Masters of Horror, pour certains ce terme rappelle une série américaine, mais il peut facilement être associé aux Néerlandais de Carach Angren. En effet, pour leur sixième effort, Franckensteina Strataemontanus, les musiciens continuent leur épopée horrifique au sein de leur black metal symphonique. La force du groupe est d’allier théâtralité et compositions orchestrales majestueuses ; il fait partie de ceux qui nous emmènent dans un univers visuel avec pour seul sens l’ouïe.
Johann Conrad Dippel, théologien, alchimiste et médecin allemand, était connu pour avoir effectué des recherches et des expériences en vue de créer un élixir de vie. Ayant vécu au château Frankenstein en Allemagne, son histoire a inspiré Mary Shelley pour son oeuvre Frankenstein.
Dennis "Seregor" Droomers étant passionné par le monde de l'horreur, il s'est également inspiré de l'histoire du monstre de Frankenstein pour écrire cet album. Clemens "Ardek" Wijers est comme de coutume responsable de l'orchestration, lui qui a déjà composé pour Till Lindemann, Pain, ou Ex Deo. Le duo est accompagné pour la dernière fois dans cet opus par Ivo "Namtar" Wijers à la batterie, celui-ci ayant quitté le groupe début 2020, pour des raisons de désaccord avec le business musical actuel.
L'artwork nous plonge déjà dans un univers malaisant avant même d'écouter la musique. Stefan Heilemania réalise ici une pochette glaçante et très bien réussie représentant probablement la paillasse d'un savant avec ça et là des crânes ou des ossements, des animaux vivants ou morts (fouine, chauve-souris). Il signe une autre image avec cette fois-ci Seregor et Ardek comme acteurs et expérimentateurs auprès du corps inerte d'une jeune femme recousue à la poitrine...
Frankensteina Strataemontanus présente une hétérogénéité presque déconcertante au fil de l'écoute, mais qui fait finalement sa force. La façon dont il commence par sa narration avec "Here In German Woodland" confirme le côté cinématographique que Carach Angren affectionne tant. L'atmosphère créée par les choeurs et le clavier, et même les oiseaux, suivis de près par la double pédale de Namtar assez rapidement dans "Scourged Ghoul Undead" promet un enregistrement riche en diversité et en rebondissements.
Beaucoup de morceaux comprennent des nappes orchestées au clavier et une ambiance nous plongeant droit dans des films d'horreur : les différents samples de "The Necromancer", "Operation Compass" et les sons représentant des voix horrifiques, des rires démoniaques, des murmures, etc. dans des morceaux comme "Monster", "Der Vampir von Nürnberg" ou "Frederick's Experiment". Une comparaison assez rapide avec des films de Tim Burton est évidente : le chant typique d'Un Etrange Noël de Monsieur Jack dans "The Necromancer" ou la musique digne de Danny Elfman dans "Like A Conscious Parasite I Roam".
Des mélodies sortant un peu de l'ordinaire même pour un groupe de black metal symphonique sont bienvenues dans cet album avec une mention spéciale aux touches folkloriques apportées par le violon de Nikos Mavridis dans les morceaux "Sewn For Solitude" et "Like A Conscious Parasite I Roam". On retrouve une musique joyeuse de cirque dans l'introduction de "Der Vampir Von Nürnberg" qui fait presque penser à Avatar. La plupart des mélodies au clavier sont jouées à la perfection par Ardek ; les parties de piano de "Like A Conscious Parasite I Roam" sont excellentes avec le contraste entre l'intro où la main droite joue une mélodie tandis que la main gauche se contente de quelques notes et l'interlude où c'est la main gauche qui joue tandis que la main droite présente plus de simplicité. Le premier single "Monster" commence crescendo par des sons stridents qui rappellent sans effort le titre "Charlie" de l'album Dance And Laugh Amongst The Rotten.
Techniquement, tout est réalisé avec minutie, que ce soit les fûts pilonnés par les baguettes de Namtar au rythme de ses blast beats, les lignes de basse vraiment propres, les jeux de guitares agiles (nous apprécions particulièrement ceux-ci dans le morceau "Skull with A Forked Tongue" avec l'usage d'harmoniques artificielles dans un riff assez prenant et le côté thrashy lors de l'accélération du morceau, et même un court solo, le seul de l'album avec "Like A Conscious Parasite I Roam"). Seregor n'est pas en reste avec sa voix multi-tâches. Il passe en effet d'un chant murmuré, à un chant extrême black voire death ("Frankensteina Strataemontanus"). Ardek propose un chant gothique presque romantique rappelant Moonspell ("Sewn For Solitude"). Les différents choeurs masculins présents sur quelques morceaux sont un incontournable de Carach Angren qui apportent une force supplémentaire aux mélodies.
Les paroles sont évidemment plus effroyables encore que la musique, c'est là tout l'intérêt du thème de l'horreur. Pas de sujet tabou dans ce domaine, notamment quand il s'agit d'un jeune garçon enterré qui revient à la vie, attaque sa famille et la dévore ("Scourged Ghoul Undead") ou l'histoire vraie d'un nécrophile ("Der Vampir von Nürnberg"). Beaucoup de morceaux traitent de Dippel et de ses expériences, mais certains sortent du lot, comme "Operation Compass" où il est question de l'huile qu'a inventé Dippel devenue une arme chimique pendant la Seconde Guerre mondiale en Afrique. La description des différents types de monstres dans "Monster" fait hérisser les poils, tandis que le monstre qui n'a pas demandé à vivre et se sent seul ("Sewn For Solitude") laisse un sentiment de pitié. Le dernier morceau, hors bonus, parle de Dippel qui a presque atteint son objectif mais qui finalement se décompose et a besoin d'une âme innocente pour refaire surface... ce même jeune garçon dont il est question au début de l'album...
Frankensteina Strataemontanus est un album riche en diversité, très réussi de par sa technique, son orchestration magnifique et ses paroles recherchées. Le fan de la nouvelle théâtralité appuyée depuis le précédent album aimera sans aucun doute le morceau le plus complet et épique, à savoir "Like A Conscious Parasite I Roam" tandis que le fan du Carach Angren plus brut de décoffrage se ravira de morceaux comme "Scourged Ghoul Undead" ou "Skull With A Forked Tongue". C'est là un chef d'oeuvre auditif que nous offrent les Hollandais, à l'aide duquel notre esprit humain nous permet de nous immerger dans l'univers monstrueux d'un savant fou et démoniaque.
Tracklist :
1. Here In Germand Woodland
2. Scourged Ghoul Undead
3. Frankensteina Strataemontanus
4. The Necromancer
5. Sewn For Solitude
6. Operation Compass
7. Monster
8. Des Vampir Von Nürnberg
9. Skull With A Forked Tongue
10. Like A Conscious Parasite I Roam
11. Frederick's Experiment (bonus)
Sortie le 21 mai 2020 via Season Of Mist