Loin des sentiers battus, le groupe français Nord se joue des codes et des genres avec son second album, The Only Way to Reach the Surfacequi sort via Klonosphere et Season of Mist. Le quatuor inspiré et audacieux livre un opus riche et inclassable, et pourtant plein de cohérence et de modernité.
Que cache l'appellation générique 'post rock / metal progressif / math rock' utilisée pour décrire le son du combo, dont les membres sont originaires de région parisienne et des Hauts de France ? La réponse est nette sur ce deuxième opus : une véritable explosion de sons et d'influences, preuve d'un esprit aventureux et d'un élan créatif salvateur.
Une prise de risque assumée pour Nord qui se lance dans le funambulisme en s'aventurant dans des mélanges parfois peu évidents. Là où tout est question d'équilibre, pas facile de s'ajuster sur certains morceaux – ou transitions entre les morceaux, et la formation s'attaque à ce défi avec une technique désarmante.
Joueurs, les musiciens de Nord manient l'imprévisible avec brio. À peine est-on séduit par la subtilité de l'élégant "Love", titre atmosphérique qui ouvre l'album que nous voilà agressés, sans transition, par un déchaînement de brutalité dans les premières mesures du titre suivant, "Violent Shapes", premier single présenté par le quatuor. Cette association schizophrénique de légèreté mélodique, de mathcore et de gros riffs, est tenue sur le fil par l'association impeccable et omniprésente de Romain Duquesne à la basse et de Thibault Faucher au blast beat. Un travail d'orfèvre !
Comme on pouvait le redouter, certains enchaînements ou expérimentations manquent légèrement de clarté, et peuvent désarmer. Ainsi, le contraste est net entre le très court et doucereux "Happy Shores" et l'intro bombastique de la piste suivante, "Anger Management", qui se révèle étrange et très technique. On est comme déstabilisé par le chant clair assez distant ou l'arrivée inattendue et solennelle de passages à la trompette. Seul le puissant growl final de Florent nous raccroche au train, peut-être un peu tardivement.
Niveau dosage, la coupe pop est bien - trop ? - remplie sur le morceau-éclair "Circular Haze", malgré une mélodie agréable au violoncelle. C'est à peine moins pop-dosé sur le titre énigmatique "1215225, Part 2" où résonne une synthwave assez mélancolique. La rythmique est toujours excellente sur ce morceau tutoyant le prog à la Leprous sans jamais vraiment transformer l'essai.
De toute évidence, c'est plutôt dans la puissance et l'intensité que les compositions de Nord font vraiment mouche, et que les subtilités de jeu des quatre musiciens éclatent réellement, servies par une solide production (The Only Way to Reach the Surface a été enregistré, mixé, et masterisé dans les Hauts de France au Boss Hog Studio par Clément Decrock).
L'audace de Nord est à son comble dans l'irrésistible (et bien nommé) "The Unstoppable", pépite post hardcore énergique alliant batterie ravageuse et gros chant crié (avec la participation de Désiré Le Goff de Nesseria), virtuosité matheuse et violence des riffs dans le jeu impressionnant de Florent Gerbault et Manuel Dufour. En ajoutant quelques passages de folie expérimentale et des lignes vocales tenant autant de Matthew Bellamy que de Sam Carter, nos alchimistes ont cette fois trouvé un dosage précis et curieusement efficace, terriblement moderne, dans l'esprit de Dance Gavin Dance par exemple.
Une autre belle claque arrive sur le très prog "We Need to Burn Down This Submarine", oppressif et lourd, où la tension est palpable. Les accords de synthé new wave et le chant clair dépressif viennent nous hanter entre deux passages tout en retenue, curieusement funky, et des explosions de violence, où se superposent les couches de riffs et le scream agressif. Ce titre singulier trouve par aileurs son pendant, sa suite logique, dans le superbe final de l'album, le morceau-titre.
Quelle conclusion magitrale nous offre Nord dans les quinze minutes de "The Only Way to Reach the Surface" ! Une fois le sous-marin brûlé, la remontée à la surface s'amorce dans ce morceau à la complexité lumineuse. Happé dans cet irrésistible mouvement vers le haut, l'auditeur retrouve de la clarté dans ce qui pouvait sembler confus auparavant.
Le quatuor a habilement placé la clé de lecture de l'opus tout entier dans cette ultime piste à la mélodie imparable, aux enchaînements soignés, véritable œuvre prog complexe mais limpide. Les riffs lancinants et passages math rapides laissent place aux passages atmosphériques, pop, ou à de la lourdeur toute hurlée. Sur des passages jazz, rock, aériens, des harmonies, un cri organique et saturé et une parfaite superposition du chant, des guitares, des lignes rythmiques, ce final épique, teinté de la délicatesse des quelques notes de piano en point d'orgue, reste dans les esprit, si bien qu'on ne peut que pardonner bien facilement à Nord ses précédentes incartades.
De la créativité et de la fraîcheur à revendre, voilà les atouts de cet album polymorphe, efficace et marquant, fruit d'un élan aventureux de quatre garçons dans le vent - du Nord, bien sûr - ayant osé la violence, la folie maîtrisée, et les mélodies accrocheuses.
The Only Way To Reach The Surface - liste des titres :
I. Love
II. Violent Shapes
III. Circular Haze
IV. The Unstoppable
V. Happy Shores
VI. Anger Management
VII. We Need To Burn Down This Submarine
VIII. 1215225, Part 2
IX. The Only Way To Reach The Surface
The Only Way to Reach the Surface de Nord sort en digital le 17 avril 2020 via Season of Mist et Klonosphere.