Moonspell – Hermitage

Bientôt trente ans d’existence pour les Portugais de Moonspell, toujours soucieux d’expérimenter, quitte à surprendre, sans s’installer dans une routine répétitive et rassurante. Trois ans après l’album-concept historique 1755, entièrement en portugais, l’iconique formation présente aujourd’hui son treizième opus, Hermitage, et se lance dans l'exercice périlleux de jouer avec la temporalité, habillant des thématiques post-apocalyptiques d’une enveloppe sonore tout en nostalgie, marquée par les années 70, pour un résultat irradiant de maturité et de liberté.

L’ermitage dont il est question ici est une métaphore, mettant en scène des ermites atemporels, quittant la ville et la civilisation pour une retraite spirituelle dans le désert. En filigrane, règne cette idée d’un monde détruit, d’une société où les hommes ont chaviré du côté obscur, devenant esclaves du matérialisme, de l’intolérance et de l’individualisme. C’est ce monde en train de se noyer qui est le théâtre d’Hermitage, qui ne donne cependant pas uniquement dans la noirceur et le désespoir. Le cheminement proposé à travers les dix titres s'agrémente de quelques passages lumineux, signes qu’un espoir ou qu’un changement est toujours possible. 

Du solennel, de la désillusion, voici pourtant ce qui semble flotter au-dessus du premier single "The Greater Good". Le propos d'Hermitage prend toute sa profondeur dans cette piste d’ouverture riche, nuancée, surprenante par sa structure et les subtilités qu’elle offre, dans les dialogues entre les claviers de Pedro Paixão et la guitare de Ricardo Amorim, et la force du refrain chanté par Fernando Ribeiro. La montée en puissance se fait fuyante, et le titre se distingue dans les contrastes, avec le chant clair et doux décrivant l’inexorable responsabilité des hommes dans la destruction de toute forme de tolérance ou de paix, avant l’arrivée du cri presque animal porté par une instrumentation solennelle. Sorte d'ironie ultime, cet amer constat de l'ineptie du monde, illustré par des images d'archives dans le clip, fait l'objet d'un avertissement... 

L’ermitage n’a rien d’une promenade directe, ni facile, et l’album du même nom emmène l’auditeur à travers des contrées et univers très variés. Porté par un élan de liberté créatrice, le quintette ose surprendre, force l’oreille à s’adapter, à ne pas s’arrêter à un genre ni à une voix. Cela commence, certes, par des morceaux accrocheurs et modernes soulignés par le chant clair et profond de Fernando. Dans une sorte de clin d’oeil à des albums comme ExtinctMoonspell offre une piste aussi efficace que rassurante : le single catchy-dark-goth "Common Prayers" est une démonstration d’aisance dans ce registre du metal gothique aux paroles sombres et au refrain entêtant. Il y a de la force, de la virilité même, et un petit air de Bathory (influence revendiquée par Moonspell) dans le puissant hymne metal "The Hermit Saints". Les trois voix de Ricardo, Pedro et Fernando se mêlent en harmonie dans l’intro et le refain de ce titre intense marqué par la rugosité des riffs et du chant souligné par des chœurs.


En s’aventurant davantage dans l’opus, il est impossible de ne pas être frappé par l’audace et la créativité de Moonspell, qui se lance ici corps et âme dans une aventure progressive. Ce ne sont pas des touches discrètes mais bien une démonstration de grand Prog : entre sonorités futuristes, jazzy et atmosphériques, "Entitlement" fait éclater les mélodies portées par le chant clair, les accords intenses de guitare et une rythmique tout en nuances. Saluons ici la très belle prestation du batteur Hugo Ribeiro, nouveau venu dans le groupe mais parfaitement à son aise sur tout l’opus pour délivrer des lignes tantôt subtiles tantôt puissantes.

L’expérience de Moonspell parle, et l’air se fait plutôt nostalgique, souligné par la basse d’Aires Pereira, toujours bien haute dans le mix très seventies, et surtout ces nappes de synthés omniprésentes, notamment pour des intro éthérées ou des ponts atmosphériques accentuant cette idée d’une pérégrination. Claviers et guitares trouvent leur voix dans l’instrumental "Solitarian", doux et contemplatif, aux riffs doom embrassant l’atmosphère psychédélique, ou dans le contemplatif et puissant "Apophtegmata", où les couplets plutôt new wave finissent par libérer des riffs lourds et monumentaux et la distorsion dans les lignes vocales.

