Atteindre un jour le statut de groupe culte n’est pas donné à tout le monde. Mais après plus de 20 ans de carrière et une ribambelle d’albums et d’EPs à son actif, on peut dire que les Japonais d’Envy appartiennent bien à cette race. Sans jamais réellement obtenir de notoriété auprès du grand public, le groupe a activement participé au développement du post-hardcore, avant que cette dénomination ne perde totalement son sens. Après un concert évènement au Hellfest où les chanceux présents auront pu entendre un avant-gout de ce nouvel album, on accueille donc avec plaisir (bien qu’assez tardivement par rapport au Japon) une nouvelle sortie.
Il faut dire que depuis 2010 et Recitations, les nouvelles d’Envy se font rares et le combo a pris son temps pour nous offrir le résultat des nombreuses évolutions qui ont ponctué sa carrière. On retrouve ainsi un groupe fortement influencé par le post-rock comme sur ses dernières sorties mais qui n’oublie pas ses racines screamo, même si elles restent minoritaires et toujours mesurées par des passages plus doux.
Première singularité de l’album : sa brièveté, huit titres et 40 minutes à peine. C’est peu comparé à ce qu’ont l’habitude de nous offrir les japonais et ce n’est pas totalement anecdotique, puisque les titres sont moins noyés dans la masse et ressortent davantage individuellement. C’est du moins dans cette optique qu’Envy semble avoir abordé son processus de composition, en faisant de chaque chanson un univers particulier. « Blue Moonlight », titre d’ouverture, illustre parfaitement cette idée avec ses riffs accrocheurs et sa deuxième partie, croisement improbable entre Alcest et Joe Hisaishi. Un résultat probant et à l’image de l’album : varié.
Les fans du combo peuvent tout de même être rassurés, le style unique d’Envy, lui ne change pas. Impossible de ne pas reconnaître comme la signature des japonais la voix de Tetsuya, alternant entre scream, narrations fiévreuses et chant clair, toujours dans sa langue natale. Certes, le timbre du frontman a perdu en intensité au fil des ans, mais il compense avec plus de variations et de changements de ton, comme sur « Shining Finger ».
Si le début de l’album est plutôt direct et accrocheur avec notamment la joyeuse « Ignorant Rain And The End Of The World », le reste d’Atheist’s Cornea va davantage s’orienter vers des chemins plus atmosphériques rappelant Insomniac Doze, album des japonais sorti en 2006. Sur des chansons qui restent d’une longueur respectable, l’ambiance tourne vite à la contemplation sur « An Insignifiant Poem » ou encore la magnifique « Footsteps in the distance » où Tetsuya se laisse même aller à quelques expérience de vocoder.
Même « Two Isolated Souls », titre qui rappelle les heures lointaines où Envy donnait dans le screamo pur et dur, se voit adouci dans sa conclusion par les guitares de Masahiro Tobita et Nobukata Kawai ainsi que par la basse ronflante de Manabu Nakagawa. Or de ce point de vue, le post-rock des japonais reste d’une relative originalité, dans une scène en pleine perte d’idées neuves. Composition légèrement décevante, « Ticking Time And String » est la seule qui présente ce défaut d’un post-rock/shoegaze un peu passe-partout. Elle ne souffre en tout cas pas la comparaison avec la superbe « Shining Finger » qui la précède.
Ecouter Envy c’est avant tout une histoire d’émotion, et celle-ci est bien au rendez-vous tout au long de l’écoute. Que ce soit par le chant tantôt désespéré, tantôt rêveur de Tetsuya ou par les mélodies savamment orchestrées par le groupe, la maturité que l’on perçoit chez les nippons force le respect, tant nombre de groupes du même âge en viennent à perdre l’inspiration et à se répeter. Ici les compositions sont travaillées, mais recèlent aussi une sincérité palpable, et c’est sûrement ce qui séduit le plus dans le travail du combo. Après avoir commencé son album de façon abrupte avec « Blue Moonlight », le groupe fait le choix de terminer sur un titre calme et intimiste « Your Heart And My Hand » qui clôt l’opus avec beaucoup de classe.
Si nombre de groupes considéré comme « légendaires » se reposent sur leur héritage, ce n’est clairement pas le cas d’Envy sur cette album où le quintette paraît en paix avec son passé et le regard tourné vers l’avenir. Avec un style toujours aussi reconnaissable, entre post-rock et screamo, il nous prouve en tout cas qu’il est toujours capable de composer des titres de haute qualité, ce qui fait vraiment plaisir à voir. Il ne reste plus qu’à espérer que cela dure encore longtemps.