Après avoir sorti, il y a deux ans, un Earth Rocker tout bonnement fantastique et unanimement acclamé par la critique, de quels subterfuges allait devoir user Clutch pour encore monter d'un cran ? La réponse se trouve dans ce nouvel opus, Psychic Warfare, qui fait taper du pied dès la première écoute grâce à un audacieux et léger retour en arrière fort réussi. On vous explique tout.
Tant d'énergie et de crudité du son pourraient faire croire à un premier album à qui ne connaîtrait pas Clutch. Et ce n'est pas l'aussi surprenante que convaincante fausse présentation des musiciens par le frontman Neil Fallon, pendant le premier titre, qui ferait penser le contraire. Ni l'introduction dans une ambiance de saloon, où une voix nous invite "à commencer depuis le début". Mais si l'on prête l'oreille, on constate que cette voix nous suggère d'utiliser stylo et calepin, comme pour mieux prendre note de la maîtrise absolue du combo dans ce qui va suivre.
Car c'est ce qui fait la différence entre Clutch et un groupe débutant déployant l'énergie de sa jeunesse : les Américains ont apprivoisé ce dynamisme et ce dépouillement, ils savent les mettre en œuvre à la demande pour dégainer des titres imparables.
Dès le premier morceau "X-Ray Visions", on se surprend à hocher frénétiquement du casque, tant l'efficacité est au rendez-vous. La section rythmique est diabolique de groove, et les riffs qui s'y adjoignent semblent agréablement familiers sans jamais tourner en rond.
Neil Fallon est extrêmement polyvalent au chant et sait varier les intonations, si bien qu'on se demanderait presque par instants s'il ne partage pas le micro avec des invités. Avec sa puissante et rocailleuse voix aux intonations noir-américaines insoupçonnées, il chante avec nuance, envoie les décibels quand il le faut, et crie sans jamais faiblir. Parfois, ses intonation évoquent le grand Jimi Hendrix ("Firebirds" ou "Your Love Is Incarcération") ou encore Anthony Kiedis des Red Hot Chili Peppers ("A Quick Death In Texas"), mais il possède cet indescriptible grain de voix rauque qui transpire l'authenticité et le whisky.
Puisqu'il est question de whisky justement, le côté southern des compositions cher à Clutch dans le début des années 2000 est de retour, pour le meilleur comme pour... l'encore meilleur ! Cette tendance se ressent par exemple sur un "Noble Savage" que ne renieraient pas les Danois de Volbeat. Une autre parfaite illustration de ce retour aux sonorités sudistes est le transpirant "Sucker For The Witch", qui fera headbanguer les fans des Américains lors de leur très prochaine tournée passant par chez nous.
D'ailleurs, à l'écoute de Psychic Warfare, il paraît tout de suite évident que la transposition des morceaux sur scène sera immédiate et fonctionnera sans mal. On devrait donc probablement profiter de ces nouvelles compositions très bientôt, et qui sait, peut-être qu'à l'instar de Earth Rocker, l'intégralité de l'album sera disséminée tout au long de la setlist ?
Pour en revenir aux titres de Psychic Warfare, l'instrument qui saute au yeux est souvent la basse, qui apporte une énorme profondeur et une énergie sans précédent. A ce titre, Dan Maines est irréprochable, et apporte un groove inquantifiable, qui impacte beaucoup l'ambiance qui se dégage des morceaux. Une foultitude d'éléments de funk vient ponctuer des lignes de basses brutes de décoffrage, pour scotcher l'auditeur comme jamais.
Si cette proéminence de la basse n'est pas spécialement nouvelle chez Clutch, le quatuor sait aussi surprendre par des morceaux plus lents et aux airs de ballade, comme "Our Lady Of Electric Light". Avec une introduction probablement réalisée avec un eBow, le titre imposé d'emblée une ambiance feutrée et éthérée avec laquelle tranche rapidement les couplets rauques sur fond d'armées. En usant d'une une progression lente, les musiciens tutoient les sommets de leur art, et nous perdent dans un univers si travaillé qu'il en paraît être leur univers de prédilection.
Ce dernier titre est bien mis en valeur par le contraste avec les autres pistes, plus directes et aux riffs acérés. Ces riffs sont à saluer tout au long de l'album, car ils forment un véritable rouleau compresseur qui vous passera dessus sans relâche d'un bout à l'autre du disque. Seul "Behold The Colossus" dénote un peu à ce niveau, et tout en restant très bon, il ne se hisse pas au niveau d'excellence que pose le reste du disque comme standard.
Au rang des surprises figure également le dernier morceau "Son Of Virginia", dont le titre annoncé aussi bien le contenu que les sonorités utilisées des l'introduction. Guitare brute fleurant bon les rives du Mississippi, rythme lancinant, tout est réuni pour un morceau de sept minutes quasi progressif au vu de la discographie de Clutch. Sept minutes ! Du quasi-jamais vu pour les rockers du Maryland, qui signent ici un véritable bijou aux lentes montées en intensité pleines de force, et mettent toutes leurs tripes dans cet ultime piste qui clôt de façon idéal un album dont on se délectera de nombreuses fois.
Après le prodigieux Earth Rocker, on découvre avec effarement que Clutch en a encore sous le pied : ce Psychic Warfare arrive à surpasser son prédécesseur, et ne concède aucune fausse note. Un morceau en moins aurait pu faire gagner en intensité à l'ensemble, et aurait même pu faire toucher du doigt la perfection à ce combo qui nous réserve encore plein de surprises.