En seulement deux albums, While She Sleeps s’est imposé comme une tête d’affiche du metalcore à l’anglaise avec des compositions bien au-dessus de la moyenne et des performances live intenses. Il y a deux ans, Brainwashed avait logiquement fait l’unanimité chez les critiques comme chez le public et pour son successeur, les Anglais ont décidé d’être ambitieux. Sans label et comptant uniquement sur le soutien de leur fanbase, ils sont parvenus à financer et enregistrer ce troisième disque qu’ils nous teasent depuis des mois sur les réseaux sociaux. Mais à force de teasing dithyrambique, ce qui devait arriver arriva et les Sleeps Brothers se sont pris les pieds dans le tapis.
Pourtant, l’écoute commence idéalement. Le violon est de sortie sur l’intro du titre éponyme et on a déjà des frissons lorsque Loz Taylor ouvre les hostilités en hurlant « You Are We ». On sent déjà que While She Sleeps a modifié son style avec un Mat Welsh plus présent au chant clair et dont la palette vocale s’est encore agrandie, en plus des traditionnelles mélodies distillées par Sean Long à la guitare. Ici cette évolution ne présage que du bon, mais cette ouverture exceptionnelle va malheureusement vite déboucher sur une succession de déceptions.
While She Sleeps a tout simplement eu les yeux plus gros que le ventre sur cet album. Les compositions sont plus ambitieuses et plus complexes qu’auparavant mais on finit par ne jamais en voir le bout et par s’ennuyer, fatalement. Sean Long écrit toujours des riffs aussi incroyables mais ces derniers n’arrivent pas à se lier avec la partition des autres membres et le tout manque tout simplement d’âme. Alors que le groupe savait aller à l’essentiel auparavant, ici tout est prétexte à rajouter un riff ou une partie de chant clair inutile. Les expérimentations ne fonctionnent pas comme il faut, à l’image du chant rappé sur « Steal The Sun » et on se retrouve avec un album qui globalement manque sa cible.
On sait depuis longtemps que les Anglais peuvent se radoucir tout en conservant leur talent (« Modern Minds » pour ne citer qu’un titre) et ici des titres comme « Empire Of Silence » ou « Wide Awake » font bien pâle figure. Ne parlons pas de « Silence Speaks » même pas sauvée par l’anecdotique intervention d’Oli Sykes, dont le seul but semble être de faire découvrir WSS aux fans de Bring Me The Horizon.
Heureusement, tout n’est pas complètement noir. La deuxième partie de l’album notamment contient son lot de réussites avec « Hurricane » et « Civil Isolation », déjà sortis bien en amont et aussi « Revolt », joli retour à un son plus agressif. « Settle Down Society » séduit également et nous permet de retrouver le jeu caractéristique d’Adam Savage à la batterie. Sûrement le rouage le plus discret du groupe, son groove plane comme souvent sur tous les titres et écouter l’album en se focalisant sur son jeu est une expérience qui en vaut la chandelle.
Sur la conclusion « In Another Now » on retrouve enfin un groupe inspiré dans son évolution avec un riff presque post-rock joliment amené. Un peu tard malheureusement pour pallier à un contenu trop faible dans son ensemble. Ce qui fait le plus mal, c’est que While She Sleeps semble avoir perdu la capacité d’écrire des breakdowns efficaces. A plusieurs reprises ici, on a le droit à des montées en tensions inutiles avant que n’éclate un breakdown sous forme de pétard mouillé, comme sur « Civil Isolation » ou « Feel ».
Le problème n’est pas de faire des chansons complexes ou à tiroirs : il réside dans le fait que les cinq Anglais se sont pris pour ce qu’ils ne sont pas. Sean Long a certes un talent unique pour créer des mélodies, mais on peut légitimement se demander comment les titres tiendront la route en live. Qui a déjà vu While She Sleeps en concert sait que Mat Welsh a suffisamment de mal à chanter juste ses parties ce qui n’était pas dérangeant quand le crédo du groupe se trouvait dans l’efficacité. Sur You Are We, Mat a pris du galon et a presque éclipsé Loz Taylor en tant que chanteur principal, on peut donc légitimement craindre pour le résultat. Ceux qui aimaient le combo pour les sing-alongs plein d’émotions de « Seven Hills » peuvent lâcher l’affaire : ils ne trouveront rien de ce niveau ici.
Pour n’importe quel autre groupe que While She Sleeps, la note de cette chronique aurait sans doute été plus clémente. Mais comparée à Brainwashed ou This Is The Six, cette sortie fait pâle figure et semble refléter un état d’esprit moins humble qu’auparavant. Bien sûr, la galette possède son lot d’hymnes qui figureront certainement parmi les meilleurs de l’année, mais l’ensemble est long, inutilement complexe et surtout beaucoup moins abrasif que par le passé. En espérant que les performances live futures du combo nous contredisent.