We Sold Our Soul ... For Rock n' Roll
Qu'est-ce qui n'a pas été dit sur cette énième reformation de la Légende du métal britannique ? Maintes fois repoussée, inachevée du fait d'un Bill Ward mettant les voiles (pour d'obscures raisons de contrat, on imagine aussi de santé...) - et remplacé depuis par Brad Wilk (ex-R.A.T.M./Audioslave) - incertaine en raison des gros soucis de santé cette fois de Tony Iommi, et des performances désormais très aléatoires du 'Prince of Darkness' Ozzy Osbourne, il n'en aurait pas fallu beaucoup pour que ce 13 se transforme en le Chinese Democracy de Black Sabbath !... Mais il est bien là, il sort aujourd'hui chez Vertigo Records et est passé auparavant entre nos mains expertes, alors n'y allons pas par quatre chemins : quelle est donc la teneur de cette nouvelle offrande inespérée (et certainemenent leur dernière, il ne faut pas être grand clerc pour le deviner...), 15 ans après les derniers titres collégiaux (que l'on retrouve en bonus sur le 'live' Reunion), et surtout ... 35 ans (!!) depuis le dernier album enregistré par la formation originale, ce Never Say Die au titre aujourd'hui de circonstance ?
Black Sabbath ...
Tout d'abord pour ceux qui auraient encore des craintes sur le sujet, Sabbath reste Sabbath... On reconnaît ainsi sans peine la signature du groupe : guitares grasses et massives d'un Iommi dont le jeu, pour notre plus grand bonheur, accroche et « raccroche » toujours autant - tout comme il dégouline toujours de classe et de feeling sur les soli et autres arpèges mélancoliques - , toujours appuyé par la basse volubile de Geezer Butler qui reste inégalable dans son propre domaine, même lorsqu'elle se retrouve mixée un peu plus en retrait par rapport au chant et aux guitares (ce qui est rare, nous allons y revenir...), et enfin les lignes vocales geignardes, incantatoires ou plus vindicatives du Sieur Osbourne.
Et d'ailleurs, comme pour venir reprendre légitiment leur dû et rappeler, si besoin en était, d'où viennent tous les Candlemass, Saint Vitus et consorts, les Patriarches lâchent d'entrée deux titres bien 'doom' en tête de file ("End of the Beginning" et "God is Dead", premiers extraits à avoir été dévoilés au grand public), parmi les plus longs jamais écrits au cours de leur carrière (étirage plutôt récurrent dans l'écriture de cet album, ce qui place la durée moyenne des titres entre 6 et 7 minutes!), histoire donc de bien rappeler qu'ils sont les géniteurs exclusifs de ce type de riffs macabres et pesants. En celà, Sabbath continue de développer la démarche de lourdeur et d'accent mis sur une pesanteur rythmique à décorner les boucs entreprise sur le The Devil You Know de Heaven and Hell en 2009 (la précédente incarnation du combo avec le regretté Dio au chant...). Au détriment de riffs et mélodies vraiment « tubesques » à reprendre en choeur ou à chanter sous la douche, déploreront certains cette fois encore...
Pourtant, le Sabbath 'vintage' et plus familier de tous revient parfois à la charge, le temps par exemple d'un "Loner" qui se voudrait accrocheur, et que l'on situerait d'ailleurs à mi-chemin entre "NIB" et un "Country Girl" (de la période Dio celui-ci), mais qui pèche par la trop grande linéarité d'un chant sans relief et sans passion (nous y reviendrons également...) ainsi que par son côté bien trop prévisible, jusqu'à un break salutaire qui verra enfin les éléments se déchaîner davantage par la suite. Mais sa fin des plus abruptes en dit assez long sur le manque d'inspiration du groupe sur ce coup-là...
On pense aussi de manière explicite, sur le 'bluesy' "Damaged Soul" (et sa cadence « sensuelle ») aux longs titres - très 'jam' dans leur approche - du premier album, surtout avec la présence inattendue d'un harmonica (toutefois sans le côté un peu blues 'folkeux' du bayou sur "The Wizard" jadis !), ou lorsqu'aux lignes de guitares doublées de Iommi vient répondre à l'unisson la basse rondelette de Butler, comme au bon vieux de temps de "Sleeping Village" ! Le résultat pourrait également rappeler les récents travaux du groupe Orchid... Mais l'ensemble traîne hélas en longueur, encore une fois, même si l'on peut penser (ou en tout cas espérer) qu'un tel titre prendra davantage toute sa dimension en véritables conditions de 'live', sans la fausse spontanéité du studio...
