Deux albums ont suffi pour propulser Fractal Universe bien haut parmi les pointures du death metal technique et progressif made in France. La formation originaire de Lorraine présente aujourd’hui son troisième opus, The Impassable Horizon, nouveau jalon dans une trajectoire singulière sur les sentiers de la créativité, des émotions et de l’expérimentation musicale. Plongée dans un univers aussi percutant que varié, explorant pour de bon les sphères progressives, à travers des réalisations massives traversées de moments de grâce et de mélancolie…
Pour une jeune formation sortant son troisième effort, Fractal Universe ne manque pas d’audace. L’audace, c’est d’ailleurs ce qui fait l’ADN du groupe, c’est cet ingrédient qui a fait de Rhizomes of Insanity sorti en 2019, un album remarquable, et c’est enfin ce qui irradie à chaque seconde de cette nouvelle offrande intitulée The Impassable Horizon. De la technique, de la complexité, et une approche d’orfèvre, oui, mais sans jamais sacrifier la densité ni le son massif caractéristique du groupe.
La piste d’ouverture "Autopoiesis" permet au quartette d’entrer dans le vif de son sujet sans aucune concession. L’entame agressive de ce morceau impressionnant rythmiquement, growls et énormes riffs en avant, laisse place à des passages mélodiques, le liant de l’ensemble s’opérant presque naturellement dans le refrain. Le combo excelle dans le death impitoyable, technique et ravageur contrebalancé par des refrains irrésistibles ("Withering Snowdrops") autant que dans des morceaux mélodiques au groove plus marqué, comme sur le subtil "A Cosmological Arch", à la croisée des chemins entre du prog moderne à la Leprous et la force du chant de marin, sur lequel Valentin Pelletier (basse) livre une prestation saisissante.
S’appuyant sur des concepts philosophiques existentiels hérités de Heidegger, Fractal Universe développe dans The Impassable Horizon des réflexions sur la relation complexe qu’entretient l’homme avec la mort, et ce que cela signifie pour lui d'être conscient de sa fin inéluctable. Sur cet album sombre et philosophique, délicat et brutal, le groupe joue des contrastes, sans cesse sur le fil du paradoxe et de la contradiction. "A Symmetrical Masquerade" illustre parfaitement ce jeu sur le paradoxe, dans un exercice jazzy porté sur des rythmes syncopés et un riffing obsédant délicatement fondu vers des passages plus atmosphériques, le liant de la composition résidant dans un énorme refrain au growl intense. Combinant des sonorités rappelant autant Between The Buried And Me que Opeth, Fractal Universe démontre dans ce single entêtant une aisance désarmante pour concilier virtuosité et humilité, technicité et authenticité.
La force de l’opus repose dans l’art du dosage, une excellente production, et la multiplicité des univers combinés dans des morceaux pourtant cohérents et très mélodiques. Cet aspect s’explique, entre autres, par la présence de beaucoup de chant clair (davantage que dans l’opus précédent) et la maîtrise assez fascinante de Vince Wilquin d’une grande variété de techniques vocales. Ce dernier n’a d’ailleurs pas qu’une casquette, se chargeant également de la composition, du mix, de la guitare et, depuis ce dernier album, du saxophone. Car oui, The Impassable Horizon comporte de nombreux soli de sax, toujours subtilement adaptés aux différentes ambiances des titres, et souvent dans des fondus habiles avec la guitare (comme sur "Withering Snowdrops"), preuve que cordes et bois peuvent œuvrer de concert pour un rendu fluide, surprenant, quasiment inédit dans le monde du metal moderne.
La quasi-totalité des titres présente une durée assez courte pour du metal progressif, entre trois et cinq minutes, mettant en avant des transitions subtiles mais surtout pas d’excès dans la complexité ou la dureté. Sur le mystérieux "Falls of the Earth" ou le mélodique "Interfering Spherical Scenes", on sent le soin pris par le combo pour laisser à l’auditeur le temps nécessaire pour respirer entre les parties les plus exigeantes. Les ambiances atmosphériques et passages plus contemplatifs sont autant de haltes bienvenues pour fixer des mélodies, faire revenir un groove perdu dans les moments galopants, servant complètement l’ambiance mélancolique du propos sans jamais renoncer à l’énergie et au dynamisme. "Epitaph" souffle ainsi le chaud et le froid, oscillant grâce à des transitions ingénieuses entre des couplets death bien durs, un break à la douceur inattendue, et l’équilibre des harmonies et lignes de guitares signées Vince Wilquin et Hugo Florimond.
