Witherfall est un de ces groupes qui marque immédiatement. Dès leur premier CD Nocturnes & Requiems, datant de 2017, les Américains font preuve d’un son unique et d’une approche du heavy metal tant agressive que rafraichissante. Entre thrash et metal progressif, le quintet avait laissé ses auditeurs bouche bée. Et bien que le décès de leur batteur Adam Sagan eût marqué ses amis, son esprit imprégnait A Prelude To Sorrow, sorti en 2018. Deux ans et demi plus tard, le groupe semble même revenir plus fort, accompagné cette fois-ci par Marco Minnemann derrière les fûts, avec un nouvel disque Curse Of Autumn.
Celui-ci fût devancé d’un véritable marathon de singles, publiées dans un EP où près de la moitié de l’album se retrouvait avant sa sortie à l’écoute. Alors, au moment de lancer le CD dans la platine, on aurait pu avoir un doute. Est-ce que la bande avait déjà tout dit sur ces cinq morceaux disponibles, et réservait-il encore des surprises ? Car, il ne faut pas se leurrer, les compositions étaient d’excellente facture, et mettaient en avant la patte de Witherfall. Mais heureusement, le meilleur était à venir et se trouve définitivement sur Curse Of Autumn.
Dans une description très fortuite, nous pourrions considérer la base musicale du groupe comme un heavy thrash, dans lequel s’intègre une partie progressive, de multiples cassures ainsi qu’un sens du riffing à vous briser les nuques de headbang en concert. Prenons "The Last Scar", son gros riff thrash d’introduction, son accélération qui ne semble jamais s’arrêter jusqu’à un refrain beaucoup plus lourd… Avant d’enchainer sans coup férir sur un solo virtuose suivi d'une harmonique basse guitare avant de terminer dans un sweeping néo-classique Malmsteenien en diable… Puis de continuer sur un énorme break infernal agissant tel un immense coup de massue. Les compositions du quintet sont pourtant loin d’être indigestes, tant les changements de ton se font avec une fluidité exemplaire.
©Stéphanie Cabral
Il faut dire que les musiciens derrière Witherfall sont loin d’être des manchots arthritiques. Encore une fois, les prodiges dans le metal sont légion, mais la balance entre mélodie et technicité est peu évidente, et pour le coup, le groupe américain s’en sort haut la main. La section rythmique formée d’Anthony Crawford (bassiste de CHON et de Virgil Donati) et de Marco Minnemann (batteur, entre autres, chez Paul Gilbert, Necrophagist, The Aristocrats, Steven Wilson, Guthrie Govan) s’en donne à cœur joie dans les transitions, les constructions et le groove qui anime l’album. On sent les divers genres auxquels se frottent les musiciens en dehors de Witherfall. Le percussionniste ferait presque oublier le regretté Adam Sagan, disparu d’un cancer du sang à trente-six ans peu après la sortie du premier disque de Witherfall.
Mais comment ne pas parler de Jake Dreyer à la guitare et de Joseph Michael au chant ? Dreyer ne semble avoir aucune limite de composition, faisant comprendre pourquoi Jon Schaffer l'avait choisi comme guitariste pour Iced Earth (avant qu'il quitte récemment le groupe du fait des évènements tragiques survenus au Capitole). Les changements de tempos, de genres, les riffs et solos sont ici assemblés avec un travail d’orfèvre. Il n’y a qu’à écouter "Another Face" ou "Tempest" pour s’en rendre compte. Sur cette dernière s’enchaînent accords homériques, accélérations foudroyantes, et accalmies quasi acoustiques avec une fluidité tant dans la création que dans l’exécution laissant pantois.
Il faut dire aussi que, lorsque l’on a un chanteur tel que Joseph Michael, seule son inventivité semble pouvoir poser une limite. Plus encore que sur les deux premiers albums, celui-ci s’impose comme l’héritier spirituel du regretté Warrell Dane, porteur d’une largeur vocale d’une incroyable richesse. Du grave à l’aiguë, aux hurlements stridents et cris déments à rendre jaloux King Diamond, toute la palette du parfait chanteur de heavy metal y passe.
