Sortie le 10 novembre 2016 chez Overpowered Records
Les groupes qui changent de line-up, on en voit tous les jours. Les groupes qui changent de chanteur, c’est plus rare. Ceux qui en changent avec succès, ça l’est encore plus. Mais alors qu’un groupe arrive, avec succès et sans perdre son âme, à passer d’une chanteuse à un chanteur, alors ça c’est fort ! Et Arkan en fait la démonstration avec son quatrième opus, Kelem, qui met la barre haut et propose un contenu très profond, et terriblement d’actualité : le terrorisme et les guerres qui secouent notre 21ème siècle.
Suite au départ de la chanteuse Sarah Layssac, Arkan a annoncé début 2016 son remplaçant, et quelle ne fut pas notre surprise lorsqu’est apparu le nom de Manuel Munoz. Ancien vocaliste des excellents et regrettés The Old Dead Tree, Manuel semblait pourtant vouloir rester relativement loin de la scène. Aussi, lorsque son timbre si particulier apparait en début d’album, c’est un véritable plaisir de retrouver ce grand monsieur du metal français. Quel bonheur d’en retrouver les nuances mélancoliques, le timbre clair subtil, mais aussi les growls hargneux qui avaient fait la force du Vieil Arbre Mort. Le son général du groupe en est forcément affecté, avec une direction résolument plus dépouillée et death qu’auparavant : les orchestrations se limitent le plus souvent aux basiques du canon metal, avec guitares, basse et batterie. Arkan gagne alors en impact et en force, même si l’ambiance posée par les différents titres réussit à s’imposer comme un fil rouge déroulé depuis les premiers albums. Ces ambiances arabisantes, soutenues par des sonorités d’instruments traditionnels, font la part belle aux gammes orientales chères à Arkan, qui restent utilisées à très bon escient.
Musicalement, dès le premier morceau "Kafir", on est frappé par l’extrême mélodie qui se dégage de cet hybride Arkan ancienne génération/The Old Dead Tree. Car c’est bien ce que devient Arkan, pour notre plus grand bonheur, et on sent que les retrouvailles de Manuel avec son ancien batteur Foued Moukid, à l’origine du projet Arkan, ont participé à un nouvel élan de créativité très prolixe. On décèle également ici ou là de très subtiles influences comme Gojira, sur certains riffs ou arrangements à deux guitares de la paire Mus-Florent, et sur certains growls, tous très réussis. En étant difficile, on pourra reprocher quelques facilités sur des progressions d’accords, ou bien certaines faiblesses dans la clarté de production des passages les plus chargés, mais l’ensemble reste très solide.
Après quelques écoutes passées à s’imprégner des magnifiques ambiances musicales, et d’une voix envoûtante et chargée d’émotion, il est temps de se focaliser sur les paroles des morceaux. C’est alors que l’album prend une toute autre dimension. En effet, Arkan revient au thème de son premier EP Burning Flesh, à savoir le terrorisme. Les crédits de l’album le dédient d’ailleurs sobrement au victimes de ce fléau moderne. A travers les douze titres de l’album, les paroles passent en revue un certain nombre de thèmes liés au terrorisme ou en découlant, depuis les mensonges vendus par les organisations terroristes à leurs futures recrues ("The Call"), jusqu’aux exodes massifs induits par les zones de conflit (le poignant "Beyond The Wall"), en passant par le vécu des populations innocentes touchées par les combats et les bombardements ("Nour", qui signifie "lumière" en arabe). A la lumière de ces thèmes on remarque certains éléments musicaux ingénieusement articulés pour suggérer les scènes décrites, comme ces riffs acérés au début de "Nour", qui évoquent inévitablement des rafales de fusils automatiques.
Si l’on ne devait conserver qu’un seul morceau de ce Kelem, ce serait probablement "Just A Lie", titre épique au sens premier du terme, et qui s’avère très visuel, voire cinématographique. Le texte décrit la dramatique traversée de la Méditerranée par des migrants fuyant la guerre, et qui ne verront jamais la côte européenne. Le tempo est dicté par le déchaînement de la tempête qui est chantée, et l’accalmie acoustique centrale est l’occasion d’une envolée vocale incroyable de simplicité et de puissance.
On note de rares erreurs d’anglais dans l’écriture des vers en s’attardant sur le booklet, mais même si elles passent inaperçu à l’écoute, on vous encourage à écouter ce magnifique album livret à la main, pour en comprendre toutes les subtilités et ne rien manquer du propos très fort d’Arkan.
Kelem se paie donc le luxe d’allier un contenu musical solide et touchant à des thèmes profonds et terriblement d’actualité, pour un résultat plus que convaincant. Arkan nous offre l’un de ces albums qui fait réfléchir par ses textes, et dont on ne sort pas indemne. Nul doute que dans la conjoncture actuelle, ces mots sauront résonner aux oreilles des fans.