Bien plus convaincant, "Age of Reason" se révèle l'une des pièces-maîtresses de ce disque : enfin un «hymne» accrocheur et rentre-dedans dès son amorce, avec cette fois une dimension épique prononcée (des claviers brumeux venant envelopper des mélodies conquérantes très bien soulignées) qui parvient à nous emporter, ainsi que des lignes vocales enfin dignes de ce nom, bien dans la tradition Sabbath et qui nous évoqueraient même un univers très Volume IV en plus 'heavy!'...
Paranoid ?...
Mais je vous vois déjà venir : ces impressions de 'déjà-entendu' sont-elles le fait de purs auto-plagiats ou alors de simples clins d'oeil destinés aux fans ? A-t-on affaire à de bêtes formules réutilisées sans vergogne, ou bien sont-elles juste aménagées différemment ? Les réponses varieront selon les sensibilités de chacun, mais il serait malhonnête de notre part de ne pas mentionner déjà les quelques références explicites que vous ne manquerez pas de relever vous-même : alors rassurez-vous, non ce n'est pas vous qui êtes fous ou qui feriez juste une fixette, l'effet «rotatif» un peu 'flangé' sur la voix d'Ozzy à l'entame de "Zeitgeist" est bien du même type que celui utilisé sur "Planet Caravan" (le morceau planant de l'album Paranoid...), et l'utilisation de percussions et de guitares calmes sur ce nouveau titre ne doit donc certainement rien au hasard. Pour autant, le morceau ne saurait se réduire à une simple relecture, car là où l'originale pouvait être perçue comme une ligne droite (ou une "descente de ligne", pour le dire encore plus clairement!), tel le 'trip' décontract' d'une bande de hippies sous "influences", cette nouvelle ballade sait se montrer autrement « émouvante », mystique, s'écouter même sans être 'stoned' (voire même monter parfois en intensités, si, si!), et ne s'apparente pas seulement à de la musique d'ascenceur, même si le solo 'jazzy' final (quelques touches de "Solitude" d'ailleurs...) nous donnerait carrément l'impression d'écouter les parties les plus soporifiques du Heritage d'Opeth ! Reste que là encore, quel feeling dans le toucher du Maître Iommi...
Plus flagrants en revanche sont les renvois au titre "Black Sabbath" éponyme, stratégiquement distillés en début et en fin de disque. Tout d'abord sur le premier break de "End of the Beginning", avec toms menaçants à l'appui, guitare atténuée et faussement paisible qui vient jouer le thème de la mélodie avant de typiquement la reprendre en rythmiques à gros son, et par-dessus tout un Ozzy qui déclame sa toute première intervention du disque (« is this the end of the beginning?... or the beginning of the end »?) avec ce phrasé bien caractéristique que l'on devine.
Ensuite, c'est sur la fin du "Dear Father" de clôture (pendant un passage duquel vous reconnaîtrez aussi un bout de riff du couplet de "War Pigs"...) que vient résonner un orage plus éclatant encore que celui par lequel tout avait commencé, avec en outre exactement le même 'sample' de cloche qui vient sonner le glas de cet album, et peut-être aussi comme nous le disions celui de la carrière discographique du groupe, bouclant ainsi la boucle sur un titre à la fois marquant et significatif (cf la mélancolie et la nostalgie alors palpables...).
Des références plus discrètes se font également entendre sur l'ébourrifant solo final de "Age of Reason", qui n'est pas sans rappeler dans son approche celui de "Over and Over" (période Dio...) accompagné de choeurs tout aussi significatifs ou évoquant également un peu ceux de "Supertzar"... (dommage, par contre, que nos baroudeurs n'aient pas opté pour une fin en 'fade-out' sur ce coup-là!) Et encore une fois sur "End of the Beginning" où un riff fait clairement penser au break de "Fairies Wear Boots".
Mais cessons là ce catalogue (non exhaustif!) car, en définitive, ce n'est pas le plus grand motif de grogne, loin s'en faut, pour évoquer la semi-déception que constitue cet album...
Niveau "laideur des pochettes" au moins, Sabbath sait toujours y faire... Pour preuve, "God is Dead", dernier single en date...
Sabotage ?! ...
Les lacunes de cet album ne sont pas tant à mettre au compte des compos en elles-même, qui pourraient largement receler ce qu'il faut pour faire un bon album de Black Sab' (ce malgré le relatif «recyclage» parfois poussif d'un style d'écriture que l'on a l'impression de connaître sur le bout des doigts), que sur d'autres points de détails qui pourront légitimement chagriner l'auditeur, simplement parce qu'ils n'en sont peut-être pas...
