De la scène doom / stoner de ses débuts au metal progressif teinté de rock psychédélique, Elder n'a cessé de se réinventer au fil des sorties de cinq albums et autant d'EP ou projets annexes. Une renaissance perpétuelle pour cette formation originaire du Massachusetts, capable de manier avec autant de talent riffs pachydermiques et promenades atmosphériques. Avec le concept-album Omens, Elder trouve une nouvelle voie, unique et organique : celle de la contemplation lumineuse.
Et si, curieusement, la meilleure solution pour lutter contre l'apathie et la déprime ambiante en ces temps troublés n'était autre qu'un concept-album sur le déclin d'une civilisation moribonde ?
Le voyage proposé par Elder à travers cinq morceaux seulement emmène l'auditeur pour presque une heure de pérégrinations à travers des paysages à la fois modernes et retro. Chaque long titre est son propre voyage, et même si la ligne narratrice évoque l'extinction imminente d'une civilisation, jusqu'à la fin, Omens se révèle une écoute positive, lumineuse et puissante.
C'est un renouveau qui a touché d'abord le groupe lui-même, désormais composé de quatre membres. L'arrivée de Georg Edert à la batterie et d'un second guitariste en la personne de Michael Risberg ne pouvait qu'augurer une évolution dans l'identité musicale du groupe. Une évolution, certes, mais pas un virage complet, chaque album passé d'Elder ayant marqué une sorte de glissement par rapport au précédent. Si le premier opus éponyme en 2008 était fortement marqué par le metal heavy / doom avec des touches de stoner, ici avec Omens c'est un peu l'inverse qui ressort d'une première écoute : l'ensemble oscille grandement entre le stoner et le psychédélique, pour un effet très progressif, avec quelques touches doom et des riffs heavy occasionnels, qui sont davantage présents pour servir l'intensité du message que pour imposer de la force ou de l'agressivité.
Les mélodies et textures denses se superposent, et une évidence s'impose : la rareté du chant. Tous les morceaux pourraient être des instrumentaux sans perdre de leur richesse. Rare et mesuré, le chant de Nicholas DiSalvo se fait expressif, avec juste assez de distorsion pour porter la ligne narratrice avec intensité. C'est en réalité par les jeux de guitares, impressionnants de richesse, qu'Elder trouve sa première voix.
Il émane de l'album un air de nostalgie, la puissance toute psychédélique et les superpositions de guitares rappelant le hard rock à la Rush – période progressive. Un effet foisonnant, lumineux, ressort des jeux permanents sur les nuances. La piste d'ouverture, "Omens", repose sur un groove impressionnant porté par Jack Donovan à la basse, et les superbes riffs de Nicholas DiSalvo et Michael Risberg, délivrés subtilement après une introduction au piano. Sur l'ensemble du disque, les claviers sont d'ailleurs bien mis à l'honneur avec la participation de Fabio Cuomo, invité omniprésent, quasi-cinquième membre du groupe tellement les mélodies énergiques ou planantes des synthés sont une sorte de ligne directrice menant encore plus à une atmosphère seventies soignée et délicate. Il est à noter qu'Omens a été enregistré en France, au Studio Black Box, par Peter Deimel et Etienne Clauzel.
Les Américains excellent dans l'art des transitions, et les breaks progressifs psychédéliques emmènent l'auditeur encore plus loin dans son voyage. Ainsi, dans le très rock "Embers", Elder chante un monde qui se consume, mais sur un heavy stoner au tempo enlevé dans les premières minutes, suivi de parties instrumentales démentes allant jusqu'au dépaysement du sitar...
Sur une base gros riffs et passages psychédéliques, Elder s'autorise des expérimentations qui donnent à chaque titre son identité propre. Le voyage épique des 13 minutes d'"Halcyon", morceau presque entièrement instrumental, présente une densité très singulière, avec des couches instrumentales démultipliées, comme interminables, avant un énorme riff final. Pink Floyd des temps (pas si) modernes, les quatre musiciens s'aventurent dans une longue intro électro-space rock où les guitares aériennes provoquent par ailleurs un sentiment de flottement très propice à la contemplation.
Une cohérence se révèle entre les compositions et la ligne narrative du concept-album évoquant la menace d'une extinction imminente. La surpenante deuxième partie de "In Procession" est marquée par une montée en puissance vers une explosion à la rythmique audacieuse, mimant cette civilisation marchant tout droit - en procession, donc - vers sa chute. "One Light Retreating", ultime piste de Omens, est l'histoire d'une fin, mais à bien y regarder, c'est l'espoir et l'énergie qui prédominent. Point d'obscurité apocalyptique dans ce final, mais plutôt une énergie, celle des riffs et du tempo vif, avec une outro spatiale assez positive, telle une lueur d'espoir en conclusion de ce voyage ni lugubre ni joyeux, simplement dépaysant.
Puissant et ambiant à la fois, comme enveloppant, Omens marque les esprits par sa cohérence et sa singularité. Elder signe ici un travail d'orfèvre, nuancé et nostalgique, surprenant parfois, à réécouter et à apprécier encore et encore.
Omens tracklist :
1. Omens (10:52)
2. In Procession (09:53)
3. Halcyon (12:48)
4. Embers (10:47)
5. One Light Retreating (11:13)
L'album Omens d'Elder est disponible depuis le 24 avril via Stickman Records ou sur le bandcamp du groupe.