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... Chroniques de l'immensité ...~
Naguère simple espoir d'une scène française déjà bien fournie - avec la parution fin 2011 d'un convaincant Serenity... - , Idensity est aujourd'hui en passe de se hisser au rang des formations les plus en vue du moment, avec la sortie le 28 octobre chez Send the Wood Music de ce Chronicles qui, brisons le suspense tout de suite, a tout d'un petit joyau : un 'précieux' qui ne révèle tout son éclat qu'après l'avoir examiné soigneusement sous toutes les coutures, se l'être approprié jusqu'à l'obsession, au fétichisme !
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A peine sorti, déjà un incontournable... Ayant dit cela, on pourrait tout simplement arrêter là la rédaction et vous la lecture de cette chro, pour ne pas gaspiller un temps justement précieux lui aussi, que vous consacrerez plutôt à vous rendre au premier disquaire du coin, puis à explorer les méandres et moindres recoins de cette vaste carte de voyage en royaume musical que constitue cet opus... Nous vous souhaitons donc bienvenue à la 'Idensity Airlines', le commandant de bord et son équipage espèrent que vous y ferez un agréable voyage et que vous ne régurgiterez pas le plateau-repas ! Mais allez, avant cela nous allons quand même vous en dire un peu plus, il y a de quoi faire, et puis ce terme de « plus » est finalement celui qui convient le mieux pour expliquer l'évolution du groupe depuis bientôt deux années de dur labeur.
Idensity a en effet eu faim et vu gros dans tous les domaines. Eux qui avaient déjà dès leur premier album fait réaliser le 'mastering' aux Hertz Studio Polonais (les productions de Behemoth, entre autres...) ont cette fois confié la tâche délicate du mix aux mains expertes de Dan Swanö (que je ne ferai plus l'affront de vous présenter !). Le résultat ne se fait pas attendre, et dès le premier titre éponyme (qui doit s'appréhender comme un long prologue d'entrée en la matière plus que comme un véritable morceau...), le son se fait ample, tranchant et massif comme jamais, à en reléguer leur précédent essai (qui péchait un peu à ce niveau-là au niveau du rendu des guitare notamment...) au rang de simple « démo » ! Et si l'on craint de nouveau un rendu un peu synthétique de cette batterie 'triggée' dès son apparition (bien vite tous 'blasts' dehors !), tous nos doutes sont aussitôt balayés dès lors que celle-ci se mélange au reste des instruments, révélant alors elle aussi toute sa profondeur et son intensité.
C'est sur cette même intro que l'on perçoit d'emblée la dimension symphonique accrue de cette nouvelle offrande, qui en devient véritablement « cinématographique » (décidément, depuis Melted Space on peut dire que les Frenchies se 'Hollywoodisent', et c'est tant mieux - dans ce domaine en tout cas !), là où elle se faisait au mieux 'visuelle' sur le premier album (le parallèle avec le "Let's introduce..." de Serenity n'en est que plus révélateur, et l'on comprend que cette touche sera cette fois définitivement plus présente et véritablement disséminée tout au long de l'album...). Les parties orchestrales viennent donc agrémenter pleinement les parties 'métalliques' et même les élever vers des hauteurs insoupçonnées, entre le Septicflesh de The Great Mass pour le côté sombre et cérémoniel, occulte parfois, avec ce soupçon aussi de Dimmu Borgir période Death Cult Armageddon. Mais ce n'est pas tout : il se dessine de bout en bout une dimension 'exotique' de l'écriture que l'on n'aurait jamais pu imaginer de la part de nos Parisiens. Il faut dire que ces derniers se sont donnés pour thème sur ce Chronicles les "croyances et les mythes sur les origines de la fin de la Vie" dans les différentes cultures et religions, orientales comme occidentales, ainsi que les divers périls et questionnements engendrés par ces mêmes croyances.