Tout d'abord il y a ce nouveau batteur, Brad Wilk, complètement effacé et inexpressif au possible... Quels que puissent être ses mérites au sein de ses formations antérieures, force est de constater qu'au sein du Noir Sabbat il n'a hélas ni la souplesse de jeu et la délicatesse sur les peaux d'un Ward (cette sensibilité davantage de « percussionniste », de l'aveu-même d'Osbourne), ni la frappe surpuissante d'un Vinny Appice si l'on prend en compte les heures les plus récentes de Iommi & co. Et ce n'est pas ce son de cymbales et de caisse claire, sec comme un coup de trique, qui va venir arranger les chose (z'ont ressorti la boîte à rythmes de l'inédit "Selling my Soul" d'il y a 15 ans ou quoi ??...).
L'homme aura-t-il été 'bridé' et briefé en studio afin de ne pas faire de l'ombre aux vedettes ?! On ose l'espérer, même si cela ne change rien au fond du problème.
Mais bien plus grave, il y a le cas Osbourne...
On le sait depuis longtemps maintenant, le 'Madman' est cramé, usé par les excès en tous genres et rattrapé par les limites d'une voix fragile et fatiguée qu'il n'a jamais guère pris la peine de travailler ou d'entretenir. Si en 'solo' et au cours des dix dernières années, il n'avait eu qu'à faire jouer ses musiciens dans une tonalité plus basse en concert (on sait déjà que Sabbath en son temps jouait un ton plus bas pour les 'live', officiellement de façon à sonner plus "malsain" encore!), voire à compter sur les progrès de la technologie pour rattraper ses écarts en studio, il faut bien avouer que pour l'album du retour au sein de son emblématique groupe d'origine, c'était forcément moins recommandé !
Reste que si sa voix donne aujourd'hui dans des tonalités beaucoup plus graves (il suffit d'écouter ses derniers albums solo...), il faut quand même reconnaître que dans le cadre de Sabbath ça ne fait que rendre les morceaux les plus 'doom' encore plus glauques (l'apocalyptique "End of the Beginning" avec son chant morne sur les parties lentes, et surtout "God is Dead" !). La sauce prend déjà nettement moins sur un "Live Forever" d'une cruelle linéarité vocale qui engendre la monotonie, venant malheureusement s'ajouter à un texte d'une platitude totale... Il est dommage que sur un tel thème, le père Oz' ne soit pas arrivé en studio avec des paroles plus travaillées (qu'est-ce qu'il nous a fait là, le Geezer ?!) et une interprétation davantage personnifiée, d'autant que Iommi lui livrait là (à lui et à son batteur...) les riffs 'swinguants' qui vont bien et sur un plateau d'argent !
On ne saurait trop avoir la dent dure toutefois car notre homme fait aussi parfois l'effort de partir dans des modulations certes des plus classiques mais bienvenues, quelque part surprenantes étant donné qu'à son âge avancé (et avec Ozzy, c'est un peu comme pour les chiens, il faudrait presque multiplier par sept ...), on n'en attendait plus tant de sa part ! Mais se pose alors un autre souci : le chanteur semble tellement se concentrer sur les notes à poser qu'il en oublie de mettre un soupçon de passion dans son interprétation. Les meilleurs moments de ce disque, vocalement parlant, seraient donc peut-être les passages les plus sobres, mornes et 'doomy'. D'autant que sur le reste, on note parfois trop de « bavardage », le chanteur semblant par exemple vouloir meubler des riffs qui n'auraient pu servir que de simples breaks instrumentaux...
Mais le mangeur de chauve-souris (ou le décapiteur de colombes, ou le sniffeur de fourmis, vous entourez la mention qui vous convient le mieux, hein!...) ne saurait être à lui seul l'unique responsable de ce gâchis.
C'est qu'aux manettes, le producteur Rick Rubin donne l'impression de beaucoup tâtonner, indécis quant au traitement adéquat à appliquer à la voix du 'Madman', et ne parvenant jamais complètement à ses fins. Et de fait, si la production générale fait preuve malgré tout d'une belle homogénéité - bien que pataude - , il n'en est pas du tout de même avec celle du chant. Tantôt épuré si ce n'est quelques échos de ci de là (ce qui convient plutôt bien à la première moitié de "God is Dead", même si c'est à peine alors si on n'entend pas les déglutitions...), tantôt au contraire noyé dans les effets, mais étrangement sans les couches superposées qui vont à ravir à l'organe de notre homme et limitent les dégâts (non, n'allez pas ici voir les 'traces' d'un humour douteux !), quand il n'est pas tout simplement mixée trop en avant par rapport au reste, l'ensemble pourra donc rebuter l'auditeur au premier abord (quand on pense au travail vocal effectué sur l'inédit "Psycho Man" de 1998 sous le patronage d'un Bob Marlette...). Est-ce que sur la longueur cela viendra couler l'album pour autant ?
