En presque trente ans d’activité, Katatonia n’a fait aucun faux pas. Trois décennies d’évolution, d’expérimentation et de métamorphose nous ont amené à City Burials, et quelle évolution. Délaissant son esthétique brutale au début des années 2000, Katatonia a depuis sereinement chaviré dans un registre progressif envoutant, nourri d’une funeste placidité. Mais le parcours de la formation suédoise n’a rien d’un long fleuve tranquille.
Gouverné par un véritable jeu des chaises musicales, le groupe a vu ses membres aller et venir à de nombreuses reprises et s’est trouvé contraint de revoir sa dynamique musicale en conséquence. En 2016, alors que la tournée de The Fall of Hearts touchait à sa fin, Katatonia annonçait un hiatus de durée indéterminée afin de permettre à ses membre de méditer sur leurs perspectives d’avenir. L’arrivée de City Burials était donc inespérée pour certains, mais les quelques apparitions du groupe en festivals avait pour tout dire nourri l’espoir de revoir un jour Katatonia faire son grand retour en studio.
Si à sa sortie "Lacquer" avait de quoi surprendre par sa base musicale exclusivement électronique, cette expérience ne s’est pas transformée en une constante de l’album. Harmonies et fioritures électroniques mises à part, rien ne semble avoir réellement changé depuis The Fall of Hearts. Katatonia explore toujours les mêmes sonorités aux textures multiples, les mêmes voies d’expression de la tristesse, de la douleur et de la mélancolie au travers un rock progressif déchirant.
Difficile pourtant de reprocher à la formation suédoise de poursuivre ses ouvrages d’une telle manière, car exiger une évolution radicale serait ignorer la brillance qui jaillit de ses dernières productions. City Burials est en effet le digne héritier de The Fall of Hearts, avec toutes les qualités et les quelques défauts qui vont avec, mais ne s’avère pas moins savoureux. Mieux qu’une sensation de déjà-vu, City Burials se révèle en réalité être une madeleine de Proust, dont le souvenir ne cesse de tapisser les pensées. Y revenir sera toujours un plaisir, jamais une déception.
Et si "Behind The Blood" parait tout à fait convenue, voire insipide au regard du reste des morceaux de l’album, le tout ne s’en voit que très peu terni. Cela est permis par le caractère justement organique de cet opus qui se dévore d’un bout à l’autre sans le moindre effort. La progression est maintenue par une impressionnante fluidité qui fait de chaque morceau un objet relevant de l’évidence. « C’est du Katatonia » se dit-on tout du long, avec le sourire que cela implique généralement.
Le groupe dévoile à nouveau toute sa dextérité et propose un ensemble de compositions portées par un sublime panel d’émotions. Jonas Renkse (chant) se livre dans une tessiture de plus en plus ample et flexible qui lui permet de tâter quelques nouvelles notes aigües pour proposer des climax toujours plus exaltants, tels que ceux de "Rein", "Fighters" ou "Behind The Blood", sans jamais compromettre la pureté et la subtilité des émotions qu’il s’est habitué à transmettre. Plus personnels que jamais, les morceaux qui constituent City Burials mettent en regard la consistance émotionnelle de perte, de la ruine et, plus particulièrement, du passage du temps.
Katatonia tutoie cette complexité avec un étrange sens de la sobriété et embaume de ce fait ses compositions d’une allure brute et sincère. "Lacquer", "Vanishers" et "Flicker" évoluent ainsi dans une forme d’austérité qui sert à merveille l’intention des musiciens. Les riffs mathématiques qui ont su faire la gloire du groupe ne se sont toutefois pas fait la malle. Ils s’invitent tout au long de l’album et viennent ajouter leur zeste de grandeur aux refrains entêtants portés par la voix de Renkse.
Certains reprocheront bien sûr à Katatonia ses dérives électroniques, les jugeant inutiles voire incommodes, mais ce sont bel et bien ces harmonies électroniques qui, à la manière de Cult of Luna, permettent au groupe d’implémenter une magnifique dynamique cinématographique à ce nouvel opus. Katatonia a en effet trouvé en ces motifs électroniques un moyen de porter sa capacité à bouleverser à un degré supérieur, d’aiguiser une nouvelle fois son style, et ce dans une cohérence que l’on ne peut que féliciter.
Malgré la tourmente, Katatonia reste fort sur ses appuis et continue de proposer une musique au caractère tout à fait unique, définie par la tristesse et la grâce. City Burials est assurément l’un des albums les plus puissants que le groupe ait pu nous offrir depuis très longtemps. À la croisée des chemins de Dethrowned and Uncrowned et de The Fall of Hearts, ce nouvel album confirme que Katatonia est encore loin d’avoir épuisé toutes ses ressources et que le groupe nous réserve encore un bel avenir.
City Burials est sorti le 24 avril 2020 via Peaceville Records.
Tracklist:
1. Heart Set To Divide
2. Behind The Blood
3. Lacquer
4. Rein
5. The Winter Of Our Passing
6. Vanishers
7. City Glaciers
8. Flicker
9. Lachesis
10. Neon Epitaph
11.Untrodden