Avec de telles ambitions affichées et maintenant portées à maturité donc devenues accessibles, il ne restait plus à Idensity qu'à nous dévoiler sa nouvelle peau... Et poussant encore un peu plus et jusque dans leurs derniers retranchements les portes ouvertes par Septic Flesh (avec ou sans l'espace...), Moonspell, Arkan ou Orphaned Land, nos gaillards allaient nous offrir là ni plus ni moins qu'une nouvelle forme hybride encore inédite qu'il conviendrait de baptiser 'world/doom-death progressif symphonique' si l'on voulait être tout à fait exhaustifs ! OMG, qu'est-ce donc là que cette "chose" ??!...
La mue du Serpent qu' Idens' ...
« Chacun de nous est le confluent d'une éternité et d'une immensité. »
(Miguel de Unamuno)
C'est que sur une telle thématique touchant autant aux mystères de l'inconnu et du sacré, il fallait être capable de se transcender soi-même, au-delà du temps et de l'espace, et acquérir cette dimension intemporelle qui n'appartient qu'au cercle très fermé des oeuvres 'intouchables'. C'est chose faite, et le mérite en revient en premier lieu à Mayline, violoniste désormais complètement intégrée et omniprésente sur ce Chronicles, se permettant même de bien belles interventions en voix féminine tout au long de l'album (ce "Mantra" en duo avec son chanteur nous donne l'impression d'écouter une disciple possédée répondant aux injonctions de son gourou/maître au beau milieu d'un 'coven'...), et qui a immortalisé là ses plus belles lignes pour le groupe, les plus surprenantes aussi... Tour à tour romantiques et suaves, mystérieuses et recueillies, baroques, lancinantes, plaintives, la jeune virtuose est ainsi parvenue à faire le pont entre My Dying Bride, On Thorns I Lay et A Forest of Stars : rien d'étonnant, d'ailleurs, à ce que pour le clip de "Sekhmet" (titre dont la ligne de piano introductrice nous évoquerait aussi la mélancolie du "House of Nostalgia" des Forgotten Tomb...), le groupe ait choisi de faire appel à Ingram Blakelock, génial réalisateur du clip du superbe "Gatherer of the Pure", baroque et énigmatique en diable, de ces derniers.
Mais aussi, s'adaptant à la nouvelle couleur 'ethnique' requise pour ce Chronicles sans frontières, la belle réussit à nous offrir une véritable escapade musicale en contrées exotiques, portée par les lignes 'méditatives' de "Mòfa" ou 'arabisantes' de "Maddhi's Arrival" (notamment les parties vocales de celle-ci) et "Mantra", qui ne manqueront pas de parler aux fans d'Orphaned Land, Myrath et surtout à ceux d'Arkan. Dans un esprit jusqu'au-boutiste, et toujours pour coller à l'esprit du disque, le groupe a d'ailleurs intégré en cours de route divers instruments traditionnels et autres sonorités 'zen' ou tribales qui raviront cette fois les fans du Dead Can Dance post-Aion ou de Rajna, pour un rendu « oriental » du plus bel effet ...
Le chant de Chris n'est pas en reste dans l'affaire. Si son registre guttural reste assez classique mais efficace et profond (un peu dans une veine Fernando Ribeiro ou bien vieux Opeth...), il affirme toutefois à d'autres moments plus d'expressivité encore à la façon d'un vocaliste de "black" authentiquement incarné. Mais c'est surtout et depuis toujours son timbre en chant clair qui fait toute la différence, la force et l'identité si particulière d'Idensity. Le bougre a encore progressé depuis deux ans, et si persistent toujours quelques résonances d'un Nick Holmes de Paradise Lost (ponts de "Over the Abyss" ou d' "Antikhristos", "The Seven Seals" - cf sa partie narrative tout aussi audacieuse que ses harmonisations...), on est aujourd'hui encore un peu plus dans une dimension « aérienne » du chant tant celui-ci semble se détacher et résonner hors du temps et de l'attraction terrestre, comme en lévitation, conférant une "spiritualité", disons-le, digne des grands « chamans » Nordiques de chez Borknagar, Tyr, Arcturus, Vintersorg et consorts... Et ce n'est pas cette apothéose sur l'ultime (dans les deux sens du terme) pièce-maîtresse intitulée "Loki", digne d'une BO de film héroïco-Viking en THX et sur grand écran - avec son final ô combien déchirant - qui va venir ici contredire mes propos ! Un titre qui n'aurait pas dépareillé chez Melted Space, tiens... Sur d'autres morceaux tout aussi solennels tels que "Typhon", notre homme se lance encore dans d'hallucinantes montées en intensité dans l'émotion qui ne pourront que vous prendre aux tripes également.
