En 1993 sortait un album qui allait marquer de son sceau la scène Metal extrême ( et Metal tout court car cela serait réducteur de limiter l'impact qu'a eu ce chef-d'oeuvre sur un seul courant ) : The Cube. Une pochette futuriste ( qui tranchait avec les clichés gore/logos illisibles/imagerie satanique qui fleurissaient à cette époque dans la scène Death ), froide et intrigante, un titre : The Cube aussi inattendu qu'un album de Deicide intitulé In Peace With Satan par exemple. Et surtout un nom de groupe, cliché au possible ( disons-le ) qui ne laissait rien entendre de la richesse musicale développée tout au long de cet ovni qu'est The Cube. Supuration, groupe originaire de la, alors très développée, scène Thrash/Death nordiste qui s'était jusqu'à présent cantonné de sorties confidentielles ( deux EPS, quelques singles, des démos et un split ) dans un style plus « conventionnel » innovait et surprenait. La musique proposée par The Cube était unique il y a 20 ans, sur des bases Death Metal solides ( le chant caverneux et les guitares bien grasses ), le groupe mené par les frères Loez y apposait des éléments inédits tels ce chant clair plaintif ( mais au ton cependant plutôt éloigné du Metal Gothique qui connaissait alors son essor ) et mélancolique, ces dissonances de guitare qui peuvent évoquer Voivod et cette ambiance « cold » ( justement inspirée par les influences Coldwave/New Wave revendiquées par les membres du groupe ), le tout servant un concept sombre et torturé : Le voyage d'une âme humaine après le décès par suicide de l'être dont elle s'est échappée, celle-ci devant traverser plusieurs parties d'un cube avant d'espérer trouver le repos éternel.
The Cube a donc laissé des traces dansle temps et lancé la carrière ( plutôt inscrite dans un underground confortable car offrant une plus grande liberté d'expression peut-être ) de Supuration qui a fini par se transformer en SUP et développer son style dans des albums concepts plus riches et ambitieux les uns que les autres. Oui mais voilà, le côté...Bestial du groupe ( car SUP a plus ou moins gommé la patte Death de son style d'origine ) déjà ne pouvait pas resté endormi et le concept développé en 1993 était trop riche pour le laisser sans suite. Alors en 2003, Supuration est revenu avec Incubation, un album qui reprend là où The Cube s'arrêtait, enfin non plutôt là où l'album de 1993 commençait car Incubation est une préquelle relatant la douloureuse naissance de l'individu qui meurt dans The Cube et dont nous apprenons qu'il s'agissait d'une jeune fille qui après avoir été violée avait décidé de mettre fin à ses jours. Une réussite.
Et comme les cycles se répètent souvent tous les dix ans, voici que déboule ce 25 février chez Listenable Records CU3E qui a la particularité d'avoir été masterisé par le légendaire Dan Swanö ( ancienne figure de proue de Edge Of Sanity et producteur réputé ).CU3E reprend le concept à la fin de The Cube où l'âme de la suicidée se réincarne dans un autre être, et dans une autre dimension ( ça va ? Pas trop mal à la tête ?). Alors en 2013 que penser de ce troisième ( et dernier si l'on en croit les propos du groupe ) Supuration ? Déjà, l'effet de surprise qui nous avait assailli en 1993 n'est plus présent, on retrouve une formule déjà connue à base d'alternance vocaux growlés/plaintifs et de gros riffs dissonants sans oublier les ambiances froides et futuristes qui étaient si avant-gardistes il y a 20 ans. Les nordistes offrent toujours ce « Death sensible » ( cherchez-pas, cette étiquette vient de moi et bizarrement ça me semble plus appropriée que Melodic Death Trucmuche par exemple ), technique ( mais sans être démonstratif ) et froid.
CU3E n'est pas un mauvais album, il est très bien composé et correctement produit mais autant l'avouer : Des trois volets ( j'ai réécouté, avec plaisir, les deux tomes précédents, histoire de me remettre dans l'ambiance ) du concept développé par The Cube c'est celui que je trouve le moins accrocheur. Il plaira à ceux et celles qui connaissent The Cube et Incubation qui, en plus de la fin du triptyque commencé il y a 20 ans, y trouveront leur lot de riffs dissonants et froids ( « Introversion », « The Disenthrall », « The Delagation », le break de « Data Dance », celui très bon, et presque Indus, de « « The Flight » ou « The Climax » ), cette voix death hargneuse comme sur l'efficace ( et qui illustre bien le style de Supuration ) « Synergy Awakes » qui ouvre l'album ou le début de « The Climax » qui le clôture ( au tempo et à la structure assez proches du premier titre du disque, ce qui donne une impression de « boucle achevée » ), il y a aussi ces superpositions de chants clairs et death ( la fin de « Synergy Awakes », « Introversion », « The Incogruents » ou sur « The Disenthrall » ) qui sont une des marques de fabrique du groupe.
Le ton général est gris comme le sont les terrils du Nord, l'ambiance plutôt oppressante et triste, désespérée même par endroits ( comme sur « The Disenthrall », « The Incongruents, « The Delegation » et « The Flight » ) et ne décevra pas les deatheux névrosés, à noter aussi quelques fade outs bien placés aussi ( sur «Synergy Awake », « The Incongruents » et « The Delegation » ) qui renforcent le côté froid, voire répétitif ( en employant ce mot j'évoque l'efficacité des riffs ou des parties de voix, tournant en boucle comme des âmes perdues cherchant le chemin menant vers la lumière, rien de péjoratif donc ) contemplatif et distant de la musique de Supuration je trouve.
Le groupe, pour mieux rester dans le concept, a aussi mis quelques clins d'oeil aux volets précédents de la trilogie, ainsi «Consumate » ( meilleur morceau de CU3E je trouve ) est construit sur un riff qui rappelle fortement celui de « The Cube » de l'album du même nom et semble servir de fil rouge entre les trois différentes parties du concept. Il en est de même pour « The Flight », et son impression d'avoir entendu ça quelque part déjà ( sans pour autant parler de recyclage d'où quand même le talent des nordistes ) qui semble plus être un interlude qu'un véritable morceau cependant. Je l'ai dit Supuration ne surprend pas vraiment avec ce troisième album, néanmoins quelques surprises et innovations parsèment CU3E comme le rythme martial de « Introversion », le gros riff presque Néo Metal du break de « Consumate » ou celui qui suit le break de « Data Part » ( titre le moins intéressant de l'album je trouve ) qui fait presque...Mosh Part ( si si ) mais dans l'ensemble on reste quand même en terrain connu.
Je terminerai en évoquant l'artwork de CU3E plutôt sobre et efficace avec cet oeil où l'on aperçoit, reflété dans l'iris, un nouveau né ( celui évoqué dans Incubation je suppose ) poussant des cris qui peuvent être ceux suivant la sortie du ventre de sa mère ou, pourquoi pas, l'expression de sa douleur d'être livré à une existence vouée à la fatalité. Fatale l'existence de Supuration ne l'aura pas été car même si ce dernier album n'est pas leur chef- d'oeuvre ( pour les néophytes je conseille plutôt la découverte de The Cube ), il est suffisamment correct pour achever sans déshonneur une oeuvre étalée sur 20 ans. Et puis... Il faut bien écouter quelque chose de sympa en attendant le prochain SUP.
Liste des titres :
1. Synergy Awakes
2. Introversion
3. The Disenthrall
4. Consummate
5.The Incongruents
6. The Delegation
7. Datadance
8. The Flight
9. The Climax