catafalque a parcouru un long chemin, et si les racines black sont toujours restées présentes, elles ont très vite fait de la place pour une multitude d’influences qui s’entremêlent avec plus ou moins de bonheur selon les albums.
La richesse et la diversité de sa musique se fait encore largement sentir sur le nouveau venu, Vardak. Il faut dire que si Thy Catafalque est le projet d’un seul homme, Tamás Kátai, qui assure l'essentiel des guitares, de la basse, des claviers, une partie du chant et la programmation, il sait s’entourer d’invités de tous horizons qui donnent réellement vie à ses idées. Outre de nombreux instrumentistes, il a aussi fait appel à plusieurs chanteuses et chanteurs, dont Gyula Vasvári de l’excellente et sous-estimée formation magyare Perihelion.
Difficile de dire que les auditeurs n’en auront pas pour leur argent, puisque l’opus dépasse l’heure, avec souvent des morceaux longs, qui prennent le temps de dérouler leurs idées, énormément de passages instrumentaux, et des ambiances travaillées. Kátai continue ce qu’il a fait sur d’autres albums, un mélange de black metal, de folk hongrois, d’electro, avec une dose de jazz et de metal atmosphérique. Le communiqué présentant l’album parle aussi de pop, mais elle est plus difficile à trouver, sauf à en avoir une acception très large – après tout, Björk est considérée comme une musicienne de pop. L’album fait entendre une certaine similitude avec son prédécesseur Naiv, mais il va encore plus loin, se fait encore plus luxuriant en matière de sons, déconstruit encore plus les genres.
Les basse, guitares, batterie, claviers sont accompagnés d’instruments aussi divers que des violons, des violoncelles, des trompettes, des saxophones, des trombones, des cornemuses, et des instruments particulièrement peu communs, comme le duduk (hautbois arménien), le tabla (percussions indiennes), le dumbeq (percussions égyptiennes) ou encore le riq (tambourin arabe). Le chant passe par toute une série de techniques, au gré des performances des cinq interprètes, du growl au chant clair qui prend souvent des connotations religieuses, en passant par des chants traditionnels, et des lignes scandées qui ne dépareilleraient pas sur un morceau de hip-hop ou de neo-metal. Il en va de même pour les guitares, pour les claviers, qui se font tout aussi mutants sur les différents morceaux.
L’agressivité la plus pure répond à la douceur nostalgique, la modernité futuriste à la tradition ancestrale. Et pourtant, chaque morceau en lui-même est toujours parfaitement cohérent du début à la fin. Tout se mélange dans un maëlstrom implacable, qui désoriente mais aspire inexorablement l’auditeur. Cela se ressent particulièrement sur les deux titres les plus longs, qui dépassent chacun les dix minutes. « Móló » fait la part belle aux passages instrumentaux, notamment aux claviers très axés electro violent qui se combine très bien aux instruments metal, alors que le chant éraillé semble paradoxalement très peu agressif. « Vadak (Az átváltozás rítusai) » va encore plus loin, avec ses multiples changements de ton, de rythme, d’ambiance, passant de moments où les blast et les riffs saturés dominent au calme plat qui met en avant un très beau chant féminin, avant de partir sur des percussions orientales, un peu tribales, qui subliment le son du violon ; le tout entrecoupé de passages de saxophones. C’est indigeste à décrire, ça pourrait l’être à écouter, mais la magie opère.
Là où le bât blesse plus, c’est qu’à force de partir dans tous les sens, l’album manque de cohérence, et on a parfois l’impression d’écouter une compilation de différentes époques ou en tous cas différents albums. C’est notamment particulièrement marquant quand on arrive sur « Kiscsikó (Irénke dala) ». Le titre en lui-même est très réussi, avec son saxophone et sa trompette, mais ceux-ci donnent une dimension cavalerie de Far-West à qui on vient annoncer que c’était pas sa guerre. Il semble sortir de nulle part et la cohésion avec les morceaux précédents est inexistante. Paradoxalement, sur cet album, les morceaux ont une logique propre, et on retrouve une identité sonore propre à Thy Catafalque, mais c’est au niveau intermédiaire, du disque lui-même, que le lien ne se fait pas toujours.
Pourtant, l’album possède une grande homogénéité au niveau des paroles, toutes en hongrois. Si elles échappent souvent à la compréhension précise, elles évoquent beaucoup la nature, le sens ou l’absence de sens de la vie, le crépuscule du monde… à tel point qu’on est presque choqué de lire une allusion aux villes et aux aéroports dans la traduction de « A kupolaváros titka ». D’autant qu’il s’agit de dire qu’il est impossible de s’échapper de la ville qui est l’objet du morceau, dont tous les habitants périront au moment où elle sera détruite, comme si elle n’avait jamais existé. Le seul moment où l’album parle de construction humaine est donc pour en annoncer la disparition. Le message de l’album serait-il d’annoncer le crépuscule de l’humanité pour mieux rebâtir le monde ?
Vadak est donc un album complexe, extrêmement dense, qui ramène Thy Catafalque à son meilleur niveau. Le léger manque de cohérence dont souffre l’album ne réussit pas à ternir son éclat. Grandiose, désarçonnant, excessif, bancal, envoûtant, obsédant, il est tout cela à la fois, et sans conteste l’un des albums les plus marquants de ce premier semestre.
Tracklist
1. Szarvas (5:39)
2. Köszöntsd a hajnalt (4:27)
3. Gömböc (5:06)
4. Az energiamegmaradás törvénye (6:51)
5. Móló (10:05)
6. A kupolaváros titka (3:19)
7. Kiscsikó (Irénke dala) (3:46)
8. Piros-sárga (5:06)
9. Vadak (Az átváltozás rítusai) (12:25)
10. Zúzmara (5:34)
Sortie chez Season Of Mist le 25 juin