Sabbath Bloody Sabbath !!...
La direction artistique générale de ce 13, une fois qu'on a appris à l'apprivoiser (et quand il y en a une...), nous donne des éléments de réponse. Car contrairement à ce qu'on pourrait lire çà et là et penser de prime abord, il ne s'agit pas ici d'un simple recyclage des quatre premiers albums mélangé au Ozzy 'solo' des dernières années. Déjà, les Sabbath ont été bien avisés de ne pas s'abaisser à faire comme leurs récents congénères, se contenter d'imiter ce qu'ils avaient fait près de 40 ans auparavant. Il n'y a guère que sur le trop long "Damaged Soul" ou sur la deuxième moitié de "End of the Beginning" ou de "God is Dead" que l'on pourrait se laisser prendre, à grandes bouffées de nostalgie... Pour le reste, il faut bien avouer que le groupe, certainement sous la houlette de Rubin, a bien cherché à innover. Cela passe par un son de basse de Butler souvent plus imposant, clinquant et en résonance, comme si ce dernier s'était soudain mis (oh, sacrilège!) à jouer au médiator !... Cela se manifeste aussi dans le son de guitare de Iommi, très 'heavy' comme si l'on écoutait soudain les Metallica reprenant du Sabbath sur leur Garage Inc., mais aussi très 'live' sur les soli comme si le guitariste aux doigts mutilés jouait à deux mètres de nous et que nous nous trouvions juste à côté de son ampli (bien loin donc des parties 'fuzzées' et doublées - très 'studio' - des premiers albums...). A cela, il faudrait ajouter une approche malgré tout 'moderne', sans céder à l'air du temps non plus, juste ce qu'il faut pour nous évoquer parfois les rythmiques boueuses et les arpèges de détresse caractéristiques façon 'grunge' des années 90 (Alice in Chains et Soundgarden en tête), et nous rappeler au détours d'un passage le Ozzy d'Ozzmosis (en moins "commercial") ou du Down to Earth, le Butler de G//Z/R ou le Iommi de Fused... Au risque de faire hurler plus d'un puriste de la première heure !
Malgré tout, la sauce ne prend pas toujours, et surtout lorsque le groupe préfère justement regarder davantage en arrière, pensant retrouver facilement l'inspiration et la ferveur de ses vingt ans... Et s'il parvient en effet à recréer un souffle d'osmose 'live' qu'un Deep Purple cherche encore en vain à capturer, il se perd parfois en 'jams' longuettes et inutiles (ce solo en demi-teinte sur "Damaged Soul" sent fort la première prise faite à l'arrache et conservée telle quelle!). En revanche, malgré ces longueurs, Black Sab' nous offre de temps à autres ici de bien belles montées en puissance et autres moments contrastés ("Loner" qui se réveille donc après un break central des plus 'bateaux' - évoquant le "Tattooed Dancer" d'Ozzy au ralenti -, la deuxième moitié mémorable de "End of the Beginning" et surtout le pont magique d'un "Age of Reason" !), comme ils se faisaient plus rares à l'époque où la formation se reposait davantage sur l'imparabilité de ses riffs et l'ivresse de ses passages les plus « fumés »... L'esprit serait donc ici plus proche parfois d'un bon vieux Sabotage dans une mouture juste plus 'doomesque' que brutale, mais tout aussi versatile et maladive.
Même s'il ne nous convainc donc pas toujours, 13 arrive donc toujours un minimum - sur les morceaux les plus investis, soit en moyenne cinq titres sur huit - à nous embarquer. Oui, il y a quoi qu'il en soit un perpétuel air de 'revenez-y' sur cet album. Dès lors que l'on se sera fait à l'idée qu'Ozzy n'est rien d'autre que ce qu'il a toujours été - une voix emblématique, pas un grand chanteur, même si ça se voyait moins avant - et à celle d'un Black Sabbath comme en lévitation distante sur sa carrière, son identité et surtout sa mortalité, ce probable ultime album, qui ne sera jamais, on le sait, appelé à devenir un classique - le groupe n'a plus la "formule" pour ça - saura vous captiver en tant que tel, la capture d'un moment de grâce déchue mais suffisamment respectable pour en imposer encore.
En somme, n'allons pas trop vite en besogne (l'album est loin de faire l'unanimité non plus dans notre 'team'...) mais surtout : « Never say die! » ... Car si eux portent tant bien que mal leur croix aujourd'hui (mais à la réflexion, n'est-ce pas le cas depuis le début?), c'est bien nous qui porterons tous un jour le deuil. En attendant le requiem, nous avons déjà ici la procession...
LeBoucherSlave
7,5/10