Le plaisir d'être chroniqueur, c'est de découvrir des groupes aussi prometteurs qu'inattendus. De recevoir une claque qui remet les idées en place et laisse sur le visage un sourire béat de joie et de satisfaction. Je suis convaincu que nombre de mes collègues savent de quoi je parle. Cette sensation est un moteur essentiel qui pousse à persévérer et à continuer cette activité. Tout ce préambule pour faire la présentation de Ghost Bath, quatuor chinois* sur lequel il était déjà nécessaire de garder un œil en 2014 grâce à un Funeral de bonne facture. Mais espérer un tel niveau d'excellence n'était absolument pas prévu au programme. Aucun doute, cette année risque bien d'être marquée par le sceau de Moonlover, seconde offrande du combo, qui est un véritable coup de maître.
Bien sûr, les musiciens n'inventent rien sur ce disque. La recette employée ne sera pas sans rappeler d'autres formations, dont l'influence semble incontestable. Mais l'entité réunit toutes les qualités essentielles qui font passer l'opus au stade supérieur. Ces éléments qui transforment un album réussi en une œuvre essentielle. C'est dans le créneau de plus en plus prisé du post-black que s'engouffrent les Chinois*, dont l'ensemble du disque recèle d'hommages involontaires à un autre maître du genre, les controversés Deafheaven. Quels arguments sont en mesure d'avancer les musiciens pour se démarquer des ténors? Tout simplement un talent de composition impressionnant, principalement dans l'optique de créer de formidables ambiances qui ne cesseront de hanter l'auditoire.
Le titre « Golden Number » est certainement l'un des meilleurs exemples de cette facilité qu'ont les Chinois* pour façonner un morceau à la fois prenant sur le moment, et mémorable par la suite. Le black metal de la formation n'est pas de l'école norvégienne, mais s'oriente plutôt vers des paysages plus contemplatifs et rêveurs. Une surdose d'atmosphères qui ne sera nullement là pour contenter les puristes. Le lead de guitare de cette première piste ne sera pas, non plus, au goût des plus ardus défenseurs de la tradition. De ces paramètres, Ghost Bath n'en a cure et se laisse aller à toutes ses envies. C'est grâce à cette volonté que l'on tient un ensemble solide et cohérent. Le combo n'est pas agressif, violent, revendicatif. Il est triste et mélancolique. Les chœurs accompagnant le chant sur « Golden Number » sont là pour nous le rappeler. Le quatuor poussera même ce vice jusqu'à son apogée par l’enchaînement des pièces « Beneath the Shade Tree » et « The Silver Flower Pt. 1 », développant une ambiance intimiste, s'éloignant totalement du metal. Une coupure qui n'est pas sans rappeler le travail sur les atmosphères de Deafheaven au sein de Sunbather.
Ghost Bath prend son temps. Étire ses compositions, contemplant sa propre dépression avec le regard perdu dans le vide. Serein, tout en étant au bord du précipice, prêt à sauter au fond du gouffre après avoir observé les merveilles du monde une dernière fois. Le chant y est à l'unisson : torturé, expressif, jamais placé au premier plan. Le support vocal ne sert qu'à solidifier les ambiances. Pourtant, celui-ci intervient toujours au bon moment. Jamais les Chinois* ne tombent hors de propos, et ne placeront un élément détruisant toute cette belle unité. « Happyhouse » développe parfaitement cette interaction entre la guitare mélodieuse, propre au post-black, et les hurlement déchirants du chanteur. La conclusion « Death and the Maiden » est la synthèse adéquate à l’œuvre, qui permet de laisser l'auditeur terminer sur une dernière note envoûtante.
Déstabilisant, poignant, puissant, aussi bien que rêveur. Tant de qualificatifs qui se réunissent dans ce Moonlover. Signant là l'un des disques de post-black les plus intéressants qu'il soit, Ghost Bath se classe directement parmi les ténors du genre et arrache un trône qu'il sera difficile de lui reprendre cette année. Un album incontournable, à écouter de toute urgence. En attendant la prochaine sortie de Deafheaven…
*NB : Entre la rédaction de cette chronique et sa publication, le groupe a révélé venir des États-Unis et non de Chine. Si cela n'enlève rien ni à leur talent, ni à mon appréciation de l'album, on peut s'interroger sur l'intelligence de cette stratégie de communication pour le moins originale du groupe. Parenthèse fermée.