Mais le plus impressionnant dans tout ça est qu’à l’instar du frontman de feu Nevermore - dont il a repris le flambeau dans Sanctuary - celui-ci arrive à insérer une profonde émotion dans son chant. Celui-ci n’est pas générique, n’est pas surfait et chaque note a un sens tant mélodique que sensible. Tant sur les deux ballades, "Curse of Autumn" ou "The River" - à la mémoire de son père disparu - que sur les morceaux les plus violents, chacun de ses couplets et refrains est une tempête dans laquelle s’écharpent les sentiments les plus divers.
Et comment ne pas parler de la production à la fois aérée et acérée proposée par Jon Schaffer. Le guitariste et compositeur d’Iced Earth prouve donc encore une fois que l’on peut être bête comme un pied de table mais sacrément doué pour manier des potards. Ainsi rares sont les rendus sonores aussi riches que celui offert sur Curse Of Autumn.
Portés par une tessiture unique et immédiatement reconnaissable, marque de Witherfall depuis son premier disque, l’enregistrement et la production mettent en avant chacun des instruments sans en écraser aucun. L’écoute au casque est dès lors vivement recommandée pour profiter des nombreux arrangements, où s’enchevêtrent magnifiquement lignes de basse et de guitares virevoltantes, suppléées d’une batterie millimétrique et d’une rondeur sonore d’un Marco Minnemann semblant s’éclater à jouer sur ce disque.
Cela se sent spécifiquement sur la courte, mais intense piste instrumentale "The Unyielding Grip Of Each Passing Day". En moins de trois minutes, les musiciens et particulièrement l'animal derrière les fûts s’amusent à coups de changements de tempos, de solos furieux et de riffs endiablés sans jamais sombrer dans la branlette démonstrative.
Mais le clou du spectacle est réellement en fin de disque. Si certains pensaient que le groupe avait tout dit sur ses cinq morceaux déjà publiés - et s’ils n’ont pas lu les paragraphes précédents et qu’ils se rejoignent tous là par hasard, ce qui serait quand même un extraordinaire manque de chance - , ils pourront tomber des nues à l’écoute de "... And They All Blew Away", morceau-fleuve de quinze minutes d’une incroyable intensité. Tout le cœur de Witherfall se retrouve ainsi dans une épique composition, tant synthèse qu’exultation d’une musique unique. À la lourdeur et l’amertume de la première moitié du titre succède une indescriptible montée en puissance à la furie dévastatrice, frôlant parfois de sa basse fretless et de ses accords les rives du death metal.
Curse Of Autumn est une franche réussite de la part de Witherfall. Au sein d’un thrash metal qui glorifie la vitesse et la violence sourde, Witherfall continue de tracer sa route, entre mélodies virtuoses et bouleversante mélancolie. Désormais complètement libérés du décès d’Adam Sagan qui marquait de son empreinte le précédent disque, Jake Dreyer et Joseph Michael persévèrent et avancent encore et toujours, sans oublier leur compère. Curse Of Autumn semble être un long chemin de croix à la recherche de meilleurs lendemains et se pose définitivement dans le sillon d’un sous-genre que l’on pensait enterré depuis la disparition de Warrell Dane et Nevermore. Le résultat est un album intense, poignant, tout autant ultra technique que mélodique, et osons le mot, virtuose, gagnant en qualité à chaque écoute et qui saura satisfaire les amateurs de heavy et de thrash souhaitant sortir des sentiers battus.
Witherfall - Curse Of Autumn : sortie le 5 mars 2021 chez Century Media Records
Tracklist :
1. Deliver Us Into The Arms Of Eternal Silence
2. The Last Scar
3. As I Lie Awake
4. Another Face
5. Tempest
6. Curse Of Autumn
7. The Unyielding Grip Of Each Passing Day
8. The Other Side Of Fear
9. The River
10. ... And They All Blew Away
11. Long Time (Acoustic Version)