Finalement, tout n’a pas été – complètement – catastrophique en 2020, si l’on en croit le nombre de compositions de qualité qui ont vu le jour ces derniers mois. La formation suédoise Vokonis ne fait pas exception : avec Odyssey, son nouvel opus aux tonalités progressives, le trio stoner / heavy monte en puissance, s'affirme et se révèle. Tout en fluidité et en cohérence, ce quatrième album possède toutes les armes pour se hisser aisément parmi les meilleures sorties de ce début d’année.
Avec son quatrième album en six ans, la prolifique formation originaire de Borås en Suède présente aujourd'hui six morceaux, pour quarante minutes de musique. À première vue, on peut se dire que la tracklist présente un Vokonis aux deux visages, avec trois morceaux plutôt courts et trois pistes dont la durée s’étend entre huit et treize minutes, confirmant l’intuition que les amateurs de prog avaient déjà pu avoir en découvrant la pochette.
En réalité, les compositions sont variées et balayent des univers différents, mais la force d’Odyssey est de dépasser les frontières entre les genres pour proposer un univers singulier et riche. Sur les trois morceaux "courts", plutôt en force, une attaque franche et des mélodies puissantes créent un sentiment d’immédiateté et une efficacité au pouvoir de séduction indéniable. Le stoner grondant et l’entame tempétueuse de la piste d’ouverture "Rebellion", qui n’est pas sans rappeler "Blood and Thunder" de Mastodon, se retrouve dans le groove du single "Blackened Wings". En moins de quatre minutes, "Azure" présente, certes, un refrain efficace et un solo d’école, mais également des touches plus proggy et une atmosphère plus sombre.
Le titre de l’album prend tout son sens sur les morceaux plus longs, moins rapides, à la construction toute progressive, navigant dans des univers plus heavy rock, tantôt atmosphérique, tantôt doom, avec des couches complexes de grondements, d’arpèges, de lignes d’orgue, de riffs intenses ou de cordes sèches. Maîtres dans l’art des transitions, les musiciens se jouent des limites, leur maîtrise technique indéniable se mettant au service d’une fluidité de chaque seconde. Sur le très beau "Hollow Waters", Vokonis se lance dans un mid-tempo rempli d’émotion marqué par un jeu de cordes rétro très agréable, rappelant Opeth ou Elder.
L’ultime piste de presque treize minutes, "Through the Depths", révèle quant à elle un travail d’orfèvres sur les transitions, avec un passage dément du scream à une douce ligne de guitare / claviers. Sur ce morceau épique, l’omniprésence ronflante de la basse accompagne la navigation toujours équilibrée entre groove et lignes aériennes, entre shred et harmonies, entre lourdeur et nappes de claviers. Cette subtilité, toujours dans l’équilibre, est magnifiée par la production impeccable de Mikael Andersson et Magnus Lindberg (Cult of Luna).
À la composition, aux cordes et au chant, le duo Simon Ohlsson (guitare) - Jonte Johansson (basse) est en pleine puissance. La paire insuffle un réel pouvoir mélodique à tout l’album, à coups d’excellents refrains, de soli inspirés ("Hollow Waters"), mais également grâce à une parfaite complémentarité des deux chants. La voix claire du bassiste et le chant saturé du guitariste s’allient pour le meilleur, dans de belles harmonies ou des refrains efficaces. Sur l’excellent morceau-titre, les hurlements funèbres s’accordent parfaitement à la lourdeur orageuse, tandis que le timbre clair de Jonte s’élève, chargé d'émotions et teinté de mélancolie.
Même si Odyssey est le premier album avec le batteur Peter Ottosson - qui n’a rejoint le groupe qu’en 2019 - ce détail reste complètement imperceptible tellement sa prestation est impeccable et son jeu vraiment convaincant, dans la puissance ("Blackened Wings") comme dans la subtilité ("Through the Depths").
Si le trio montre une symbiose particulièrement appréciable, c’est malgré tout avec la collaboration d’un quatrième membre que l’album prend toute sa force. La participation aux claviers de Per Wiberg (Spiritual Beggars, ex-Opeth) apporte en effet une densité particulière à certains morceaux et permet de lier à la perfection les différentes lignes instrumentales, avec cette intensité mélodique teintée de nostalgie habillant les pistes les plus élaborées d’un voile d’élégance assez contemplatif sans en dénaturer la force.
Du final pink floydien de "Through the Depths", où volutes de guitares et de claviers s’élèvent, aux notes d’orgue presque funèbre dans "Azure", jusqu’aux nappes de synthé formant un parfait écrin pour le solo de l’émouvant "Hollow Waters", l’apport du claviériste est un atout indéniable permettant à Vokonis d’exprimer toute l’ambition de sa vision créatrice. Odyssey irradie de tous ces sons, sorte d’ovni éclatant, plein de subtilité, à l’instar des couleurs et de l’esprit tout psychédélique de la pochette dont l’artwork est signé Kyrre Bjurling.
On peut lire Odyssey comme l’album du virage assumé du doom / stoner vers le progressif pour le trio, mais aussi et surtout comme la transcription d’un moment de grâce, sorte de cliché sans défaut d’une belle alchimie. Avec cet opus puissamment irréprochable qui démontre de la cohérence dans la variété et s'installe assurément dans le heavy / prog, Vokonis atteint un nouveau palier dans son odyssée musicale et peut désormais réclamer sans complexe une reconnaissance amplement méritée.
Tracklist Odyssey :
1. Rebellion (3:17)
2. Odyssey (8:55)
3. Blackened Wings (4:05)
4. Azure (3:51)
5. Hollow Waters (7:49)
6. Through the Depths (12:48)
Line-up Vokonis :
Simon Ohlsson - guitare, chant
Jonte Johansson - basse, chant
Peter Ottosson - percussions, batterie
Odyssey, quatrième album de Vokonis, sorti le 7 mai 2021 via The SIgn Records.