Difficile en revanche de ne pas se sentir dépassé, le souffle coupé, comme submergé, par l’ampleur des éléments techniques, syncopés et incisifs déployés sans aucune retenue dans la longue pièce "Godless Machinists". Le choc des contrastes entre des ambiances feutrées et la dureté des attaques de blast beat de Clément Denys est à son apogée ici, et il faudra à l’auditeur plusieurs écoutes pour dompter ces éléments vraiment troublants – ou palpitants – des huit minutes de ce morceau, clairement le plus progressif de l’album.
Fractal Universe sait aussi harmoniser technique et émotions pour le meilleur : la somptueuse ballade "Black Sails of Melancholia", si bien nommée, fait surgir par l’association guitare / saxophone et le timbre puissant du chant saturé de Vince, des sentiments bien sombres, formés au cœur de l’altercation entre des passages tout en brutalité et les moments d’harmonie et d’émotion pure. Notons également la douce reprise en acoustique de "Flashes of Potentialities", titre issu du précédent album, réarrangé de façon ingénieuse (le solo de sax venant prendre la place de la guitare).
Le superbe single "A Clockwork Expectation", point culminant de l’album, offre un refrain entêtant, des couplets techniques pleins de riffs et de contretemps à la Meshuggah, et des lignes vocales tellement variées et maîtrisées, du chuchotement au hurlement. Les superpositions d’harmonies au chant donnent une profondeur au morceau, chaque partie mélodique étant mise habilement en valeur dans le mix signé Fabien Morel et Vince Wilquin. La structure en crescendo, l’ambiance sombre et troublante, la lourdeur des riffs, le solo épique de saxophone, tout concourt à faire de cette pépite un morceau-charnière pour Fractal Universe, signature de son identité unique.
Fractal Universe livre ici un opus brillant, exigeant mais captivant, somme toute une réalisation rêvée pour les fans de metal progressif qui y trouveront des merveilles de subtilité et de complexité, mais aussi un profond désir de rendre cette technicité accessible et fluide. En faisant exploser les carcans des genres musicaux par une parfaite synthèse des textures, des dynamiques et du langage mélodique, le quartette, en pleine ascension, réussit la prouesse a priori irréalisable de narrer des méandres sans jamais perdre l’auditeur, dans un élan de créativité impressionnant.
Que demander de plus ? Des concerts, bien sûr ! Après une tournée en première partie d’Obscura début 2020, Fractal Universe voit les choses en grand, envisage de donner toute sa place au saxophone sur scène, et a déjà travaillé sur sa future production scénique en collaboration avec Christian Andreu (Gojira). De quoi faire attendre avec impatience les performances live du groupe qui s’annoncent épiques, dont un premier aperçu est prévu à l’occasion d’une release party au Gueulard Plus près de Thionville le 3 juillet prochain.
Line-up Fractal Universe :
Vince Wilquin - guitare / chant / saxophone
Hugo Florimond - guitare
Valentin Pelletier – basse
Clément Denys - batterie
Tracklist The Impassable Horizon :
1. Autopoiesis (4:01)
2. A Clockwork Expectation (5:12)
3. Interfering Spherical Scenes (3:58)
4. Symmetrical Masquerade (4:20)
5. Falls of the Earth (5:04)
6. Withering Snowdrops (3:30)
7. Black Sails of Melancholia (4:46)
8. A Cosmological Arch (5:20)
9. Epitaph (4:48)
10. Godless Machinists (8:10)
11. Flashes of Potentialities - Unplugged (3:46)
The Impassable Horizon, de Fractal Universe, sort le 25 juin 2021 via Metal Blade Records