Arkona – Khram

Un album plus agressif et plus dépressif, c’est ce qu’annonçait  Maria Arkhipova pour le nouvel opus d’Arkona. Quatre ans après Yav, qui avait déconcerté certains fans, et deux ans après un dispensable ré-enregistrement de leur premier album Vozrozhdeniye, les Russes reviennent donc avec Khram, un album sombre, brutal et complexe.

C’est dans son temple qu’Arkona a décidé de nous emmener, puisque telle est la signification de Khram, nouvel album des Russes. Un temple intérieur, un temple dédié à la nature, aux morts ou aux vivants, peu importe, expliquait la charismatique chanteuse Maria "Masha Scream" Arkhipova dans une récente interview.

A l’écoute, l’album semble en tous cas être un temple dédié aussi bien à la noirceur de l’âme qu’aux voyages épiques. Dès l’introduction, "Mantra", le groupe hypnotise les auditeurs, accueillis par des chuchotements rauques, gutturaux et vaguement inquiétants, comme venus d’outre-tombe. Puis les percussions, la basse, les instruments traditionnels viennent transformer ce morceau en invocation chamanique, Masha Scream alternant alors chuchotements gutturaux et voix claire puissante et hypnotique.

Si cette introduction pose des bases très pagan, elle n’est pas exactement représentative de l’album. L’aspect mystique est bien présent tout au long de l’opus et confère à la musique des atmosphères d’une grande beauté, mais les éléments traditionnels sont relativement mis en retrait, au profit d’arrangement lorgnant plus que par le passé vers le black metal. Cela s’entend dès le premier ‘vrai’ morceau, "Shtorm". Premier single sorti avant l’album, on peut y entendre une intro très agressive à coups de grosses guitares, de double pédale et de scream puissant. Au milieu de ce déluge, les instruments acoustiques sont en retrait, mais néanmoins bien perceptibles, comme la flûte et la vielle. En cinq minutes que dure le morceau, le groupe propose un mélange maîtrisé de passages brutaux, saturés et criés, et d’autres plus doux, que ce soit lors de breaks instrumentaux ou du final chanté d’une voix claire et chaude de toute beauté.
 


Toutes les chansons sont longues, comme le groupe avait commencé à le faire sur son précédent opus, Yav, qui en avait décontenancé certains. Cela permet d’installer de véritables atmosphères, tantôt oppressantes, tantôt épiques. Mais le morceau le plus long est aussi le grand morceau de bravoure, qui arrive dès le troisième titre, "Tseluya zhizn’" ("Embrasser la lumière"), un morceau de 17 minutes qui agrippe l’auditeur et ne lui laisse aucun répit. Le titre commence sur un rythme assez lent, avec les guitares en avant, et passe par plusieurs phases, un déluge saturé, des accélérations fulgurantes, une transe chamanique, des passages instrumentaux très slaves, une atmosphère de black mélodique, des incantations d’enfants (ceux d’Arkhipova)… Le texte narre en fait l’histoire de deux sœurs, La Vie et La Mort, qui se tiennent par la main dans une ronde éternelle ; pas étonnant alors d’avoir un morceau si foisonnant.

Au long de cet album, chaque instrument mérite qu’on s’y attarde : les puissantes guitares de Sergei "Lazar" Atrashkevich par exemple, qui proposent un jeu varié techniquement. La batterie d’Andrey Ishchenkoqui apporte également beaucoup de variations, et son jeu très rapide par moments donne une véritable furie à l’ensemble. La basse de Ruslan "Kniaz" Rosomaherov, elle, nous transporte dans des atmosphères sombres, violentes et envoûtantes.

Le groupe a toujours recours à différents instruments acoustiques joués par Vladimir "Volk" Reshetnikov et plusieurs invités – flûtes, vielle, cornemuse, violon, violoncelle, piano, et même tuba – et introduit également du clavier sur plusieurs morceaux. Bien que plus discrets que par le passé, ces instruments illuminent les mélodies, mettent en avant la mélancolie des morceaux, offrent un contrepoint à la violence de l’ensemble, ajoutent de la texture. Arkhipova expliquait qu’elle ne voulait pas les superposer à outrance comme dans Yav, ce qui fait qu’on n’entend guère plus d’un à la fois, leur permettant ainsi d’être plus identifiables.

Et que dire de la voix de Maria Arkhipova, majestueuse, qui passe aisément de cris gutturaux agressifs à une voix claire chaude et envoûtante, offrant un large panel de sons et d’ambiances. Les passages criés prédominent, mais cela ne l’empêche pas de montrer toutes les subtilités dont elle est capable, des chuchotements effrayants aux incantations mystiques.
 


Il y a, certes, une légère baisse de régime en milieu d’album, sur "Khram" ou le début de "V Pogonie Za Beloj Ten'yu", qui ne semblent pas apporter grand-chose à l’ensemble. Mais le disque est maîtrisé techniquement de bout en bout, et tout en gardant une grande cohérence atmosphérique, il offre une diversité dans la composition : on peut noter le piano sur "V ladonyah bogov", l’atmosphère très balade black metal atmosphérique de "Rebionok bez imeni", l’incantation a capella de "Volchitsa", majestueuse et hypnotique.

Si l’on pourrait regretter l’atténuation de l’aspect folk de la musique, l’évolution d’Arkona nous offre un disque impressionnant, sombre, atmosphérique, ensorcelant. Il se conclut sur une très courte outro, "Mantra", au même titre que l’introduction. En effet, au début de l’album, Masha Scream invite la déesse Mara, opposée à toute forme de vie, à nous emmener dans le Nav, le monde obscur, et jette ainsi une malédiction aux auditeurs. A la fin de l’album, elle nous délivre de la malédiction en nous permettant de retourner dans le monde des vivants. Si l’écoute de Khram n’est effectivement pas de tout repos, recevoir une telle malédiction s’apparente en définitive plus à une bénédiction pour laquelle on peut remercier les Russes.

black metal, pagan metal, folk metal, russie,Tracklist
1- Mantra (Intro) 03:51
2- Shtorm 05:11
3- Tseluya zhizn' 17:11
4- Rebionok bez imeni 11:58
5- Khram 09:50
6- V Pogonie Za Beloj Ten'yu 07:48
7- V ladonyah bogov 09:15
8- Volchitsa 08:02
9- Mantra (Outro) 00:54

Sorti le 19 janvier 2018 chez Napalm Records.

NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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