Enfin, même le jeu des gratteux s'est policé avec le temps, de sorte que même ces soli en 'tapping', 'sweeping' ou simple (?!) 'shredding' ne sont plus là seulement pour montrer de quoi les gaillards sont capables mais, à l'instar du titre "Mantra" ou "Over the Abyss", apportent tantôt de la tension, tantôt un côté 'dramatique' à des morceaux qui en deviennent alors d'autant plus personnels et poignants. Pour le reste, les autres lignes de guitares mélodiques restent compactes et consciencieusement appliquées, ne cherchant qu'à aller droit au but et à l'efficacité, à l'instar de ce chouette thème à deux guitares introduisant "Mantra", là encore. La débauche de technique réside désormais dans la seule complexité 'verticale' des morceaux, marqués de nombreux cassures et rebondissements, pour une dimension « progressive » elle aussi plus marquée.
Au sommet ... décime !
« Immensité dit l'être, éternité dit l'âme. »
(Victor Hugo Villena)
Pour autant, le groupe n'en a pas oublié (ça tombe bien pour son label...) de rester un groupe qui "envoie du bois" (les guitares introduisant "Antikhristos" ne nous rappelleraient-elles pas tout le vicieux d'un Morbid Angel ?!), avec un équilibre désormais plus réussi des parties purement 'death' (le batteur JP a travaillé son attaque de 'bpm' de façon notable...), les parties plus métal « arrache » moderne type vieux Nevermore (entame d' "Over the Abyss", avant que le morceau ne prenne une connotation plus lourde à la Moonspell...) ou bien les derniers Arch Enemy (les rythmiques de l'instrumental "Mòfa" notamment), et les clins d'oeil épars que l'on devine (au vu des références citées plus haut !) à un black, certes symphonique, mais plus enclin comme nous l'avons dit à renforcer son ampleur et sa puissance de frappe au moyen d'éléments orchestraux plutôt que de les atténuer en les enrobant de claviers superficiels et mollassons.
On le disait en préambule, Idensity vient de sortir là une oeuvre majeure, parfaite carte de visite déjà pour le groupe - en vue de passer à la division supérieure - mais également son premier maître-étalon de référence, l'opus auquel toutes ses futures réalisations seront immanquablement comparées, et qui, en attendant de se surpasser encore (ce qu'on leur souhaite !), les fera certainement passer à la postérité. L'air de rien, les Parisiens détiennent là leur From Mars to Sirius, leur 1666...Theatre Bizarre, leur From the Past, leur Cybion ! La sortie française de 2013 ? L'avenir le dira, en tout cas une galette qui ne manquera sûrement pas de squatter les Top 10 de fin d'année...
Avec une telle offrande, il va maintenant falloir surveiller de très près le groupe sur les planches. Car à présent dotés de cette puissance de feu (une prod' en tout point irréprochable) digne de la scène Polonaise, de compos ainsi cadencées et agencées à hautes vertus 'headbanguisantes', mais aussi de cette touche exotique si particulière dont on ne pensait qu'elle n'irait se faire voir que chez les Grecs, et toujours de leur approche « technicienne » typiquement 'française', il est incontestable que cette luxuriance, que dis-je, cette richesse qui est la leur (et non un leurre...) n'est plus seulement aujourd'hui une composante de leur identité, comme leur nom le laissait déjà entendre : elle va surtout être une arme redoutable !
LeBoucherSlave
8,5/10
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« L'homme n'a pas besoin de voyager pour s'agrandir ; il porte avec lui l'immensité.»
(Chateaubriand)