La structure du bien nommé "Without Rule" se fait également très progressive, des murs de synthés inquiétants à la Pink Floyd à la navigation entre stoner désertique et passages space rock aux teintes psychédéliques très seventies, avant un refrain heavy menaçant et un solo retro. Comme libérée de toutes contraintes, la formation décline ici sa créativité en diverses teintes, confiante sur la capacité des fans à suivre ces chemins plutôt osés mais finalement pas si éloignés que cela, si l’on pense par exemple au magistral "Full Moon Madness", ultime piste de l’opus Irreligious sorti en 1996.

Moonspell, Hermitage, nouvel album, 2021, dark metal

Sur le monumental "Hermitage", aux riffs de guitares lourds et doomy à souhaits, le chant rugueux de Fernando accompagné de chœurs évoque un côté urgent, comme si le monde se disloquait. Cet hymne brille également par sa subtilité, un solo gilmourien venant se poser sur une couche de synthés très aériens avant le retour de l'instrumentation grandiloquente. Il est fort à parier que ce morceau cinématographique et puissant rendrait formidablement bien en live. 

L'un des atouts d'Hermitage est l'indéniable qualité de la production de Jaime Gomez Arellano (Paradise Lost, Primordial, Ghost,...), qui a travaillé les arrangements en façonnant un son massif et cette atmosphère caractéristique du space rock des années 70, basse et synthés en avant. On regrette juste de ne pas avoir assez l’accent sur le timbre profond de Fernando en voix claire dans les passages les plus doux. 

Les Portugais réussissent à faire leurs des univers qu’ils n’avaient pourtant jamais explorés jusque là. Comment ne pas être à la fois convaincu et surpris par les accords blues du lascif "All Or Nothing", impressionnant de délicatesse, d'émotion et d’intensité, rappelant parfois des passages doux d'Opeth ? Les caresses des guitares et de la basse accompagnent le chant suave du vocaliste, à l’aise également dans ce registre inédit pour le groupe, et c’est à ce moment que l’on comprend que le glissement opéré par le quintette n’est pas un revirement, mais plutôt une navigation organique, instinctive, affirmation d’une liberté assumée.

Aux fans réclamant un retour aux origines, la formation portugaise apporte une réponse nuancée, effleurée, en proposant non pas une solution monolithique, mais bel et bien une synthèse de ce qu’elle a fait de mieux, et bien plus encore. Hermitage ne tranche en rien avec la discographie de Moonspell, et s'élève même bien haut dans celle-ci, reprenant ce qui fait le son du groupe, son identité propre, tout en l'enrichissant de son expérience, sa maturité, et de son talent - un talent que les Portugais affirment ici sans vantardise et exposent sans orgueil.

Voici un opus qui a le pouvoir de charmer sans pour autant dévoiler immédiatement ses clés de lecture. L'auditeur est emmené d'un univers à un autre et doit avoir cette démarche toute prog(ressive) de découverte et de compréhension. Hermitage s'impose comme une surprise, un aboutissement, un monument même, dans l’expression éclatante d’une créativité sans limite, d’une maîtrise des mélodies et des atmosphères assortie d’une versatilité impressionnante sans jamais dévier de son propos. 

Moonspell signe ici un album varié, magistral sans être poseur, construit avec soin dans chaque ligne de synthé, chaque riff, chaque atmosphère, pour accompagner l’auditeur dans son ermitage intérieur, son confinement personnel, son jardin secret.

Line-up Moonspell :

Fernando Ribeiro – Chant
Ricardo Amorim – Guitare, Chœurs
Pedro Paixão – Claviers, Guitare
Aires Pereira – Basse
Hugo Ribeiro – Batterie

Liste des titres d'Hermitage :
 
1. The Greater Good
2. Common Prayers
3. All or Nothing
4. Hermitage
5. Entitlement
6. Solitarian
7. The Hermit Saints
8. Apophthegmata
9. Without Rule
10. City Quitter (Outro)
+ Bonus (disponibles sur Deluxe Box)
11. Darkness in Paradise (Reprise de Candlemass)
12. The Great Leap Forward 

Hermitage de Moonspell sort le 26 février via Napalm Records

Crédits photos : Rui Vasco

NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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