Allons droit au but, pour changer. Que demande t-on à un vrai groupe de rock ? Petit un : le style. Petit deux : le son. Petit trois : des chansons. Peu importe l’ordre d’ailleurs. Tout le reste, les amis, c’est littérature, vent dans les voiles, pisse-froids et compagnie, juste histoire de traîner un peu plus longtemps au bar. Pendant ce temps, sur scène, Dragon Rapide envoie du bois, comme on dit. Avec la tension, l’électrifiante tension, le voltage extrême né du trio, du frottement, de la nudité. A trois, la faute est interdite, les temps morts toxiques, la baisse de régime irrécupérable.
Ils l’ont donc bien compris, les Sylvain (guitare/voix), Jimmy (basse/voix) et POG (batterie). Ils l’ont compris parce qu’ils l’ont appris, à en suer sang et eau, et même pire, sur toutes (toutes !) les scènes possibles, de la plus improbable à la plus prestigieuse. Juste un peu plus resserrés, c’est tout. A Clermont-Ferrand, où ce genre de leçon rentre vite dans la caboche, Dragon Rapide a grandi, ici et là, dans une cave heureusement, mais aussi sous le soleil, quand la pop la plus déshabillée prend vite des couleurs rouge vif, voire un léger pelage. Le Dragon a sucé d’un trait la substantifique moelle, celle qui provoque encore de belles érections, pour écrire une suite logique et imparable aux grandes œuvres signées Nada Surf, Teenage Fan Club, Travis et autres héros du rock indépendant de la fin du siècle dernier, quand on savait écrire avec des guitares et se dandiner sur une rythmique locomotive. L’alliage est subtil, néanmoins. Car on laisse ici traîner quelques couplets taillés au cordeau, on exhibe de fort beaux refrains, on se laisse aller, un peu ivres, sur la frontière ténue entre pop d’école et grosse râpe punk, quelque chose d’assez brutal, disons-le, et d’assez léger en même temps, allez comprendre… La recette semble éprouvée, il reste juste à la faire sonner comme il faut, et le Dragon, tout en étant Rapide, est Élégant, jusqu’au bout des griffes.
Encore mieux qu’une patte de lapin donc, pour porter chance aux 13 titres de See The Big Picture, premier album du trio clermontois entièrement réalisé à la main en terre arverne, et attendu début 2018. Des prises à l’artwork, du mix au mastering, c’est peu dire que l’école du six-trois sait toujours faire parler la poudre. Au cœur du propos, une incursion chez les Built to Spill, dont l’amour de l’indépendance et le goût inébranlable de la liberté ne sont plus tellement à prouver, n’est-ce pas. Et merveille, l’art de l’écriture des Américains tombe à pic dans ce recueil de titres forts et solidement charpentés, où le moindre morceau de gras laisse la place à une ossature sèche et impeccable, du rock immédiat et finaud qui parle juste de musique. De bonne musique.
Hervé Deffontis.