Deux ans après Phanerozoic I, The Ocean est de retour et présente le second opus du diptyque inspiré des dernières grandes ères de l'évolution géologique. Huitième effort d'une discographie riche d'albums-concepts aux thématiques paléontologiques, Phanerozoic II: Mesozoic | Cenozoic donne la part belle à l'exploration et l'expérimentation, confirmant cette nouvelle ère dans l'histoire du collectif allemand qui entre dans sa vingtième année. C'est une plongée sensorielle, aux frontières du post metal, du prog et de l'atmosphérique que propose The Ocean, sous la forme d'un exercice de style osé, déstabilisant parfois, mais magistral dans son exécution.
La genèse des deux opus du diptyque consacré au Phanérozoïque s'est faite il y a plusieurs années, et à la sortie du premier album en 2018 (Phanerozoic I: Palaeozoic), The Ocean avait déjà enregistré les parties de batterie de ce qui deviendrait Phanerozoic II: Mesozoic | Cenozoic. Impossible donc de ne pas voir et sentir des échos entre ces deux disques, en témoigne l'omniprésence des références aux différentes ères de l'histoire de la planète Terre. Mais Phanerozoic II possède une identité bien différente, organique et expérimentale, profondément « progressive » dans la variété des influences et des atmosphères présentées dans ces huit titres couvrant cinquante minutes de musiques – et des millions d'années d'évolution géologique.
Expérimental et varié, Phanerozoic II présente dans chaque morceau un univers complètement singulier. Chaque titre a son cheminement, son histoire (sa pré-histoire), et il semble que bien peu de choses lient les morceaux entre eux, si ce n'est l'importance des mélodies et le jeu permanent avec les orchestrations, les différentes couches d'instruments ou de voix.
Capable de montagnes russes au niveau vocal et atmosphérique dans "Miocene Pliocene", oscillant entre hurlements déchirants et chant clair aérien du vocaliste Loic Rossetti, The Ocean expérimente, s'aventure dans des contrées lointaines, comme sur le nuancé "Triassic" où la basse doom tutoie des percussions orientales sur un riff pugnace rappelant Gojira. Le doux "Eocene", où le chant prend le lead avec des jeux d'échos, va même jusqu'à nous faire douter un instant : s'agit-il vraiment du même groupe ?
Les structures des morceaux, les paroles, l'ordre des titres, tout dans Phanerozoic II prend son sens dans l'évocation du temps et de l'évolution de la Terre. Les âges de la planète se succèdent, de l'expérimental "Triassic", la première piste, au plus mélodique "Holocene", conclusion correspondant à « notre » actuelle ère géologique, dans lequel se mêlent subtilement la dureté des riffs inquiétants, de superbes lignes de basse prenant – enfin – le dessus, du violoncelle, et le chant doux de Paul Seidel, batteur mais aussi compositeur pour plusieurs morceaux et vocaliste pour ce titre.
L'ambiance se fait bien plus sombre dans l'hypnotique "Pleistocene", au piano lancinant, sur le fil encore une fois entre de l'aérien et des riffs puissants. Les parties lentes et le chant clair, évoquant presque Muse sur certains accords, se muent progressivement en attaque intense pour glisser, comme naturellement, vers une conclusion complètement black metal, malsaine et froide à l'image des ère glaciaires évoquées ici. Difficile de ne pas être surpris mais complètement soufflé par la structure de ce morceau, son final magistral et la prestation vocale impressionnante de Loïc Rossetti.
The Ocean et sa tête pensante Robin Staps (guitare) nous réservent une autre surprise avec "Palaeocene", titre éminemment progressif - voire bipolaire... Le début respire l'agression et les riffs pachydermiques à la Mastodon, et les cris intenses de l'invité Tomas Hallbom (Breach) amènent une tension post-hardcore, avant de laisser place à un tempo jazzy ambiant où la basse et la guitare acoustique s'accompagnent de chuchotements doux.
Terminons sur le monument de l'album, "Jurassic | Cretaceous", épopée prog de treize minutes à la construction dynamique, comme entre deux mondes, d'ailleurs composée de deux morceaux presque distincts. Voix et riffs se répondent d'abord dans la douceur des couplets puis dans la force des refrains agressifs. L'esprit de Tool règne dans ces va-et-vient entre puissance et mélodies portées par les guitares, via des lignes orchestrales (les cuivres s'intégrant parfaitement dans ce crescendo massif), tantôt modernes, tantôt tribales. Un pont mène ensuite à l'autre rive, à l'ère suivante, où la voix angélique et reconnaissable de Jonas Renkse (Katatonia) conduit l'auditeur, avec force et mélancolie, vers une superbe montée en puissance à la rythmique phénoménale, pour une conclusion en fracas mimant l'impact d'une météorite sur la planète, précipitant l'essentiel de la vie sur Terre vers l'extinction.
Comme à chaque nouvelle sortie de The Ocean, l'auditeur se trouve à la fois séduit et déstabilisé, presque bousculé, par la lecture d'un album si foisonnant. Et pourtant, si le fil conducteur entre les morceaux peut sembler ardu à trouver, il n'en reste pas moins que les compositions de Phanerozoic II se révèlent épiques, monumentales et mémorables. Cet excellent opus se distingue de son prédécesseur par son audace, un excellent mix, et une puissance organique qui va bien au-delà de la musique. En s'affranchissant des règles, le collectif allemand conforte sa place méritée parmi les maîtres du metal progressif moderne, et pose une nouvelle définition d'une identité aussi insaisissable que forte.
Liste des titres de Phanerozoic II: Mesozoic | Cenozoic :
1. Triassic
2. Jurassic | Cretaceous
3. Palaeocene
4. Eocene
5. Oligocene
6. Miocene | Pliocene
7. Pleistocene
8. Holocene
Line-up The Ocean :
Loïc Rossetti - chant
Robin Staps - guitare
David Ramis Åhfeldt- guitare
Paul Seidel - batterie
Mattias Hagerstrand - basse
Peter Voigtmann – synthés
L'abum Phanerozoic II: Mesozoic | Cenozoic, de The Ocean, sort le 25 septembre 2020 via les labels Metal Blade et Pelagic.